AmourAssumés ou cachés ? Ils sont en couple dans la même entreprise

Saint-Valentin : « Des limites » mais « pas d’interdits »… Ils sont en couple dans la même entreprise

Amour17 % des couples français se seraient rencontrés sur le lieu de travail, selon un sondage Ipsos datant de 2018
Un peu de romantisme en plein open space, ça vous tente ?
Un peu de romantisme en plein open space, ça vous tente ?  - Titanic/Capture d'écran / Titanic/Capture d'écran
Jean-Loup Delmas

Jean-Loup Delmas

L'essentiel

  • «L’amour brille sous les étoiles », et parfois même au sein des open spaces. En France, un couple sur sept se formerait ainsi au travail.
  • Des relations qui nécessitent au minimum deux ou trois ajustements afin que la vie privée n’envahisse pas trop le professionnel, et vice-versa.
  • A l’occasion de la Saint-Valentin, 20 Minutes s’intéresse à ces couples pas tout à fait comme les autres. Et, fête de l’amour oblige, à toutes ces histoires qui finissent bien.

« - Alors mon amour, ça s’est bien passé ta journée ? »

- Bah tu le sais déjà, mon cœur. On était à côté au bureau. »

Ce dialogue, Clément et Noémie pourraient le tenir chaque soir ou presque. Et pour cause, ce couple de trentenaire havrais travaille dans la même banque. Collègues et amants, une équation auquel Noémie ne croyait pas trop : « Je m’étais promis "jamais au travail", car je voyais ça comme un nid à problèmes permanent ». Mais c’est bien connu, l’amour a ses raisons, le sourire de Clément ses charmes irrésistibles. Et la voilà embarquée dans cette relation pas comme les autres. Si ça peut rassurer Noémie, elle n’est pas la seule. Selon une étude de 2022 *, 37 % des Français ont déjà eu un crush au travail et 21 % y auraient déjà eu une relation (allant de quelques jours à plusieurs années). Un chiffre qui montait même à 75 % des salariés dans une étude internationale**, paru la même année.

Pas vraiment un tabou, donc. Pour Simon, enseignant à Montpellier, c’est même plutôt logique : « On passe la moitié de notre journée au travail, c’est évident que c’est un lieu de rencontres. » Un choix de raison… et presque de contrainte ? « Quand vous dépassez les 30 ans, vous faites de moins en moins de rencontres. Les bandes de potes sont fixées, les sorties se raréfient… Le travail reste l’un des rares lieux où on découvre de nouvelles personnes. » Un dernier bastion de sociabilité passé les premiers cheveux blancs où Simon a trouvé « la femme de sa vie ». Il est professeur en CM1-CM2, sa compagne gère les CP-CE1. Tant pis pour les CE2. « Il y a plus romantique comme rencontre qu’une salle de profs, mais quand ça matche aussi bien, ce serait dommage de passer à côté. On n’allait pas se l’interdire. »

Des règles à se fixer

Reste qu’avoir une relation au boulot n’est pas totalement anodin non plus (voir encadré). « On s’est vite fixé des règles », témoigne Noémie. Ne le dire à personne au boulot, aucun signe d’affection dans l’open space, encore moins de crise en public, et ne jamais postuler dans le même service. « C’est ce qui fait que notre couple tient : on ne bosse ni aux mêmes horaires, ni avec les mêmes fonctions. Du coup, on n’est pas collé H24, c’est quand même plus sain ». Une attitude que valide Florence Escaravage, fondatrice de la société Love Intelligence, spécialiste du conseil amoureux et des formations de coach en relation amoureuse : « La plupart des couples qui réussissent à rester ensemble tout en ayant le même travail s’arrangent pour ne pas avoir le même périmètre au boulot. Certains font même la demande de quitter leur secteur afin de ne pas bosser directement ensemble. »



Autre conseil de base selon Raphaëlle de Foucauld, thérapeute familial et conjugal : « Il est important d’avoir des moments totalement déconnecté du travail et des discussions sans aborder le taf. Par exemple, fixer la règle : une fois franchi la porte de la maison, on n’évoque plus le boulot. »

Des avantages aussi

Et pas question de pointer du doigt le couple au travail, avertit Florence Escaravage. D’autant que le précepte « attention à ne pas mêler boulot et amour » semble un peu anachronique à l’heure du télétravail généralisé et d’une barrière de plus en plus poreuse entre vie privée et vie pro. « Le bureau s’invite déjà à la maison dans la plupart des couples ».

Mieux vaut prendre le problème à l’envers : bien sûr que le travail occupe une place importante dans la vie amoureuse, « a fortiori dans le couple du XXIe siècle, où le conjoint/la conjointe est à la fois l’amoureux, l’amant, le meilleur ami, mais aussi le coach professionnel et notre booster dans le travail », plaide Florence Escaravage. Dans ces moments-là, travailler dans la même entreprise est un plus, atteste Simon : « Mes ex ne comprenaient jamais la difficulté du travail d’enseignant, les journées difficiles, le sentiment d’être déclassé socialement… En sortant avec quelqu’un qui fait le même métier, chacun sait ce que vit l’autre, on se comprend, on se soutient. » D’autres y voient des avantages inattendus. « Je suis sûre qu’il ne va pas me tromper ou me ghoster (disparaître sans prévenir) car les conséquences au travail seraient terribles. Je peux dormir sur mes deux oreilles », sourit Noémie.

Assumer ou non ?

Mais une fois encore, attention au mélange des genres, avertit Raphaëlle de Foucauld : « Il faut que la relation de couple et de collaborateurs ne soit pas la même, afin que chaque duo n’influe pas sur l’autre. » Une doctrine auquel croit particulièrement François, dans la tech et N + 1 de son épouse : « Evidemment, toute hiérarchie s’efface quand on est à la maison. Tout comme au travail, je ne vais pas lui donner une augmentation juste sous prétexte que c’est ma femme. »

Reste LA grande question : s’assumer au boulot, ou rester masquée ? Simon est partisan du « Vivons bien, vivons caché » : « En ne disant rien, on est forcé de se comporter normalement devant les collègues, et on évite ainsi que notre couple soit trop envahissant. » Du côté de Noémie, on a plutôt lâché les chevaux en mode « foutu pour foutu » : « On était de toute manière pas très discret ». Un avis que rejoint Florence Escaravage : « Assumer permet d’éviter les non-dits, les situations de gêne ou l’impression pour les autres que quelque chose se trame dans leur dos. C’est souvent bien plus simple à vivre une fois le pot aux roses découvert. Et puis, de nos jours, on assume tout au travail, alors autant assumer sa relation ! » On ne parle pas de se bécoter devant votre N + 2, mais en ce jour de la Saint-Valentin, puisque l’amour se crie sur les toits, il peut aussi se vivre dans l’open space.

* Etude du cabinet de recrutement PageGroup réalisée en décembre 2021 auprès de 2.049 répondants et publiée à l’occasion de la Saint-Valentin 2022.

** Sondage de Livecarreer réalisé auprès de 1.115 employés en novembre 2022.

Qu’en disent les Resssources humaines ?

Il est formellement interdit pour une entreprise de sanctionner des salariés sous le prétexte qu’ils entretiendraient une liaison, ni de s’immiscer dedans, selon l’article 9 du Code Civil - « Chacun a droit au respect de sa vie privée » - et l’article L.1132-1 du Code du travail, empêchant toute discrimination pour des « mœurs ».

Une entreprise ne peut pas non plus interdire les couples chez elle en amont, ni glisser dans ses contrats une clause interdisant de sortir ou d’avoir une relation avec un(e) autre salarié(e).

Pour autant, les salariés sortant ensemble ne peuvent faire de manifestations trop explicites de leur amour, dans le but de ne pas troubler la vie de l’entreprise ou de porter atteinte à sa réputation. Une promotion ne peut non plus être accordée pour un motif amoureux, et en cas de relation entre un N + 1 et un salarié, le premier devra démontrer la non-subjectivité de sa décision.