petit livre rouge (et bleu)Le règlement de l’Assemblée, la star du débat sur les retraites ?

Réforme des retraites : Le règlement de l’Assemblée, véritable animateur du débat ?

petit livre rouge (et bleu)Oppositions et majorité se livrent une bataille sur la forme depuis le début de l’examen du projet de loi sur les retraites. Au point de mettre le règlement de l’Assemblée au centre du débat ?
Le député de Seine-Saint-Denis Alexis Corbière (LFI), brandit le règlement de l'Assemblée nationale en séance, lors du débat sur la réforme des retraites, vendredi 17 février.
Le député de Seine-Saint-Denis Alexis Corbière (LFI), brandit le règlement de l'Assemblée nationale en séance, lors du débat sur la réforme des retraites, vendredi 17 février.  - Ludovic Marin / AFP
Octave Odola

Octave Odola

L'essentiel

  • Depuis le début de l’examen du projet de loi sur la réforme des retraites, le règlement de l’Assemblée est évoqué quasi quotidiennement dans l’hémicycle.
  • L’opposition est accusée d’en user pour ralentir les débats, alors qu’il est reproché à la majorité de l’utiliser pour sanctionner.
  • Pour 20 Minutes, les députés franciliens Bastien Lachaud (LFI) et Mathieu Lefèvre (Renaissance) livrent leurs analyses, tandis que Michel Lascombe, spécialiste de droit constitutionnel, estime que l’usage au règlement lors de ce débat n’est pas « plus spectaculaire » que sur d’autres textes âprement débattus.

A mesure que les séances s’écoulent, sa santé physique décline, inexorablement. Depuis le 6 février, date du début d’examen dans l’hémicycle de la réforme des retraites, les députés de tous bords le lisent attentivement, l’annotent, l’écornent. Et, surtout, ils n’hésitent pas à l’invoquer pour prendre la parole. Bref, malgré sa couverture rouge et bleue peu engageante et son contenu assez éloigné d’un roman de vacances, il faut lui reconnaître un certain sens du spectacle.

Lui, c’est le règlement de l’Assemblée, un peu plus de 160 articles compilés dans un ouvrage devenu le livre de chevet des élus. Lors du débat sur la réforme des retraites, les rappels au règlement jalonnent les séances, à l’image ce vendredi matin des prises de parole de Danièle Obono (LFI) et Sandrine Rousseau (EELV). En octobre dernier, Le Figaro en avait compté 220, contre 77 à la même période durant la législature précédente. Au milieu des invectives, des questions, des amendements, des réponses du gouvernement, le règlement de l’Assemblée s’est imposé comme un outil de cette séquence politique.

« Nous avons un règlement conçu pour une Assemblée avec une majorité et une minorité. Sauf que, depuis les dernières élections législatives, il y a une minorité [une majorité relative] et des oppositions, rappelle le député Bastien Lachaud (LFI). Ce règlement permet à une minorité d’être majoritaire, de tout diriger et de sanctionner ses opposants. »

Obstruction contre sanction

Répartition des places au sein du bureau, répartition des présidents de commission… Pour l’élu de Seine-Saint-Denis, « il faudrait tout reprendre à zéro » et amender un règlement qui a présenté des limites, à l’image du « pataquès » des motions référendaires, au premier jour d’examen du texte.

Une analyse loin d’être partagée par Mathieu Lefèvre, député Renaissance du Val-de-Marne. « Le règlement, c’est ce qui doit nous permettre d’avoir des débats apaisés, il est bien légitime d’y faire référence quand on le doit. Le fait, pour l’opposition, et en particulier la Nupes, de se réfugier en permanence derrière le règlement, ça révèle une volonté de ne pas parler du fond. »

La majorité estime que l’opposition s’est servie des règles pour obstruer le travail parlementaire, tandis que cette dernière reproche au parti présidentiel de la réprimer. « A chaque fois qu’il y a eu une période d’obstruction, pour tous les sujets depuis que le Parlement existe, le rappel au règlement et donc le règlement ont été un moyen de ralentir les débats. Ce n’est pas plus spectaculaire sur la réforme des retraites que sur des textes comme l’IVG ou le Mariage pour tous, tempère Michel Lascombe, professeur agrégé en droit public et spécialiste du droit constitutionnel. Quand vous avez une assemblée plus divisée, l’opposition utilise davantage les rares moyens dont elle dispose. Si vous reprenez l’époque de Michel Rocard, où il y avait aussi une absence de majorité absolue, il y a eu aussi une utilisation du règlement dans toute une série de situations. »

Pas d’originalité à jouer avec le règlement donc, mais la subtilité réside peut-être dans l’intensité du recours à ce dernier. Depuis l’instauration du parlementarisme rationalisé, en 1958, l’arsenal à disposition des parlementaires d’opposition a été réduit. « Contrairement au système allemand ou britannique, en France, l’opposition n’a quasiment aucun moyen d’empêcher un texte d’être voté si l’exécutif le souhaite ; poursuit le constitutionnaliste. L’une des seules techniques va être de ralentir les débats. »

Le règlement, un outil pour « remettre le débat sur de bons rails »

Quitte à se faire taper sur les doigts. Comme l’a souligné la chaîne LCP, trois des dix sanctions prononcées depuis le début de la 16e législature l’ont été lors du débat sur la réforme des retraites. En comparaison, seulement 15 sanctions avaient été prononcées lors de la précédente législature. « Yaël Braun-Pivet est la présidente qui a le plus sanctionné. Pourquoi ? Parce que le règlement lui permet de le faire. Ce n’est pas un bon signe pour notre démocratie », tance Bastien Lachaud.

Le règlement et ses sanctions disciplinaires, « on ne s’en sert pas pour faire progresser la réforme mais pour remettre le débat sur de bons rails quand c’est nécessaire », juge Mathieu Lefèvre.

Avant de filer au Sénat, le texte sur la réforme des retraites est discuté une dernière (longue) journée à l’Assemblée. Nul doute que le règlement du Palais-Bourbon sera invoqué, scruté et rappelé. Et, pour les parlementaires insatisfaits, il est possible de le modifier. « Il faut proposer une résolution de modification et qu’elle soit adoptée. Mais attention, prévient Michel Lascombe, toutes les modifications de règlement des Assemblées (Assemblée, Sénat, Congrès) sont soumises à un contrôle rigoureux du Conseil constitutionnel. »