EmploisAides publiques puis délocalisation, Latécoère entre en zone de turbulence

Toulouse : Zone de turbulence pour Latécoère qui a bénéficié d’aides publiques et délocalise

EmploisLe prestigieux groupe aéronautique Latécoère veut délocaliser une centaine d’emplois industriels en Tchéquie et au Mexique. La polémique enfle sur les aides publiques dont il a bénéficié pour implanter une usine où il n’y aura plus d’ouvrier
L'usine Latécoère de Toulouse-Montredon, lors de son inauguration.
L'usine Latécoère de Toulouse-Montredon, lors de son inauguration. - A. Spanni  /  Latecoère
Hélène Ménal

Hélène Ménal

L'essentiel

  • Le groupe Latécoère envisage de délocaliser en Tchéquie et au Mexique, l’activité industrielle de son usine toulousaine de Montredon qui a ouvert il y a six ans à peine. Quelque 150 salariés en tout sont concernés par ce projet global de réorganisation.
  • Les politiques de tous bords s’insurgent et relancent le débat sur les aides publiques octroyées pour aider à des implantations industrielles.

A Toulouse, quand l’équipementier aéronautique Latécoère bat de l’aile, l’émoi est proportionnel au prestige de son nom, à jamais lié aux pionniers de l’aviation. Un nouveau chapitre compliqué de cette histoire séculaire s’est ouvert le 25 janvier, quand le groupe, désormais propriété du fonds américain Searlihgt Capital Partners, a présenté à son comité d’entreprise sa « projection vers l’avenir » pour son usine de Montredon. Une « usine du futur » inaugurée il y a six ans à peine sur les hauteurs de la Ville rose.


L'usine Latécoère de Toulouse-Montredon lors de son inauguration en 2018.
L'usine Latécoère de Toulouse-Montredon lors de son inauguration en 2018. - Fred Scheiber

Mais la terminologie est désormais mal choisie puisque selon les plans de la direction elle n’abritera plus aucun emploi industriel fin 2024. Les machines, sur lesquelles travaillent 110 personnes, vont partir vers Prague en Tchéquie et Hermossillo au Mexique. Le site tout neuf de Montredon ne fermera pas pour autant. Latécoère va y regrouper ses activités de service et celles « à forte valeur ajoutée ». Mais par un jeu de domino, le groupe fermera son site de Labège, à quelques kilomètres de là, et son implantation de Colomiers. La CGT parle de « plan social déguisé » , impactant entre Montredon et Labège « 150 collègues ». Le plan « vise à faire évoluer la nature des activités de Toulouse-Montredon afin que le site renoue avec la rentabilité et assure sa pérennité sur le long terme », argumente de son côté la direction.

Le groupe – qui emploie 4.700 salariés dans le monde dont 1.385 en France – évoque « une réorganisation » rendue nécessaire par la conjoncture : pendant la crise du Covid, l’équipementier a vu son chiffre d’affaires fondre de moitié et les difficultés techniques du Boeing 787, dont Latécoère fabrique les portes d’embarquement, ne sont pas dissipées. La direction promet que les cols-bleus touchés seront reclassés en interne et insiste sur le fait que les négociations sociales n’en sont qu’à leur début.

Des aides à la recherche

Mais le symbole d’une usine sans ouvrier et de ses machines délocalisées dans des pays à bas coût a déjà produit ses effets. Les politiques montent au créneau les uns après les autres « J’entends qu’il y a des plans [de délocalisation], j’aimerais qu’on m’explique », a déclaré, « surpris » vendredi sur l’antenne de Sud Radio Roland Lescure, le ministre de l’Industrie. D’autant que l’Etat a subventionné à hauteur de 5,4 millions d’euros l’usine de Montredon dans le cadre du volet aéronautique du programme « stratégique » baptisé « Usine du futur ».

Vendredi toujours, le groupe d’opposition « Métropole écologiste, solidaire et citoyenne » attaquait aussi sur le sujet des aides publiques parlant « d’1,7 million de fonds européens apportés par la région Occitanie » et du terrain « qui appartenait à la municipalité, cédé à un prix symbolique » Mêmes arguments ce jeudi pour les six députés LFI de la Haute-Garonne qui dénoncent « les politiques de délocalisations des grands groupes, au mépris du financement public reçu pour s’installer ou maintenir l’activité ».



Carole Delga (PS), la présidente d’Occitanie, partage le diagnostic. Elle s’indigne des projets des nouveaux propriétaires « de ce symbole de l’aéronautique toulousaine et fleuron de l’industrie française » qui vont « à l’encontre de la politique de souveraineté industrielle que doit bâtir notre pays ». La Région dément en revanche les chiffres. Aucun fonds européen n’a financé l’usine de Montredon par son intermédiaire. Seule une somme de 786.000 euros a été versée pour un projet de recherche de Latécoère « dont les équipes dédiées resteront en poste à Toulouse ». Et comme le projet est stoppé les 3,9 millions d’euros restant de la subvention globale prévue ne seront pas versés.

Un terrain à un prix « incitatif »

Le maire de Toulouse Jean-Luc Moudenc (ex-LR) s’apprête quant à lui à rencontrer les dirigeants de Latécoère pour leur demander « des garanties » pour les salariés concernés, s’ils comptent vendre le site de Montredon à terme et plus généralement pour les interroger sur leur projet industriel dans la Ville rose. « La collectivité ne peut que déplorer la décision de fabriquer à l’étranger ce qui est jusqu’ici produit sur notre territoire. C’est un exemple supplémentaire de recul de notre souveraineté », fait savoir son entourage. Et si Latécoère affirme « qu’aucune » des machines en partance n’a été directement subventionnée, l’édile toulousain est tout à fait légitime à demander des explications. Car, oui, « alors que Latécoère menaçait de quitter le territoire, faute de foncier », la mairie de Toulouse lui a vendu le terrain de « 3 hectares » de Montredon pour « 1,3 million d’euros ». « Un prix incitatif répondant aux enjeux d’emplois du territoire », précise le Capitole. Qui, visiblement, viennent d’évoluer dans le mauvais sens.