« Les garçons russes ne pleurent jamais » : Valérie Van Oost joue l’adoption contre la provocation

Marceline Bodier, contributrice du groupe de lecture 20 Minutes Books, vous recommande « Les garçons russes ne pleurent jamais » de Valérie Van Oost, paru le 7 mars 2023 aux Éditions Most.

Sa citation préférée :

« Depuis le McDo de Moscou, Juliette scrute la jeunesse russe, les grands adolescents de l’âge de Sacha. Elle tente d’imaginer qui ils sont, où ils ont grandi, ce qu’ils vont faire de leur vie. »

Pourquoi ce livre ?

• Parce que c’est une histoire d’adoption. Sacha est Français, mais il est né en Russie. Pour lui, les quelques mois dans un orphelinat sont une histoire, au même titre que celle de Petit Ours Brun. La Russie ? Un décor qu’il a découvert sur YouTube en se demandant « si les Russes sont complètement tarés ». Pourtant, cette rage en lui pourrait-elle être « l’âme slave », « noire et pourtant lumineuse », des livres que sa mère lit dans l’espoir de le comprendre ? Bien sûr que non. C’est un voyage initiatique bien plus personnel le long de la Volga que nous raconte le livre…
• Parce que ce n’est pas n’importe quelle histoire d’adoption : elle est inspirée de l’histoire de l’autrice, autoéditée en 2020, choisie par un éditeur pour sortir en 2023. Le titre choisi avant le conflit armé n’aurait-il pas dû être modifié ? Avant de vous récrier, lisez simplement ce qu’en a dit l’autrice sur Instagram… « J’imagine la détresse encore plus vive dans les orphelinats, d’un côté ou de l’autre du Donnas. Aujourd’hui, le personnage principal a l’âge de mon fils. L’âge de la chair à canon envoyée au front. » Changer le titre ? Non merci… surtout pas !
• Parce que l’ombre terrifiante de ce destin qui aurait attendu Sacha s’il n’avait pas été adopté plane forcément sur la lecture qu’on en fait aujourd’hui. Pour autant, c’est pour toutes les adoptions que cette question de « l’autre destin » se pose. C’est même pour toutes les vies, pour toutes les adolescences, qu’on peut se demander « et si »… Les contradictions du roman sont celles de Sacha, mais elles parlent à tout le monde : vide intérieur et expériences ordaliques, famille bourgeoise et intuitions populaires, amour et rejet des parents, autant de sujets universels !
• Parce que si vous n’aimez pas le rap, alors vous êtes comme Juliette ! Si vous n’aimez pas les suites de Bach, alors vous êtes comme Sacha ! Et si vous aimez Katy Perry… aïe, c’est une autre histoire : rendez-vous dans le livre pour la comprendre. Mais dans tous les cas, vous êtes sensible à la musique, parce qu’elle dit vos émotions mieux que vos propres mots. Et c’est bien tout ce qui compte. D’ailleurs, pour commencer, et si vous essayiez la playlist du livre sur Deezer ?
• Parce que je vous recommande de retenir le nom de la maison d’édition : Most, qui signifie Pont, en russe. Un pont, c’est bien ce que fait le roman. Un pont entre des peuples plutôt qu’entre leurs dirigeants, un pont entre les vivants plutôt qu’entre des morts, un pont entre des adolescents, Sacha et Ilya, qui ont besoin de trouver dans leur histoire personnelle des raisons de se battre et de se réconcilier, mais surtout pas dans celle de leurs pays. Et comme cette maison d’édition est belge, l’autrice est présente à la foire du livre de Bruxelles, qui ouvre le 30 mars. Allez à sa rencontre !

L’essentiel en 2 minutes

L’intrigue. Sacha a été adopté et sa crise d’adolescence est « explosive ». Oui, mais sa mère a vécu une longue « gestation invisible » suivie d’une projection brutale dans la maternité. Quant à son père, il est troublé par cette « forme de paternité sans ligne droite ». Comment faire fonctionner la famille ?

Les personnages. Un ingénieur, une torréfactrice. Un Normand, une Versaillaise. Un homme rigoureux, une femme joyeuse. Un scientifique, une originale. Le garçon « immense, dégingandé et protecteur », « la lumière de sa vie ». Un homme, une femme… des parents. Et Sacha, dans tout ça ?

Les lieux. Au cœur des ténèbres, Mort sur le Nil… En littérature, remonter le cours d’un fleuve ne peut pas être anodin, et on le comprend : toutes les métaphores du retour à la source sont permises. Mais qui sait quelles surprises nous réserve un livre dans lequel c’est vers l’embouchure qu’on se dirige ?

L’époque. En 2023, le terme « russe » dans un titre ne peut pas être anodin, n’y revenons pas. Mais « ne jamais pleurer », ça ne devrait pas l’être non plus ! D’autant plus que dans le passage du livre dont est tiré le titre, les garçons russes ne pleurent pas, mais sourient. Et qui sait ce que cache ce sourire…

L’auteur. « Toutes les familles heureuses se ressemblent, mais chaque famille malheureuse l’est à sa façon ». C’est un Russe qui l’a dit. Tolstoï aurait-il pu imaginer l’histoire de Juliette, Antoine et Sacha ? Certainement. Mais c’est Valérie van Oost qui l’a fait, et en 2023, c’est le livre qu’on attendait.

Ce livre a été lu avec Google maps dans une main, une boîte de mouchoirs dans l’autre ! J’adore l’idée que le livre raconte une histoire forte, et que la manière dont il nous arrive aujourd’hui est, elle aussi, le fruit d’une belle histoire. A la clé, une expérience marquante.

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