IdentitéPourquoi Prague veut changer « République tchèque » par « Tchéquie » ?

Pourquoi Prague veut changer « République tchèque » par « Tchéquie » à l’international ?

IdentitéL’ONU a officialisé ce changement de nom en 2016, mais l’usage tarde à s’imposer
Ne dites plus « République tchèque »...
Ne dites plus « République tchèque »... - Canva / Canva
Xavier Regnier

Xavier Regnier

Ne soyez pas surpris, le 13 mai prochain, lorsque les membres du groupe Vesna se produiront sur la scène de l’Eurovision. Ils y représenteront la « Tchéquie », et non plus la « République tchèque ». Le changement de nom, validé par les instances, a été officialisé par le concours le 10 février. Une suite logique, puisque l’ONU depuis 2016, le CIO et l’UEFA utilisent aussi cette dénomination officielle.

Alors que le terme « République tchèque » est bien ancré dans nos usages, ce changement subtil est pour l’instant passé trop inaperçu pour bousculer nos habitudes. Alors pourquoi Prague mène ce combat de longue haleine ? Quelle est la différence entre les deux termes ? Est-ce que ça arrive souvent, un pays qui change de nom ? 20 Minutes fait le point avec Paul Lenormand, maître de conférences à l’Université Paris Nanterre et historien spécialiste de l’Europe centrale.

C’est quoi la différence entre Tchéquie et République tchèque ?

Accrochez-vous, on va parler un peu d’étymologie. A l’époque médiévale, alors que le territoire est appelé Bohême, associé aux duchés de Moravie et de Silésie, émerge une « figure du grand ancêtre des Tchèques » fictive, justement nommé Cech, explique Paul Lenormand. Par la suite, « tout ce qui se rattache au terme Cesko désigne plutôt le peuple qu’un territoire », continue-t-il. Et si le terme est utilisé pour la première fois au XVIIIe siècle, « c’est un néologisme qui ne s’est jamais imposé ».

L’idée revient dans les années 1920, après la création ex nihilo de la Tchécoslovaquie, car il permet de « valoriser les peuples » et « gommer le caractère pluriethnique du pays et de s’affirmer face aux Allemands et aux Hongrois ». Après la chute de l’Union soviétique et le divorce amiable entre Prague et Bratislava, on assiste à la création de deux républiques : l’une tchèque, l’autre slovaque. Sauf que « l’usage du nom Slovensko s’était déjà répandu », notamment à l’étranger, avant l’apparition de la Slovenska Republica. La République tchèque, elle, a manqué le coche et a été désignée par « son statut constitutionnel ».

Pourquoi Prague veut-elle changer ces normes aujourd’hui ?

Un usage « froid », qui ne convenait guère à l’ancien président Milos Zeman, lequel a pris la décision de lancer le changement alors même que le débat était en sommeil. « Ce n’est pas un aspect essentiel de la vie politique du pays », note Paul Lenormand, évoquant une « opposition pas si forte », surtout incarnée par « le courant nationaliste morave », qui craint de voir l’identité de la région effacée. Reste que, sans s’attarder sur des décisions et des déclarations « bien plus problématiques » de l’ancien président pour les Tchèques, le mouvement s’est initié lorsque l’ONU a accepté de changer le nom en 2016.

D’autres institutions ont suivi, et dans les journaux et au quotidien, de nombreux Tchèques « utilisent Cesko, ce qui n’était pas le cas il y a dix ans », relève l’historien, même si « comme pour la République française, la désignation ne changera pas sur le plan interne ». L’idée est double et vise surtout l’international. D’abord, « c’est une norme avantageuse en tchèque, puisque le suffixe sko sert déjà à désigner la plupart des pays européens ». Ensuite, Prague espère « simplifier sa désignation à l’échelle internationale ». Avec un bémol sur la Russie, « où Czechia peut être confondu avec Czechnia, la Tchétchénie ».

Les pays qui changent de nom, ça arrive souvent ?

La Tchéquie, donc, est loin d’être le seul pays à avoir changé de nom au cours des dernières années. La première vague a pris en Afrique, dans la foulée du mouvement de décolonisation. La Gold Coast est devenue le Ghana en 1957, le Dahomey s’est renommé Bénin en 1975 et la Rhodésie du sud a rompu avec son passé colonial en devenant le Zimbabwe en 1980. Burkina Faso, Belize et Suriname ont aussi changé de nom dans les années 1980.




Un changement qui n’est toujours pas évident en France est le « nouveau » de nom de la Birmanie, officiellement Myanmar depuis 1989. Mais ce nom est largement attaché à la junte militaire. Plus récent, l’Eswatini à la place du Swaziland, une transformation opérée en 2018. La même année, la Macédoine est devenue la Macédoine du Nord, ouvrant la voie à une normalisation de ses relations avec la Grèce et l’Otan.