votre vie votre avis« Je suis épuisé »… Comment les profs vivent leur fin de carrière

Réforme des retraites : « Je suis fatiguée moralement et physiquement »… Comment les profs vivent leur fin de carrière

votre vie votre avisNos lecteurs enseignants seniors racontent comment ils vivent leur métier et comment ils se projettent dans les prochaines années
Aujourd'hui,  34 % des professeurs des écoles et 27 % de leurs collègues du secondaire partent avant d’avoir toutes leurs annuités.
Aujourd'hui, 34 % des professeurs des écoles et 27 % de leurs collègues du secondaire partent avant d’avoir toutes leurs annuités. - Canva / Canva
Delphine Bancaud

Delphine Bancaud

L'essentiel

  • Aujourd’hui en France, les professeurs des écoles prennent leur retraite en moyenne à 60,5 ans, et les enseignants du secondaire à 63 ans.
  • La réforme des retraites prévoit un recul progressif de l’âge légal de départ de 62 à 64 ans en 2030. Elle augmente également la durée de cotisation pour bénéficier d’une pension à taux plein : de quarante-deux ans aujourd’hui à quarante-trois ans en 2027.
  • Nos lecteurs enseignants en fin de carrière expliquent en quoi l’exercice de leur métier est plus difficile avec l’âge.

Etre prof à 30 ans, ce n’est pas évident. Mais à 60 ans, ça l’est encore moins. Le débat actuel sur la réforme des retraites met en lumière la fin de carrière des enseignants. Aujourd’hui, d’après les chiffres de l’Education nationale, les professeurs des écoles prennent leur retraite en moyenne à 60,5 ans, et les enseignants du secondaire à 63 ans. Et beaucoup d’entre eux trouvent difficile de gérer une classe dès la cinquantaine. Notamment les professeurs des écoles, comme Anne, 53 ans, qui a répondu à notre appel à témoins. « Nerveusement, le métier est épuisant : je suis dans le bruit toute la journée avec une trentaine d’enfants, et je dois parler non-stop, en haussant la voix à plusieurs reprises. C’est sans compter la préparation de classe le soir, les corrections, les réunions sur le temps méridien et le soir avec l’équipe pédagogique ou les parents d’élèves, le travail administratif de plus en plus invasif… », énumère-t-elle.

Pascale, 59 ans, en charge d’un CM2, reconnaît aussi moins bien supporter de « monter les escaliers plusieurs fois par jour, faire de la discipline devant des élèves qui s’en fichent, gérer la paperasse, rassurer les parents… » En charge d’une classe de CE2, Karine, 57 ans, tire également la langue : « Après des journées de 9 à 10 heures, préparations et corrections comprises, je n’ai plus d’énergie. Je ne veux pas sacrifier les préparations, par contre j’ai réduit tous les à-côtés, les rencontres avec les parents le soir notamment, qui allongeaient trop les journées », confie-t-elle.

« Je suis plus proche du mort-vivant que de l’être humain »

Dans le secondaire aussi, les enseignants proches de la soixantaine accusent le coup. C’est le cas de Sophie, 59 ans, documentaliste dans un collège : « Le CDI est très fréquenté et très bruyant. Je suis parfois obligée de mettre des bouchons d’oreille. Depuis la rentrée, je prends des somnifères car c’est impossible de tenir la journée si j’ai mal dormi. Le rapport avec les collégiens est de plus en plus difficile : irrespect, agitation permanente… Dès les premiers cheveux gris, ils nous demandent si on part bientôt en retraite », raconte-t-elle. Catherine, qui exerce en lycée professionnel, a la soixantaine. Elle confie être « fatiguée moralement et physiquement de gérer des classes d’adolescents, qui sont pour la plupart incapables de se concentrer ». Anne Claire, 48 ans, enseigne aussi en lycée pro, où les élèves concentrent les plus grandes difficultés : « Ils cumulent problèmes sociaux, problèmes d’apprentissage, élèves allophones [dont le français n'est pas la langue maternelle] et handicaps divers. Je ne suis pas sûre qu’à 60 ans passés, j’aurai encore la même patience et la même bienveillance. »

Pour Agathe, 57 ans, prof de lettres au lycée, les conditions d’exercice, qui se sont durcies ces dernières années, sont encore plus difficiles à supporter quand on prend de l’âge. Elle évoque « les classes de 30, le niveau très hétérogène des élèves, ce qui implique une énorme dépense d’énergie nerveuse et physique ». Quant à Franck, 58 ans, il se dit au bout du rouleau : « Je suis plus proche du mort-vivant que de l’être humain, tant je suis épuisé par ce métier. Car aucun métier ne demande un tel engagement », estime-t-il.


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« Quoi qu’il en coûte, je m’arrêterai à 60 ans »

Certains enseignants savent déjà qu’ils n’iront pas jusqu’au bout de leur carrière. D’autant que la réforme des retraites voulue par le gouvernement prévoit un recul progressif de l’âge légal de départ de 62 à 64 ans en 2030. Elle augmente également la durée de cotisation pour bénéficier d’une pension à taux plein : de quarante-deux ans aujourd’hui à quarante-trois ans en 2027. « Quoi qu’il en coûte, je m’arrêterai à 60 ans. Je rentre le soir jamais avant 18 heures, et je suis épuisée… Parfois même j’en pleure avec la sensation d’avoir raté ma journée », explique ainsi Françoise, professeure des écoles en Rep + à Chambéry. Sabine, qui enseigne en primaire, s’attend aussi à devoir partir plus tôt : « Je ne sais pas comment, à 64 ans ou plus, je pourrais tenir à force d'être debout toute la journée, d'être penchée au-dessus des tables pour aider les élèves, de surveiller la cour de récréation, de monter des projets (classe verte ou autre…). »



Idem pour Margot, documentaliste de 55 ans, désormais malentendante à cause du bruit qu’elle a subi pendant des années. Elle « envisage mal de devoir attendre 64 ans pour pouvoir partir à la retraite ». Vincent 50 ans, qui sait qu’il devra partir à 67 ans pour avoir une retraite à taux plein, doute de pouvoir y arriver aussi : « Quand on voit l’énergie que ça demande une journée de cours, l’usure psychologique, difficile d’imaginer la même capacité à déployer cette énergie à 67 ans. Pas sûr non plus que les élèves aient envie de voir un vieux décati leur donner des cours ». Des cas loin d’être isolés, car, d’après les chiffres de l’Education nationale, 34 % des professeurs des écoles et 27 % de leurs collègues du secondaire partent avant d’avoir toutes leurs annuités, et leur pension subit une décote.

« Il faudrait avoir des classes moins chargées »

Pour prendre en compte cette fatigue professionnelle, le ministre de l’Education a annoncé récemment que les enseignants allaient pouvoir bénéficier de la retraite progressive. Mais Sophie doute de pouvoir en bénéficier. « Je suis très inquiète pour les années à venir, j’ai peur de finir en dépression, comme un certain nombre de collègues un peu plus âgés. »

Comme leurs syndicats, de nombreux enseignants réclament d’autres dispositifs d’aménagement de fin de carrière. A l’instar de Jean-Michel : « Il faudrait avoir des classes moins chargées. Au lycée général, ça tourne entre 33 et 36 élèves. Or, 36 copies à corriger, ce n’est pas 20, comme dans beaucoup d’autres pays. » Karine propose une autre solution : « Il y a des métiers qui nécessitent moins d’énergie, par exemple exercer au sein des Rased pour aider les enfants en difficulté, avec de petits effectifs. Il faudrait réserver ces postes aux enseignants en fin de carrière, qui ont l’expérience pour exercer ces fonctions dans les meilleures conditions », suggère-t-elle. Une chose est sûre : le ministère sera obligé de se pencher sur le sujet, d’autant que la crise des vocations enseignantes fait rage.