SuperprofitsEt si après Total, d’autres grandes entreprises plafonnaient les prix ?

Inflation : La décision de Total de plafonner le prix de l’essence peut-elle avoir un effet boule de neige ?

SuperprofitsTotalEnergies a décidé de ne pas augmenter l’essence au-dessus de 2 euros pendant tout 2023. D’autres grandes entreprises vont-elles lui emboîter le pas ?
TotalEnergies a décidé mercredi de plafonner le prix du carburant à 2 euros pendant toute l'année 2023 (illustration).
TotalEnergies a décidé mercredi de plafonner le prix du carburant à 2 euros pendant toute l'année 2023 (illustration). - A. Gelebart  / 20 Minutes / Sipa
Jean-Loup Delmas

Jean-Loup Delmas

L'essentiel

  • Mercredi, TotalEnergies a annoncé plafonner le prix de l’essence et du diesel à 1,99 euro pour toute la durée de 2023.
  • Une décision qui fait suite à un appel de pied d’Emmanuel Macron. Le gouvernement ne cesse en effet d’inviter les entreprises à « faire des efforts » pour soutenir les Français. Et mardi, le chef de l’Etat avait directement cité TotalEnergies.
  • Après cette décision du géant pétrolier, d’autres grandes entreprises vont-elles suivre ?

C’était une décision espérée de longue date par le gouvernement. En raison de l’inflation, l’exécutif demande en effet depuis plusieurs mois des efforts de la part des grosses entreprises, afin d’aider les Français dans la bataille du pouvoir d’achat. Un vœu longtemps resté lettre morte. Jusqu’à ce mercredi, et la décision de TotalEnergies. Le groupe a annoncé plafonner le diesel et l’essence à 1,99 euro jusqu’à la fin de l’année 2023 dans ses stations françaises. Une réponse a une énième relance du chef de l’Etat, qui avait déclaré mardi son souhait que « des entreprises comme Total » opère de petites ristournes à la pompe.

Le choix de citer TotalEnergies n’était pas anodin de la part d’Emmanuel Macron. Le 8 février, deux semaines avant la déclaration du président, le groupe annonçait avoir engrangé 19,1 milliards d’euros de bénéfices en 2022, relançant le débat sur les superprofits. Comme l’acteur énergétique, d’autres groupes affichent une santé flamboyante. Les entreprises du CAC40 ont cumulé plus de 100 milliards d’euros de bénéfices l’année dernière, selon un décompte de l’Agence française de presse, sachant que seuls 24 groupes sur 40 ont dévoilé leurs résultats. Le geste de TotalEnergies va-t-il inciter d’autres géants à plafonner certains prix, et faire effet boule de neige ? Des rayons des Fnac aux concessionnaires Renault, 2023 verra-t-elle plein de produits à prix maximum ?

Total, géant parmi les géants

Rien n’est moins sûr, avertit Benjamin Coriat, membre des Economistes atterrés. Deux raisons pour expliquer son scepticisme. Premièrement, même à l’échelle du CAC40, TotalEnergies affiche des bénéfices très, très importants. Il était numéro 1 des groupes français en 2021, aussi lors du premier semestre 2022, et devrait, sauf surprise, l’être encore sur l'ensemble de l’année. Un tel plafonnement des prix demande « d’avoir des reins solides. Total peut se le permettre sans peine, pas tous ». Même constat chez François Levêque, professeur d’économie à Mines-ParisTech : « Total est un cas à part, on ne peut transposer son modèle aux autres entreprises. »



Mais surtout, pour le moment, « c’est une offre de Gascon », rappelle Benjamin Coriat (une fausse promesse, pour ceux qui ne parlent pas le gascon). Les prix à la pompe sont actuellement bien en dessous des 2 euros. La semaine dernière, par exemple, le gazole s’est vendu en moyenne à 1,8382 euro le litre, et le sans-plomb 95-E10 à 1,8776 euro. « Bien sûr, on ne peut pas prédire l’avenir du prix de l’essence, et peut-être que cette mesure servira au cours de l’année 2023. Mais ce n’est pas une certitude. La tendance est même plutôt baissière », note l’économiste.

Des précédents sans propagation

Pour déclencher un effet boule de neige, on a vu plus convaincant. D’autant que l’acte n’est pas inédit. Plusieurs entreprises de grande distribution françaises ont multiplié ce genre d’initiatives ces derniers mois. Chez Carrefour, par exemple, le prix de 100 produits essentiels est bloqué, entre le 31 décembre 2022 et 31 mai 2023. Leclerc, Carrefour toujours et Casino enchaînent par ailleurs les « boucliers anti-inflation », mais cela ne s’est pas propagé au-delà du monde des supermarchés. Et ce n’était pas vraiment un plafonnement, mais Total avait également proposé une ristourne entre septembre et décembre 2022, de 20 puis 10 centimes d’euros le litre. Là encore, le mouvement n’avait pas essaimé hors des stations-service.

Total va-t-il faire mieux cette fois ? ? Un peu d’optimisme du côté de Sophie Schiller, professeure de droit privé à l’université Paris-Dauphine, spécialisée en droit des sociétés : « C’est sûr qu’à partir du moment où Total fait un geste, les autres entreprises ayant fait des superprofits – même moins importants – auront du mal à expliquer qu’elles ne peuvent pas le faire ».

Quels gains à faire ce genre de manœuvre ?

Et puis, inutile d’être naïf : si Total le fait, ce n’est pas par pure philanthropie, mais bien par intérêt. Au-delà d’embellir son image, « avoir un avantage de prix permet évidemment de gagner de nouveaux clients. C’est l’un des principes de base de l’économie : plus vous vendez de produits, plus vous pouvez les vendre à faible prix », analyse François Levêque. Pour Benjamin Coriat, « si la mesure est un succès et que Total en ressort grandi, elle pourrait inspirer d’autres entreprises ».

Un acteur pourrait ne pas être dans cet attentisme : le gouvernement, déjà décisif pour ce plafonnement à 1,99 euro, rappelle Sophie Schiller. « Si Total fait ça, c’est dans une volonté très politique d’entretenir les meilleures relations possibles avec l’exécutif. Cela ne changera rien pour les sociétés étrangères, mais d’autres géants français pourraient faire des gestes commerciaux si le gouvernement les y invite fortement. Il est important de bien s’entendre avec les dirigeants du pays. » Reste donc à voir si Emmanuel Macron sermonnera d’autres géants du CAC40.