CYBERVIOLENCESLe partage de mot de passe ou quand le numérique brise l’intimité du couple

Saint-Valentin : Dans le couple, le téléphone peut aussi devenir un outil de violences

CYBERVIOLENCESSelon une étude, plus de la moitié des Français partageraient des identifiants numériques avec leurs partenaires. Si notre smartphone fait désormais partie intégrante de notre vie de couple, il peut aussi être un outil de surveillance et de violence
Dans le couple, une nécessaire barrière à imposer quant au partage numérique
Dans le couple, une nécessaire barrière à imposer quant au partage numérique - Titova Ilona / Canva
Lina Fourneau et Pauline Ferrari

Lina Fourneau et Pauline Ferrari

L'essentiel

  • Selon une étude Express VPN dévoilée en exclusivité pour 20 Minutes, plus de la moitié des Français partageraient leurs identifiants avec leurs partenaires.
  • Si le numérique semble avoir brisé l’intimité dans le couple, le constat pourrait également conduire à des comportements dangereux et même entraîner des cyberviolences.
  • « Les outils numériques ont offert aux auteurs de violences conjugales de nouveaux outils pour encore davantage placer leurs victimes sous emprise », alerte même l’avocate Rachel-Flore Pardo. Un constat partagé par le centre Hubertine Auclert.

Fleurs, fluides corporels ou petits cadeaux... Que ce soit le 14 février, jour de la Saint-Valentin, ou les 364 autres jours de l'année, l'amour c'est aussi du partage. Mais ce phénomène concerne aussi le virtuel et le numérique. Selon une étude réalisée par Express VPN, dévoilée en exclusivité par 20 Minutes, plus de la moitié des Français partageraient leurs identifiants avec leurs partenaires. La majorité d’entre eux (environ 80 %) le font par souci de confiance et d’honnêteté.

Certes, certains partages de mot de passe le sont par souci économique, notamment pour les plateformes de streaming par exemple. Mais l’étude montre que des données bien plus sensibles sont également partagées par les couples : les codes de leur ordinateur (26 %), de leur téléphone (19 %), ou même de leurs cartes bleues (17 %).



79 % des jeunes utilisent la géolocalisation

Plus inquiétant encore, le numérique semble avoir normalisé le fait de savoir en permanence où se trouve son conjoint. Presque la moitié des Français interrogés indiquent partager leur localisation au sein du couple. Un chiffre qui grimpe à 79 % chez les 18-24 ans. La raison ? Principalement la sécurité pour 21 % des personnes interrogées. Mais pas seulement. 17 % avouent le faire pour suivre leur conjoint et 8 % pour s’assurer de leur fidélité.

Dans l’étude, un tiers des Français avouent également regretter d’avoir partagé leurs identifiants avec leurs partenaires et un Français sur cinq a déjà vu ses identifiants partagés à leur insu.

Un gage de confiance

Cela fait pourtant plusieurs années que différentes associations alertent sur le pendant numérique du sexisme et des violences qu’il provoque : le cybersexisme, soit l’ensemble des comportements et propos sexistes qui prolifère sur Internet, les réseaux sociaux et dans les échanges numériques.

Depuis 2013, l’association En avant toutes par exemple assure un travail de prévention auprès des plus jeunes en milieu scolaire afin de sensibiliser aux violences faites aux jeunes femmes, notamment dans le couple. Le partage de mot de passe est un phénomène déjà remarqué par la membre de l’association Louise Delavier lors de ses discussions avec les élèves. Selon elle, cela fonctionne comme une piste de solution parmi les jeunes couples. « S’ils n’ont pas confiance en leur conjoint, ils n’ont qu’à tout leur montrer ».

De la difficile prévention

Alors pendant ces ateliers de prévention, cette déconstruction peut prendre du temps et il est nécessaire pour l’association de gagner la confiance des jeunes sans paraître trop moralisateur. « On amène surtout la question de l’intime. J’aime bien prendre l’exemple des applications de suivi des règles. Ce ne sont pas forcément des choses qu’on a envie de laisser à disposition du couple, sans forcément que ça soit obligatoirement secret », nous explique Louise Delavier.

Pourtant, chez certains jeunes, le partage numérique de l’intime est déjà acquis, voire naturel dans leur couple. « Il y a parfois une injonction à être irréprochable, à devoir rendre des comptes », souligne Louise Delavier qui voit ici une limite. C’est le moment où l’acte anodin du quotidien peut se transformer en violence par le chantage ou en menaces. « Oui tu vas partager tes codes, sinon ça veut dire que tu ne m’aimes pas ».

Du revenge porn aux traceurs, des outils plus intrusifs

De fait, les liens entre violences conjugales et outils numériques sont régulièrement pointés du doigt par les associations qui accompagnent les victimes. D’après une enquête menée en 2017-2018 par le Centre Hubertine Auclert, 9 femmes victimes de violences conjugales sur 10 ont subi des cyberviolences de la part de leur partenaire ou ex ; et 1 femme sur 3 déclare avoir été menacée par son partenaire (ou ex) de diffusion de contenus intimes.

Au sens plus large, les cyberviolences désignent l’ensemble des violences qui ont lieu en ligne, du cyberharcèlement à la divulgation d’images non consenties [revenge porn] en passant par forcer son partenaire à donner ses codes d’accès à ses réseaux sociaux.

Selon le centre Hubertine Auclert, les violences conjugales sont renforcées et facilitées par le numérique : « Les outils numériques permettent à l’agresseur d’asseoir son emprise et d’assurer son impunité à travers la peur, l’humiliation et la possibilité d’intrusion permanente », indique l’association dans un rapport. Une manière de renforcer la vulnérabilité et l’isolement des victimes. Car lorsqu’elles se déroulent dans un espace virtuel, les violences sexistes et sexuelles se teintent parfois d’anonymat, d’une absence de contrôle (des adultes ou des plateformes), de viralité des contenus, mais surtout d’une dilution de la responsabilité et d’un sentiment d’impunité du côté des agresseurs.

« Des sujets encore tabous »

Pour Marie-Pierre Badré, présidente du centre Hubertine Auclert, le confinement n’a « rien arrangé ». « Cela a permis plus de partage d’images, et amplifié les phénomènes déjà existants », assure-t-elle. D’autant qu’au fil des années, la technologie évolue et se diversifie : la multiplication des objets connectés, comme les montres ou encore les traceurs sont autant de nouveaux outils pour contrôler les victimes. « Depuis 2020, la loi condamne la pratique du traçage, et peu de gens le savent ! C’est quand même des sujets encore tabous », ajoute Marie-Pierre Badré.

Juridiquement, les cyberviolences recouvrent tout un panel d’infractions pénales, souligne Maître Rachel-Flore Pardo. Pour l’avocate, dans la majorité des infractions de cyberviolences, il existe « une circonstance aggravante qui va naître du fait que l’auteur des violences est le conjoint, le concubin ou l’ex ».

D’après un document très précis du centre Hubertine Auclert, la peine peut aller de 3 à 5 d’emprisonnement et jusqu’à 75.000 euros d’amende pour un cas d’harcèlement moral de cybercontrôle ou pour des cas de cybersurveillance imposée. D’autres sanctions existent également, par exemple dans des cas de cyberviolences économiques et administratives qui peuvent aller jusqu’à cinq ans de prison et 300.000 euros d’amende.

La difficile culpabilité des victimes

Le nombre de victimes à passer la porte du commissariat reste pourtant faible : si l’arsenal juridique en la matière est plutôt complet, la culpabilité ou la peur d’être jugée par les forces de l’ordre empêchent bon nombre de porter plainte. « Le problème, c’est ouvrir la porte du commissariat, particulièrement lorsque les victimes sont mineures. Elles n’osent pas en parler à leurs parents, et encore moins à la police », explique Marie-Pierre Badré du centre Hubertine Auclert. Pour l’association En avant toutes, les victimes ne réaliseraient même pas parfois la gravité de la situation et pourraient s’imaginer coupable, notamment dans le cas de la diffusion de photographies intimes.

De nombreuses ressources sont disponibles pour les victimes de cyberviolences : le numéro national 3018, qui peut faire supprimer des contenus en moins d’une heure ; la plateforme PHAROS, du ministère de l’Intérieur ; ou encore via les associations comme En Avant Toutes et son tchat. Une chose est sûre : parler des violences, c’est une première étape pour les faire cesser.