Le travail, c'est la durée 1/6« Je sers encore à quelque chose », lance ce médecin girondin de 79 ans

Retraite en Gironde : « Plus ça va et plus je me dis que ce n’est pas un métier », lance un médecin de 79 ans

Le travail, c'est la durée 1/6A l’heure du vif débat sur la réforme des retraites, des Français continuent, par passion ou contrainte, de travailler bien après l’âge légal les autorisant à cesser leur profession. En Gironde, le docteur Christian Henry exerce encore à 79 ans
Le docteur Christian Henry apprécie de garder une vie sociale à travers son métier de médecin généraliste à la Réole, en Gironde.
Le docteur Christian Henry apprécie de garder une vie sociale à travers son métier de médecin généraliste à la Réole, en Gironde.  - E.Provenzano/20Minutes / 20 Minutes
Elsa Provenzano

Elsa Provenzano

L'essentiel

  • Le projet gouvernemental de réforme des retraites, qui vise notamment à reculer l’âge légal de départ à la retraite, est vivement contesté depuis janvier.
  • En France, il est possible de travailler jusqu’à la fin de ses jours. Un salarié du secteur privé peut toutefois être contraint par son employeur de stopper son activité à partir de l’âge de 70 ans. Idem dans le secteur public à partir de 67 ans.
  • A 79 ans, Christian Henry continue d’exercer par passion en tant que médecin généraliste à la Réole, en Gironde. Il accepte même les nouveaux patients.

A 79 ans, Christian Henry a largement dépassé l’âge légal de départ à la retraite. Ce médecin reçoit encore, par choix, des patients de 7h à 20h dans son cabinet de La Réole, en Gironde, installé dans une jolie demeure en pierres qui abrite également son logement. Il a été diplômé en 1970 et cela fera exactement un demi-siècle qu’il a ouvert son cabinet en libéral, en octobre prochain.

Ce médecin à l’apparence soignée et au regard vif ne veut pas s’asseoir à son bureau pour que l’entretien n’ait pas l’air d’une consultation. Les symboles ont du sens pour celui qui a validé une spécialité en neuropsychiatrie puis dirigé le service médecine handicap et gériatrie à l’hôpital de La Réole, jusqu’à ses 65 ans. Il n’a pas vraiment l’impression de poursuivre sa carrière en continuant à exercer en libéral, auprès d’actuellement environ 2.500 patients.



« Plus ça va et plus je me dis que ce n’est pas un métier », explique le presque octogénaire qui ne fait pas son âge (tous ses patients lui disent) et qui assure qu’il « ne traîne jamais des pieds pour se lever le matin ». Mais attention, il ne veut pas qu’on l’érige en modèle, « je n’ai aucune leçon à donner ». Plus prompt à parler cinéma ou littérature que politique, le docteur Henry, quand on lui demande son avis sur la réforme des retraites, répond « qu’il faut laisser les gens faire ce qu’ils veulent. C’est idiot de faire arrêter les gens comme ça, sauf pour certains, qui travaillent à la chaîne par exemple, et qui sont épuisés bien sûr ».

Une vie sociale, auprès des patients

S’il ne décolère pas que certains de ses confrères aient pu penser qu’il travaillait à l’ancienne, sans ordinateur, en s’appuyant sur une photo parue dans Le Généraliste, il n’embrasse pas toutes les évolutions de la modernité. Ce qui porte ce médecin érudit, c’est sa relation avec le patient qu’il considère comme un « sujet » et pas un dossier. Il a du mal avec le fonctionnement des maisons médicales, où l’on peut prendre rendez-vous avec son médecin traitant mais être reçu par un remplaçant. « Et moi je ne m’arrête pas à 18 h et je travaille pratiquement six jours par semaine, explique-t-il. Je réponds la nuit si on m’appelle, mais je ne prends pas de garde. » Et vous ne le verrez pas sur Doctolib, il faut passer par le secrétariat. Il accepte même de nouveaux patients, annonciateurs de nouvelles rencontres dont il se réjouit. « Mais les secrétaires ne veulent pas trop », glisse-t-il.


Ce médecin généraliste de 79 ans s'occupe encore d'environ 2.500 patients.
Ce médecin généraliste de 79 ans s'occupe encore d'environ 2.500 patients.  - E.Provenzano

Avec deux maisons dans le sud de la France et un appartement à Paris, le médecin Réolais n’a pas de problème financier. Ce n’est vraiment pas pour l’argent qu’il continue à travailler. « Ma vie c’est une vie avec l’autre, sociale », explique-t-il. Et depuis le décès de son épouse, il y a cinq ans, c’est aussi une façon d’échapper à la solitude. « Je n’arrive pas à bien digérer l’histoire, je suis un peu à fond sur ma relation avec les patients », reconnaît-il. Elle était gynécologue accoucheur et ils travaillaient tous les deux au moment de son décès soudain, à la suite d’un infarctus.

« Je sers encore à quelque chose »

On sent que pour le docteur Henry, son travail est une façon de rester debout. « J’ai l’impression de bouger encore, je me dis que je ne suis pas cuit et que je sers encore à quelque chose », commente-t-il. Il ne se sent pas fatigué mais convient que son choix de poursuivre son activité libérale repose sur sa santé physique. « Si j’avais une paralysie par exemple, je ne continuerai pas, le moteur c’est ça », pointe-t-il. Il continue à faire régulièrement du golf avec ses amis pour se maintenir en forme.

Côté tête, on comprend rapidement que ce n’est pas la curiosité intellectuelle qui fait défaut à ce praticien. Multipliant les références littéraires et cinématographiques, il lance à intervalle régulier « vous pigez », pour s’assurer d’avoir toujours l’attention de son interlocuteur. « Ce dont je suis sûr, c’est que ce qui nous sauve de notre animalité, c’est l’art, la musique, l’esthétique, la culture, la lecture, une conversation intéressante etc. », philosophe-t-il. Cinéphile, il a été marqué à vie par le visionnage à 17 ans de deux films : Le Septième sceau et Les Fraises sauvages, de Ingmar Bergman. Dans ce dernier, un médecin en fin de carrière se remémore ses souvenirs de sa vie de médecin de campagne.

Notre dossier réforme des retraites

Et le docteur Henry, qui a grandi à la Réole, à environ une heure de Bordeaux, revendique sa carrière rurale tout en se désolant que ses confrères rechignent à venir s’installer dans le secteur. Quand ils y travaillent, ils choisissent très rarement d’y vivre. « On peut très bien avoir une vie intellectuelle importante ici », assure-t-il, en voulant pour preuve que lui et son épouse assistaient à cinq à six pièces par an à La Comédie française à Paris.

L’approche des 80 ans le fait néanmoins réfléchir. « Je pense que je dirai stop à un moment donné, glisse-t-il. On ne se voit pas tel qu’on est. Et, c’est vrai que je ne suis pas fatigué mais, le soir, je peux être un peu plus étourdi ». La minute d’après, il raconte comme il décorerait ses murs s’il avait « à refaire sa salle d’attente », expliquant que des portraits suggérés d’Einstein, Montaigne, Beethoven et Kubrick auraient leur place…

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