SECTION 230L’avenir du Web en jeu devant la Cour suprême des Etats-Unis

Etats-Unis : Terrorisme, recommandation et responsabilité des plateformes, l’avenir du Web en jeu devant la Cour suprême

SECTION 230Les neuf juges américains semblent réticents à revenir sur une loi de 1996 qui protège les plateformes de poursuites pénales pour des contenus publiés par des internautes
La Cour suprême des Etats-Unis, le 21 février 2023 à Washington.
La Cour suprême des Etats-Unis, le 21 février 2023 à Washington. - AFP / Pixpalace
Philippe Berry

P.B. avec AFP

Sans ces 26 mots glissés dans une loi américaine de 1996, le Web ne serait sans doute pas devenu la plateforme universelle qu’on a aujourd’hui. Mardi et mercredi, la Cour suprême des Etats-Unis s’est penchée pour la première fois sur l’épineuse question de la responsabilité des grandes plateformes via deux plaintes liées au terrorisme de Daesh déposées contre Google et Twitter. Et si les juges de l’instance suprême semblent réticents à complètement revenir sur cette fameuse « section 230 », leur décision, attendue avant le 30 juin, pourrait ouvrir la porte à un torrent de plaintes et transformer Internet.

Gonzalez v. Google, les algorithmes de YouTube en question

Nohemi Gonzalez, une étudiante américaine de 23 ans, était à la terrasse du Petit Cambodge, le 13 novembre 2015, quand les terroristes de Daesh ouvrent le feu, la tuant sur le coup. Les proches de l’unique victime américaine des attentats ont porté plainte aux Etats-Unis contre Google, la maison mère de Youtube. Ils lui reprochent d’avoir soutenu la croissance de Daesh en suggérant ses vidéos de propagande à certains usagers.

Leur plainte a jusqu’ici été rejetée par les tribunaux au nom de la section 230. Mais dans leur recours à la Cour Suprême, ils estiment que Google n’est pas un « éditeur » protégé par ce dispositif, avec une recommandation active de ses algorithmes.

Twitter v. Taamneh, le manque de modération s’apparente-t-il à de la complicité ?

Cette plainte jumelle a été déposée par la famille d’une victime d’une attaque de Daesh dans une discothèque d’Istanbul en 2017. Selon cette dernière, Twitter est complice de cet acte de terrorisme pour n’avoir pas retiré des tweets du groupe ni cessé de recommander ces messages.

La section 230, un bouclier imparfait mais crucial

Le Telecommunications Act a été voté en 1996 pour moderniser une loi de 1934. La section 230 a été ajoutée en dernière minute à la Chambre pour protéger un secteur du Web embryonnaire des poursuites, en stipulant : « Aucun fournisseur ou utilisateur d’un service informatique interactif ne doit être traité comme l’éditeur d’une information fournie par un autre fournisseur de contenu d’information ». Traduction : un forum ou un réseau social ne peut pas être poursuivi pour un contenu illégal publié par un internaute. L’idée était d’offrir un bouclier encourageant les sites Internet à faire preuve de bonne foi et à tenter de modérer au mieux leur plateforme.

Mais les jeunes pousses sont devenues des géants sous le feu régulier des critiques. « Nous sommes dans une situation délicate, parce que ce texte a été écrit à une autre époque, quand Internet était complètement différent », a résumé la juge Elena Kagan. Changer la jurisprudence pourrait « faire s’effondrer l’économie numérique, avec toutes sortes de conséquences pour les travailleurs et les fonds de pensions etc », a de son côté noté le patron de la Cour, John Roberts.

En 1997, « CNN a réalisé une interview d’Oussama Ben Laden, une interview très célèbre… Suivant votre théorie, est-ce que CNN aurait pu être poursuivi pour complicité avec les attaques du 11-septembre ? », a ensuite demandé le juge conservateur Brett Kavanaugh. Comme d’autres, il ne semble pas avoir envie d’ouvrir cette boîte de Pandore. La juge Kagan a fait rire tout le monde en notant que les neuf juges de la Cour suprême « ne sont pas vraiment les plus grands experts d’Internet », semblant appeler le Congrès à légiférer pour moderniser le texte de 1996.

Des élus remontés contre les plateformes, mais pour des raisons différentes

De nombreuses voix réclament depuis des années que cette loi soit modifiée ou retirée, considérant que Google, YouTube, Facebook ou Twitter devraient être tenus responsables quand ils facilitent la propagation de contenus dits « problématiques » pouvant avoir de graves répercussions dans la vie réelle.

Les élus des deux bords critiquent régulièrement la Section 230, mais pas pour les mêmes raisons. La gauche reproche aux réseaux sociaux de s’abriter derrière cette immunité pour laisser fleurir des messages racistes et complotistes ; la droite, outrée par le bannissement de Donald Trump de plusieurs plateformes, les accuse de « censure » sous couvert de leur droit à la modération.

Compte tenu de ces perspectives divergentes, les efforts législatifs pour amender le texte n’ont jamais abouti.