AGRICULTUREL’élevage bovin décline en France, on s’inquiète ?

Salon de l’Agriculture 2023 : L’élevage bovin décline en France, on doit s’inquiéter ?

AGRICULTUREL’élevage bovin français compte près d’un million de vaches de moins qu’il y a dix ans et pourrait en perdre quasi autant d’ici à 2030… Si la tendance est inquiétante, y a-t-il tout de même du positif à en tirer ?
Un troupeau de jeunes vaches près de Loue, dans le nord-ouest de la France, le 28 juillet 2020.
Un troupeau de jeunes vaches près de Loue, dans le nord-ouest de la France, le 28 juillet 2020. - Photo by JEAN-FRANCOIS MONIER / AFP / AFP
Fabrice Pouliquen

Fabrice Pouliquen

L'essentiel

  • Il y a les départs massifs en retraite et des éleveurs qui jettent l’éponge, tout simplement, exténués par un métier harassant et peu rémunérateur… En France, le cheptel bovin décline. C’est vrai depuis les années 1980, mais la tendance s’accélère ces dernières années.
  • Ce déclin pourrait être mis à profit pour repenser le mode d’élevage, en allant vers « le moins et le mieux ». « Il n’y a aucun scénario de transition agricole pour atteindre les objectifs climatiques qui n’utilise pas ce levier de la baisse du cheptel », rappelle le think-tank I4CE.
  • Mais il faut que les consommateurs suivent, en acceptant de payer plus cher ce mieux, pointent bien souvent les éleveurs. C’est maintenant que ça se joue, au risque de laisser le champ libre aux importations et de voir disparaître, sans retour possible, des pans entiers de l’élevage bovin français.

Chaque année, le Salon de l’Agriculture a sa vache égérie, placardée sur toutes les affiches. Pour cette 59e édition qui s’ouvre ce samedi, l’honneur revient à Ovalie et sa robe acajou. Mais tout autant que le bovin, ce sont ses éleveurs qui sont mis en avant cette année : Marine et Michel Van Simmertier, qui vivront leur premier salon. Et pour cause, ce couple de trentenaires, à la tête d’un troupeau de 80 vaches dans le Cantal, s’est lancé dans le métier en 2018, sans qu’aucun des deux ne soit issu du milieu agricole.

Un profil âprement recherché à l’heure où l’agriculture française est confrontée au défi du renouvellement des générations, avec déjà 100.000 agriculteurs perdus en dix ans et des départs massifs à la retraite attendus d’ici 2030. A l’heure aussi où la France voit son cheptel bovin diminuer.



Un million de vaches perdues en dix ans

2022 n’a pas dérogé à la règle. « Nous avons perdu 110.000 vaches allaitantes (destinées à la production de viande) et 80.000 vaches laitières (destinées à la production de lait), l’an dernier », pointe Caroline Monniot, économiste de l’Institut de l’élevage. Certes, il reste en France 3,1 millions de vaches allaitantes et 3,4 millions de laitières, ce qui en fait le premier cheptel bovin d’Europe. Mais on a perdu trois millions de vaches depuis 1980. « Et ce déclin tend à s’accélérer, avec un million de vaches perdues ces dix dernières années », ajoute Yannick Fialip, président de la commission « économie » de la FNSEA, premier syndicat agricole, lui-même éleveur bovin en Haute-Loire.

La première raison n’est pas tant les départs en retraite des éleveurs, mais bien plus l’arrêt ou la réduction d’activité de ceux qui ont encore l’âge d’exercer. « Travailler avec des animaux implique une astreinte de tous les instants, sans trop de possibilités de vacances, commence Caroline Monniot. Les journées démarrent très tôt avec la traite et il y a la période de vêlage, ces deux ou trois mois pendant lesquels les éleveurs multiplient les nuits blanches afin de s’assurer que les mises bas se passent bien. »

Des exploitations qui ferment ou se végétalisent

Un métier harassant pour des revenus souvent très bas, « parmi les plus faibles de la profession agricole, précise Yannick Fialip. Les situations varient, mais la moyenne se situe entre 15.000 et 20.000 euros de revenus annuels. » Le responsable syndical cite bien la loi Egalim, promulguée en novembre 2018, dans le but est d’assurer de meilleurs prix payés aux agriculteurs. « Cela commence à porter ses fruits, estime-t-il. Mais le Covid-19 et la guerre en Ukraine ont considérablement augmenté les charges, si bien que la situation ne s’est guère améliorée. »

Résultat : certains jettent l’éponge et tournent le dos à l’agriculture. Ces conversions radicales sont plus fortes dans certains coins de France, « en zone de montagne notamment, où il peut être difficile d’avoir une autre activité agricole que l’élevage », explique Caroline Monniot. En plaine*, où le modèle des fermes allie polycultures et élevage, Yannick Fialip évoque plus « une végétalisation des exploitations ». « Les agriculteurs se séparent de leur troupeau ou le réduisent et augmentent leurs cultures, moins contraignantes et plus rémunératrices ces dernières années », détaille-t-il.

Les départs massifs à la retraite accentuent encore la « décapitalisation ». « Ce métier d’éleveurs bovins intéresse peu les jeunes générations, si bien que bon nombre d’exploitations sont reprises par les agriculteurs voisins, qui gardent les terres pour accroître leurs cultures, mais pas le troupeau », analyse Caroline Monniot.

Briser le tabou de ce déclin

Si ces tendances se confirment, la France pourrait perdre encore 584.000 vaches allaitantes et 441.000 vaches laitières à l’horizon 2030 par rapport à 2021, table l’Institut de l’Elevage.

Forcément une mauvaise nouvelle ? C’est que l’élevage bovin a une lourde empreinte carbone, liée notamment au méthane que relâchent les vaches par leurs pets et leurs rots**. « Il n’y a aucun scénario de transition agricole en vue atteindre les objectifs climatiques qui n’utilise pas ce levier de la baisse du cheptel », rappelle Claudine Foucherot. Tout l’enjeu alors, pour la directrice du programme « Forêt et Agriculture » de l’Institut de l’économie sur le climat (I4CE), est de briser le tabou autour de ce sujet. « Tant qu’on n’arrive pas à assumer cette baisse, on se prive des moyens de l’accompagner, de l’anticiper plutôt que la subir ».

Les éleveurs ne sont pas contre aller vers cette nouvelle approche du « moins et mieux », glissent tant Caroline Monniot que Yannick Fialip. Mais à condition que les consommateurs suivent. On n’y est pas encore, observe I4CE dans une étude publiée ce mercredi. « Certes, la consommation de viande par Français a un peu diminué ces dernières décennies, mais dans le même temps, la population française a augmenté, explique Claudine Foucherot. Au global donc, notre consommation de viande augmente… Et se transforme, avec plus de repas préparés ou pris au restaurant. On va vers du plus et du moins bon. »

« C’est maintenant que ça se joue »

Le think-tank appelle donc les pouvoirs publics à accompagner bien plus qu’ils ne l’ont fait à ce jour cette transition. « La mesure phare à ce jour est l’instauration des menus végétariens dans les cantines, reprend Claudine Foucherot. Elle est positive, ne serait-ce par ses vertus pédagogiques. Mais il faut aller bien plus loin. » I4CE imagine plusieurs mesures possibles ***, jusqu’à toucher à la fiscalité, « en indexant par exemple la TVA sur les produits alimentaires en fonction de leurs impacts environnementaux ».

Invité à s’exprimer par I4CE, Bruno Dufayet, éleveur dans le Cantal et ancien président de la Fédération nationale bovine, veut aller plus loin. « L’enjeu est de définir concrètement et collectivement ce qu’on entend par élevage durable, jusqu’où place-t-on le curseur de la réduction du cheptel et comment on implique tout le monde, y compris les consommateurs, dans cette transition ». Pour lui, c’est maintenant que ça se joue, « au risque sinon d’importer de plus en plus la viande bovine que nous consommons et pour laquelle nous ne maîtrisons pas la façon dont elle est produite ». Yannick Fialip a la même crainte et ajoute que « lorsqu’un agriculteur arrête l’élevage, il n’y a pas de retour en arrière possible ». « En culture, on peut arrêter les carottes et y revenir cinq ans plus tard quand le contexte est plus favorable, compare-t-il. En élevage, ce n’est pas possible. Les investissements sont trop lourds. »

*« On observe dans le centre de la France mais aussi, de plus en plus dans les Pays de la Loire et en Bretagne, où on ne l’aurait jamais imaginé il y a peu encore », précise Yannick Fialip.

** L’organisation des Nations unies pour l’agriculture et l’alimentation (FAO) estime que l’élevage contribue à 14,5 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. A l’échelle de la France, le Citepa évalue à 14,7 % la part de l’élevage des ruminants dans les émissions nationales de gaz à effet de serre.

*** Claudine Foucherot évoque, par exemple, des mesures visant la proposition systématique d’un repas végétarien dans les restaurants, la réduction des portions de viande dans les plats préparés ou encore un encadrement publicitaire pour les produits carnés.