InterviewAprès le drame de Saint-Jean-De-Luz, des ados témoins « à surveiller »

Enseignante tuée à Saint-Jean-De-Luz : « La scène peut resurgir de façon brutale » chez les ados qui en ont été témoins

InterviewLe professeur Manuel Bouvard, chef du pôle de pédopsychiatrie de l’hôpital Charles Perrens à Bordeaux, estime qu’il ne faut pas à tout prix faire parler les élèves mais les accompagner, de façon individuelle
Les élèves du collège-lycée Saint Thomas d'Aquin ont observé une minute de silence jeudi, au lendemain du drame qui a coûté la vie à une professeure d'espagnol.
Les élèves du collège-lycée Saint Thomas d'Aquin ont observé une minute de silence jeudi, au lendemain du drame qui a coûté la vie à une professeure d'espagnol.  - Julie SEBADELHA / AFP
Elsa Provenzano

Elsa Provenzano

L'essentiel

  • Mercredi matin, une enseignante a été mortellement poignardée par un élève dans un lycée privé de Saint-Jean-De-Luz, en plein cours d’espagnol.
  • Le professeur Manuel Bouvard, chef du pôle de pédopsychiatrie de l’hôpital Charles Perrens de Bordeaux, explique les effets de sidération et d’irréalité que la scène a pu produire chez les adolescents.
  • Il estime qu’ils doivent être accompagnés pour parler, sans qu’on les oblige à s’exprimer avant qu’ils n’en soient capables. La moitié d’entre eux va éprouver des difficultés à mettre des mots sur cet événement très violent.

Une scène glaçante de meurtre, en direct. Une classe entière de seconde a assisté au meurtre de sa professeure d’espagnol, poignardée mortellement par un camarade de classe en plein cours, mercredi dernier dans le lycée Saint-Thomas-d’Aquin, à Saint-Jean-de-Luz. Un épisode forcément extrêmement choquant pour tous ces adolescents de 15 à 16 ans, mais auquel ils ne vont pas réagir de la même façon. Le professeur Manuel Bouvard, chef du pôle de pédopsychiatrie de l’hôpital Charles Perrens de Bordeaux, répond aux questions de 20 Minutes sur les conséquences de cet événement sur ces jeunes.

Peut-on dire que la scène est d’autant plus traumatisante pour ces adolescents que les faits se sont produits dans un lieu censé être sécurisé, et que la victime est une personne représentant l’autorité (éducative en l’occurrence) ?

Il faut d’abord préciser qu’à l’école, on n’est pas dans un univers où tout le monde est gentil, ce n’est pas la crèche. Les adolescents côtoient la violence scolaire, ils n’y sont pas étrangers. On sait que le cyberharcèlement concerne un quart des collégiens, par exemple. Le fait que cela concerne un enseignant, une figure plutôt respectée, et dans ce cas qui avait l’air bienveillante et appréciée, c’est comme une statue qui est déboulonnée. Cela renforce l’impression de sidération, d’irréalité et aussi celui d’insécurité, on peut se dire : « si on a pu faire ça à une professeure on peut faire ça à n’importe qui ? »

Comment peuvent réagir ces adolescents qui ont été témoins de cette grande violence ?

Face à ce type de situation, il y a des réactions individuelles mais tout le monde va partager de la sidération et de l’incrédulité. Que ce soit pour les adultes ou les adolescents, il y a d’abord une incapacité à penser ce qui s’est passé.

Quelques minutes, quelques heures voire quelques jours après les faits, selon les personnes, le sujet peut se comporter très à distance de l’événement qu’il a vécu. Mais il y a toujours un temps de latence, sous l’effet de la brutalité du traumatisme, après lequel les émotions qui ont été bloquées vont réapparaître.



Quels symptômes doivent particulièrement alerter les adultes qui côtoient ces adolescents ?

Tous ces jeunes doivent faire l’objet d’une surveillance très régulière. On peut observer des symptômes non spécifiques comme les troubles du sommeil, le repli social, ou le refus d’activités qu’ils affectionnaient.

Il faut intervenir quand on sent que s’installent de l’irritabilité, de la tristesse, des crises de colère, des troubles du sommeil et/ou de l’endormissement. Dans les formes les plus sévères, le sujet peut être envahi par des images, c’est-à-dire que la scène resurgit de façon brutale, et elle est souvent associée à un cortège d’anxiétés très important. Il peut y avoir également le refus anxieux de l’école, et des cauchemars. Mais tout le monde ne va pas développer ces symptômes.

Faut-il forcément insister pour que ces enfants verbalisent ce qu’ils ont vécu ?

ll est indispensable que des professionnels interviennent assez vite pour ces états de stress post-traumatiques et c’est le rôle des cellules d’urgences médico-psychologiques. Elles se mettent à la disposition des gens, pour les aider à verbaliser. Mais attention, ce n’est pas un interrogatoire, mais un espace pour parler du vécu et des émotions afin d’éviter un refoulement émotionnel.

Pendant une période, on était trop intrusifs et cela peut être délétère. On sait que la moitié des adolescents environ aura beaucoup de mal à en parler. On se doit de mettre à leur disposition un espace chaleureux et accueillant d’écoute mais pour ceux qui ont déjà des problèmes d’anxiété et qui sont les plus fragiles, il faudra y aller doucement. D’autant plus que c’est une génération (les 11-16 ans) qui a été fragilisée par le Covid et l’isolement social. On a vu de nombreux jeunes arriver en état de détresse émotionnelle.

Comment les aider à traverser cette période ?

Certains n’iront pas bien et auront besoin de soins spécialisés en soins de stress post-traumatiques. Ils auront besoin de voir un spécialiste ou peut-être dans un premier temps un médecin généraliste, parfois perçu comme moins « stigmatisant ». Dans les formes les plus sévères, cela peut nécessiter des hospitalisations si cela génère des menaces sur eux-mêmes, des idéations suicidaires.

L’accompagnement doit être propre à chacun des jeunes. Certains vont se réparer sans avoir à en parler beaucoup, il faut respecter ça. Mais le respect ne doit pas être de l’indifférence, il faut être dans l’accompagnement et il ne faut pas passer à côté d’un jeune qui aurait envie de parler de ça. Il faut échanger, en rassurant en reparlant de l’événement, de la personne décédée mais aussi de l’auteur. Il y a besoin d’aller vers une compréhension, cet acte étant tellement incompréhensible.

Ont-ils besoin d’en parler entre eux ?

Le travail en groupe est particulièrement important pour les adolescents, car ils vont plus facilement parler avec leurs pairs, mais il faut aussi respecter la démarche de chacun. Il ne faut pas faire de forcing car ceux pour qui c’est le plus difficile d’échanger en groupe, sont souvent ceux qui vont le plus mal. Et, au-delà de la parole entre les adolescents, il faut aussi une parole adulte pour expliquer les choses, par exemple que c’est dramatique mais extrêmement rare.

Ceux qui n’ont pas assisté directement à la scène mais qui sont dans les autres classes d’établissement doivent aussi faire l’objet d’une certaine vigilance car ils ont été exposés à cette violence d’une certaine façon.


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