INTERVIEW« En France, une communauté de climatosceptiques se structure sur Twitter »

Climatosceptiques : « En France, une communauté structurée de milliers de comptes est en train de naître sur Twitter »

INTERVIEWAvec trois collègues chercheurs, le mathématicien David Chavalarias vient de publier une étude sur les nouveaux fronts du climatoscepticisme sur Twitter, une communauté très vivace désormais en France
En France, l’intensification du militantisme climato-sceptique a été particulièrement marquée depuis juillet 2022, sur Twitter, pointe une étude du CNRS et de l’Institut des systèmes de complexes de Paris.
En France, l’intensification du militantisme climato-sceptique a été particulièrement marquée depuis juillet 2022, sur Twitter, pointe une étude du CNRS et de l’Institut des systèmes de complexes de Paris. - Photo by DIPTENDU DUTTA / AFP / AFP
Fabrice Pouliquen

Propos recueillis par Fabrice Pouliquen

L'essentiel

  • Depuis 2015, David Chavalarias, directeur de l’Institut des systèmes de complexes de Paris, et Maziyar Panahi, ont lancé le « Climatoscope », un outil qui collecte et analyse les débats sur le climat tenus sur Twitter.
  • Plus de 400 millions de tweets ont été collectés à ce jour, dont une partie émane de comptes climatosceptiques. C’est à ces derniers que David Chavalarias et trois autres chercheurs consacrent une étude.
  • Car cette communauté tend à se structurer et à grandir, en particulier en France depuis l’été dernier. Qui sont ces dénialistes ? Quel est leur pouvoir de nuisance ? David Chavalarias répond à 20 Minutes.

«Le CO2 est bon pour la planète », « le changement climatique n’est pas réel », « il n’y a pas consensus sur le changement climatique », « les préoccupations climatiques font partie d’un agenda politique de gauche pour détruire le capitalisme »… En 2015, le mathématicien David Chavalarias, directeur de l’Institut des systèmes de complexes de Paris *, et Maziyar Panahi, ingénieur au CNRS spécialisé en intelligence artificielle, ont lancé le Climatoscope, un outil de veille des débats sur le climat tenus sur Twitter.

Plus de 400 millions de tweets ont été collectés à ce jour, dont une partie émane de comptes qui rejettent en bloc les principales conclusions des rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec). David Chavalarias les qualifie de « climato-dénialistes » et consacre, avec trois collègues chercheurs, une étude publiée cette semaine à cette communauté qui s’intensifie. Et même nettement en France ces derniers mois. Il répond aux questions de 20 Minutes.



Quelle différence faites-vous entre dénialistes et climato-sceptiques ?

Aucune. On utilise communément le terme de « climato-sceptique », mais il n’est pas tout à fait juste. Quand on les qualifie ainsi, les climato-sceptiques arguent que c’est bien, justement, d’être sceptique, que c’est en la questionnant que la science avance. Nous sommes d’accord là-dessus. Mais ce n’est pas leur posture. Ils ne sont pas dans l’idée de faire avancer la science, mais dans celle de la ralentir en refusant les évidences, c’est-à-dire des milliers de travaux faits à travers le monde avec les méthodes les plus rigoureuses. En clair : ils ne cherchent pas à tester de nouvelles hypothèses mais sont juste dans la mauvaise foi intellectuelle. Voilà pourquoi nous préférons « dénialistes »

Combien sont-ils, ces dénialistes ?

Il y a environ 30 % de climato-denialistes parmi les comptes Twitter qui abordent les questions climatiques, si on se réfère à nos cartes Climatoscope, établies à partir des données Twitter. Mais ce qui nous a surtout frappés est l’intensification du militantisme dénialiste ces derniers mois, en particulier en France. En 2019, la communauté dénialiste française n’était quasiment pas structurée, sans un noyau dur de militants, hormis 300 ou 400 personnes. Tout a changé en 2022. Nous assistons à la naissance d’une communauté de plusieurs milliers de comptes relayant des contenus dénialistes. Ils sont environ 10.000 aujourd’hui. C’est devenu la sous-communauté la plus importante à prendre part au débat sur le changement climatique sur Twitter, même si sa taille reste bien inférieure à celle de l’ensemble des comptes qui composent la communauté pro-climat (experts du Giec, les pro-sciences climat*…)

Ces dénialistes sont-ils aussi plus actifs que les autres ?

C’est une autre tendance forte observée depuis l’été 2022, en matière de comptes actifs et de volumes de tweets. Le nombre quotidien de comptes actifs a dépassé le seuil moyen des 1.200 en juillet et en novembre. Certes, ces pics sont attendus et les autres sous-communautés les ont aussi eus. L’été est la période où les impacts du changement climatique sont les plus forts et les plus visibles. La presse en parle, les pro-climat aussi et les dénialistes tentent de contrer ce discours. Quant au pic de novembre, il s’est produit au même moment que la COP27 à Charm-el-Cheik (Egypte). Mais alors que la courbe d’activités des dénialistes était en dessous de celle des autres communautés en 2021, elle est passée au-dessus depuis cet été.

Surtout, alors que l’activité des autres communautés s’estompe une fois l’été ou la COP27 passés, celle des dénialistes reste à des niveaux très hauts. Ce qui nous fait dire que de nouveaux comportements émergent et que le dénialisme se nourrit de nouvelles actualités. On peut penser à la Coupe du monde au Qatar, perçue comme une aberration écologique, mais aussi au contexte géopolitique avec la guerre en Ukraine et les tensions sur l’énergie.

Qui sont alors les dénialistes français ?

Il y a un noyau dur d’un petit millier de comptes, qui gravitent souvent autour d’un ou de personnalités fortes. Certains de ces leaders sont connus, comme Florian Philippot. D’autres sont anonymes, peut-être même alimentés par plusieurs personnes, comme Elpis_R. Ce noyau dur a un agenda politique précis et, qu’importe leur croyance, ils sont là pour l’exécuter. Autrement dit : ils vont sur ce thème du changement climatique de manière opportuniste pour créer de la discorde dans l’opinion publique. Nous avons repéré 1.400 comptes dénialistes qui ont aussi participé à cinq autres campagnes « antisystèmes » opportunistes : la crise sociale en Guadeloupe à l’été 2021, le convoi des libertés de janvier-février 2022, la polémique complotiste autour du variant Omicron

Puis, autour de ce noyau dur, il y a un ensemble de personnes qui n’ont pas forcément un agenda en tête mais sont tombées dans cette désinformation et commencent à y croire. Globalement, quand on s’intéresse à ce que tweetent ces 10.000 comptes quand ce n’est pas sur le climat, on observe une défiance envers les institutions, une tendance à croire aux différentes théories du complot… Près de 6.000 comptes ont par exemple participé au relais de la propagande du Kremlin et à l’indignation pro-Poutine depuis le début de la guerre en Ukraine.

Vous pointez aussi, dans ces 10.000 comptes dénialistes, une surreprésentation des comptes qui sont probablement des bots…

Sur Twitter, il est fréquent d’interagir avec de parfaits inconnus ou de relayer des contenus dont nous ignorons tout de leurs auteurs et de leurs intentions. C’est un terrain propice pour l’astroturfing : une stratégie qui consiste à relayer une cause par des faux comptes, opérés par des humains ou des robots, faisant ainsi croire qu’une foule y adhère. A l’échelle mondiale, en considérant l’ensemble des messages envoyés sur Twitter dans une fenêtre de 24 heures en septembre 2022, une étude a estimé à 20 % la proportion de comptes de type « bot » (probablement automatisés). Le pourcentage est significativement plus faible dans les échanges sur le climat. Tout de même, cette proportion est en forte augmentation depuis février 2022 et on remarque que la communauté dénialiste comporte une surreprésentation de comportements inauthentiques par rapport aux communautés pro-climat, avec 6 % de comptes probablement « bot », contre 3,5 % chez les pro-climat.

Qui a intérêt à faire de l’astroturfing sur le changement climatique ?

Potentiellement tous ceux qui ont à perdre avec la transition écologique. Le spectre est large. Cela peut être des entreprises, typiquement celles du secteur des énergies fossiles, mais aussi des Etats. On sait que la Russie a recours à l’astroturfing, et le changement climatique est typiquement une thématique sur lequel le Kremlin peut vouloir créer de la discorde pour servir ses intérêts.

Quel est le pouvoir d’influence des dénialistes sur Twitter ?

Ils ont des traits caractéristiques qui leur permettent de démultiplier leur présence et d’augmenter leur audience. On l’a dit, il y a au sein de cette communauté une plus forte portion de comptes « probablement bots ». On observe aussi que, dans les communautés pro-climat, les personnes qui s’expriment le plus sur un sujet ne le font pas sur les autres, ou pas dans la même mesure. C’est une différence marquante avec les dénialistes, où un noyau dur de comptes s’exprime beaucoup sur une multitude de sujets, laissant entendre une présumée expertise.

Enfin, les dénialistes produisent ou relaient 3,5 fois plus de messages toxiques (obscénités, insultes, menaces…) que les pro-climat. Or, les algorithmes de modération de Twitter, comme la plupart des autres réseaux sociaux, favorisent ce genre de posts négatifs et hostiles. Leur réel pouvoir de nuisance reste difficile à mesurer. En tout cas, cette communauté grossit en France. Et dans d’autres pays, comme aux Etats-Unis, ils sont parvenus à conquérir une bonne partie de l’opinion. Ce n’est pas un sujet à sous-estimer.

* Cet institut a pour but de favoriser la recherche interdisciplinaire impliquant l’étude des systèmes complexes, le calcul intensif, les big datas. Dans ce cadre, ses chercheurs travaillent sur la question des dynamiques sociales et l’observation des mondes numériques.

** Communauté des personnes qui acceptent les résultats de la communauté scientifique et les synthèses qu’en fait le GIEC.