PoursuitesLa Turquie se retourne contre les promoteurs immobiliers après le séisme

Séismes en Turquie : Ankara se retourne contre les promoteurs immobiliers

PoursuitesAu moins 134 enquêtes ont été lancées contre des promoteurs qui n’auraient pas respecté les règles de construction
Malgré les normes anti-séisme, de nombreux bâtiments se sont effondrés en Turquie.
Malgré les normes anti-séisme, de nombreux bâtiments se sont effondrés en Turquie. - Emrah Gurel/AP/SIPA / SIPA
20 Minutes avec AFP

20 Minutes avec AFP

Leur photo est partout : celle du promoteur arrêté alors qu’il tentait de fuir à l’aéroport d’Istanbul vendredi et de ses deux comparses, dont les internautes demandent la tête. Mehmet Yasar Coskun était le maître d’ouvrage de la résidence « Rönesans » (Renaissance), construite à Antakya, dans le sud de la Turquie, il y a 10 ans : le 6 février, l’immeuble de huit étages et 250 appartements avec piscine, qui abritait notamment le footballeur ghanéen Christian Atsu, a basculé sur le flanc et sur ses habitants.

Il est l’un des milliers d’immeubles en Turquie qui se sont affaissés sur eux-mêmes, sans laisser la moindre chance à leurs occupants saisis dans leur sommeil par la violente secousse survenue à 4 heures du matin. Face à la colère qui gronde dans le pays contre les mafias du bâtiment, relayée par la presse et les réseaux sociaux, les autorités turques ont réagi avec promptitude et les arrestations et mandats d’arrêt pleuvent.

134 enquêtes lancées

Dimanche, sept jours après la catastrophe qui a fait près de 30.000 morts rien qu’en Turquie, trois personnes ont été écrouées, sept interpellées dont deux autres promoteurs qui tentaient de s’échapper en Géorgie, et 114 sont toujours recherchés, a annoncé le ministre turc de la Justice, Bekir Bozdag. Au total, 134 enquêtes ont été lancées. Le sort de la résidence Renaissance est devenu emblématique de ces mauvaises pratiques dénoncées de longue date dans le pays, mais elle est loin d’être la seule.

Ainsi l’hôtel Isias, à Adiyaman, où 35 membres de l’équipe de volleyball de 12-15 ans de la république séparatiste de Chypre Nord et leur encadrement ont péri : des témoins ont affirmé à la chaîne de télévision NTV que l’hôtel avait été fermé en raison « d’irrégularités » dans la construction, avant de voir les scellés brisés et de rouvrir. « Je veux que ces gens soient jugés, ce sont des meurtriers », lançait une proche de victime interrogée, tandis qu’un autre assurait avoir vu « les murs se déchirer comme des feuilles de papier ».

Les leçons tirées du séisme de 1999

Dans sa déposition, le promoteur de la résidence Renaissance a rejeté les accusations portées contre lui et ses associés. « J’ignore pourquoi le bâtiment s’est effondré. Tous les permis avaient été délivrés après les études effectuées par la mairie et la compagnie de contrôle », a-t-il affirmé. Le permis pour cette résidence a été signé en 2021 par le district d’Ekinciler, à Hatay. La Turquie a adopté une série de normes et de régulations calquées sur celles de la Californie, terre de séismes, et régulièrement révisées - la dernière fois en 2018. Mais selon les ingénieurs et architectes interrogés cette semaine, la plupart sont ignorées par les bâtisseurs.

La réaction du gouvernement, confronté à ce que le président Recep Tayyip Erdogan, en campagne électorale si les élections du 14 mai sont maintenues, a qualifié de « pire catastrophe de tous les temps » pour la Turquie, est sans précédent. Jusqu’alors, les promoteurs et entrepreneurs véreux semblaient avoir de beaux jours devant eux malgré les alertes répétées d’ingénieurs et architectes reconnus.





Après le violent tremblement de terre de 1999, qui avait fait 17.000 morts dans le nord-ouest de la Turquie, autour de Kocaeli, il avait fallu six mois avant la première arrestation. Le quotidien Milliyet avait alors titré « Seulement huit arrestations pour 17.000 vies perdues ». Par la suite, plus de 2.000 procédures ont été ouvertes contre les promoteurs des bâtiments effondrés mais aucune peine prononcée pour 1.800 d’entre eux en raison d’une amnistie générale décrétée en décembre 2000 par le gouvernement. Finalement, la plupart des responsables avaient pu bénéficier d’une prescription en 2007.