famille 2.0Les parents influenceurs vont-ils trop loin ?

Réseaux sociaux : En exposant leurs enfants, les parents influenceurs vont-ils trop loin ?

famille 2.0Certaines familles qui choisissent de documenter leur vie sur les réseaux sociaux, et en passant, celles de leurs enfants, souvent mineurs
Pour la moitié des parents influenceurs, cette activité est même devenue leur principale source de revenus.
Pour la moitié des parents influenceurs, cette activité est même devenue leur principale source de revenus.  - Getty Images / Getty Images
Manon Aublanc

Manon Aublanc

L'essentiel

  • Selon une étude de l’Observatoire de la parentalité et de l’éducation numérique, 1,1 % des parents français d’enfants de moins de 16 ans sont influenceurs aujourd’hui et tirent un avantage de ces publications.
  • Absence de consentement, instrumentalisation des enfants, boulot à temps plein… Les publications de ces parents influenceurs, qui mettent leurs enfants en avant sur les réseaux sociaux, sont régulièrement pointées du doigt.
  • Pourtant, une loi a été votée en France en 2020 pour encadrer les droits des enfants influenceurs de moins de 16 ans. Mi-janvier, le député à l’origine de ce texte a déposé une nouvelle proposition de loi pour garantir le respect du droit à l’image des enfants.

L’ouverture des cadeaux de Noël, une après-midi pâtisserie, les premiers mètres à vélo ou une chorégraphie difficilement exécutée, ce sont des images banales d’un bonheur familial, comme en font toutes les familles. Sauf que leurs photos à eux ne sont pas uniquement destinées aux grands-parents, mais à leurs milliers de followers. Eux, ce sont les parents influenceurs, ces familles 2.0 qui document leur quotidien - et celui de leurs progénitures - sur les réseaux sociaux.

C’est notamment le cas de la famille Coste. Depuis huit ans, les parents, Audrey et Sébastien, partagent leur vie, et celle de leurs trois enfants, avec qui ils vivent à l’autre bout du monde. Résultat : 251.000 abonnés sur YouTube et près 113.000 sur Instagram. Chris, lui, est un papa influenceur, qui totabilise 824.000 de followers sur Instagram et plus de 5 millions sur TikTok. Sauf que la vedette, ce n’est pas lui, mais sa petite fille, Lily-Ana, dont il filme le quotidien. Certains enfants, eux, ont déjà leur propre compte, avant même de savoir parler. A quatre ans, Tiago, lui, a déjà fidélisé plus de 1,3 million de personnes sur son compte Instagram, crée par ses parents, Manon et Julien Tanti, stars de la téléréalité.

« Une relation communautaire très poussée »

Et ils ne sont pas les seuls. Selon une étude de l’Observatoire de la parentalité et de l’éducation numérique, réalisée par la société Potloc, 1,1 % des parents français d’enfants de moins de 16 ans sont influenceurs aujourd’hui et tirent un avantage de ces publications. Mais la majeure partie d’entre eux partagent un quotidien « à la monsieur tout-le-monde ». Il y a les joies des premières fois, les doutes sur la parentalité, l’épuisement du nouveau-né et les interrogations quasi quotidiennes. Et si ça marche si bien, c’est que tous les parents peuvent s’y identifier : « Ça part d’une démarche assez naturelle de vouloir partager ce que tous les parents vivent, pour ne pas se sentir seuls. Et ça fonctionne. Les parents qui les suivent se retrouvent en eux », explique Guillaume Benech, fondateur d’Odace, une agence spécialiste des réseaux sociaux.

Mais ce n’est pas l’unique raison. Si on vous expliquait, début janvier, comment Instagram était devenu le nouveau Tinder, les réseaux sociaux jouent également une sorte de Doctissimo 2.0 : « Avant, on regardait Les Maternelles pour avoir certaines réponses, aujourd’hui, on suit des parents sur les réseaux sociaux. C’est devenu une source d’information », ajoute le spécialiste. « Il y a quelque chose de très rassurant. Les parents montrent leur quotidien de façon naturelle, ils répondent à des questions que tout le monde se pose. Forcément, on se sent proche d’eux, ça libère la parole, on peut même se permettre de leur poser des questions. Il y a une relation communautaire très poussée », poursuit Guillaume Benech.

Une communauté, du soutien, des réponses, mais aussi de l’argent. Et parfois, beaucoup d’argent. Selon cette même étude, 47 % des parents influenceurs déclarent que cette activité est devenue leur seule source de revenu, notamment via les partenariats conclus avec des marques. « Certaines familles en ont fait un vrai business, quand on sait qu’un partenariat avec un compte qui a 500.000 abonnés sur Instagram, c’est entre 1.500 et 5.000 euros en moyenne, en fonction des marques. Pour les parents influenceurs qui ont un million d’abonnés, c’est même 4.000 à 5.000 euros », chiffre le fondateur d’Odace. C’est même une petite mine d’or pour les 4 % des parents influenceurs qui déclarent gagner plus de 50.000 euros par mois avec cette activité. Mais remettons quand même l’église au milieu du village, la majeure partie de ces familles (71 %) touchent moins de 5.000 euros mensuels avec cette activité, selon les chiffres de l’étude.

« Le poids ce que qu’on laisse à ces enfants »

Mais évidemment, il y a quand même un hic. Et même plusieurs. A commencer par le consentement de ces enfants. Plus de la moitié des parents influenceurs (56 %) avouent ne pas l’avoir obtenu avant de publier l’un de ces moments d’intimité. « Ça soulève beaucoup de questions sur le consentement des enfants. Certains parents sont dans une logique très commerciale et ça pose un problème d’instrumentalisation. D’autres font attention au choix et à l’envie de l’enfant. Ils n’ont pas forcément envie d’être tout le temps filmés », regrette Guillaume Benech, qui ajoute : « Il y a un côté narcissique chez ces parents, ils sont fiers de montrer leurs enfants au monde ».

Si les tout-petits sont incapables de donner leur avis, en grandissant, ils regrettent parfois cette surexposition. Quatre ados sur dix trouvent d’ailleurs que leurs parents les ont trop exposés sur les réseaux, selon une étude de Microsoft, publiée en 2019. « Il y a le poids ce que qu’on laisse à ces enfants. Pour ceux qui ont cinq ans aujourd’hui, ça peut être compliqué plus tard, à l’école, à l’adolescence et même dans leur vie future. Un jeune qui voit des photos de lui sur Google quand il était petit, sur le pot, forcément, ça peut poser problème », met en garde le spécialiste.

D’autant que ces contenus, ils ne se font pas tout seuls. Dans certaines familles, c’est même devenu un boulot à plein temps pour les parents - et forcément pour les enfants. Près de 60 % des parents influenceurs estiment que chaque contenu nécessite près d’une heure de préparation. Six sur 10 déclarent même avoir besoin de tourner de deux à 10 prises avant de publier sur les réseaux sociaux. Certaines associations de protection de l’enfance dénoncent régulièrement ces pratiques, qui ne sont, ni plus, ni moins, que du travail caché, voire du travail forcé, selon elles.

« Une première brique dans le droit à l’image de l’enfant »

Pourtant, une loi a été votée en 2020 pour encadrer les droits de ces enfants influenceurs - parfois malgré eux - de moins de 16 ans. Selon ce texte, porté par le député du Bas-Rhin Bruno Studer (Renaissance), il y a deux cas de figure. D’abord, celui où l’activité d’un enfant sur les plateformes de vidéos en ligne est considérée comme un travail. « Dans ce cas, comme pour ce qui existe déjà pour les enfants mannequins ou les enfants artistes, les enfants sont protégés par le Code du travail. Ils doivent avoir un contrat, une rémunération, des horaires ou des temps de repos. Et si ce n’est pas respecté, on tombe dans du travail dissimulé », explique Me Alexandre Bigot Joly, avocat spécialisé en droit de la communication au sein du cabinet Influxio.

Mais avant de faire tourner leurs enfants ou de diffuser des vidéos où ils apparaissent, les parents doivent demander une autorisation individuelle ou un agrément auprès de l’administration. « L’agrément ne s’obtient pas facilement. Il y a un dossier à composer et ensuite c’est une décision collégiale d’un juge pour enfant, d’un représentant du rectorat et d’un pédopsychiatre », précise l’avocat. Les parents peuvent aussi laisser une agence d’influenceurs gérer ça, mais elle aussi doit avoir le feu vert de l’administration. Et pas question pour les parents d’empocher tout le pactole. Selon cette loi, une partie des revenus perçus par leur enfant doit être placée à la Caisse des dépôts et consignations jusqu’à leur majorité ou leur émancipation, comme c’est la règle pour les enfants du spectacle. Pour ce qui est de la « zone grise d’Internet », où l’activité des enfants influenceurs ne relève pas d’une relation de travail, une déclaration doit être faite, au-delà de certains seuils de durée ou de nombre de vidéos ou de revenus tirés de leur diffusion. « Dans les faits, 90 % des situations relèvent de la relation de travail », ajoute l’avocat.

Mais une nouvelle loi pourrait encore durcir le ton. Le 19 janvier, ce même député a déposé un nouveau texte pour garantir le respect du droit à l’image des enfants. Son texte propose d’introduire la notion de vie privée dans la définition de l’autorité parentale du Code civil. « Les parents seront tenus d’exercer en commun le droit à l’image de l’enfant mineur en respectant sa vie privée, son âge et son degré de maturité », explique Me Alexandre Bigot Joly, qui poursuit : « c’est une première brique dans le droit à l’image de l’enfant ».

Et pour cause, selon les chiffres d’un rapport du National Center for Missing and Exploited Children, publié en 2020, « 50 % des photographies qui s’échangent sur les forums pédopornographiques avaient été initialement publiées par les parents sur leurs réseaux sociaux ». Loin de nous l’idée de décourager les parents, mais on pose ça là, vous en faites ce que vous voulez.