forces de l’ordreComment expliquer la vague de démissions dans la police et la gendarmerie ?

Sécurité : « Pour rien au monde, je ne retournerai en arrière »… Démissions en cascade dans la police et la gendarmerie

forces de l’ordreDans un rapport publié en avril dernier, la Cour des comptes observe une vague de démissions inédites dans les rangs des forces de l’ordre
Photo illustration de la police nationale Francaise en action//07ALLILIMAGES_sipa.34027/Credit:MOURAD ALLILI/SIPA/2302031607
Photo illustration de la police nationale Francaise en action//07ALLILIMAGES_sipa.34027/Credit:MOURAD ALLILI/SIPA/2302031607 - MOURAD ALLILI/SIPA / SIPA
Thibaut Chevillard

Thibaut Chevillard

L'essentiel

  • Selon un récent rapport de la Cour des comptes, un nombre record de départs a été recensé dans la police et la gendarmerie en 2021 et 2022.
  • L’institution explique notamment cette vague de démissions par la concurrence des polices municipales. Policiers et gendarmes démissionnaires seraient aussi désabusés par le poids de la procédure, selon le sociologue Mathieu Zagrodzki.
  • Linda Kebbab, secrétaire nationale du syndicat Unité SGP Police-FO, évoque pour sa part « une administration peu humaine et peu reconnaissante à l’égard de ses agents ».

Après avoir porté l’uniforme bleu durant quinze ans, Julien a décidé de quitter la gendarmerie. Il s’est installé avec sa famille près de Bayonne (Pyrénées-Atlantiques) et s’est reconverti comme coach sportif en ligne. « Pour rien au monde, je ne retournerai en arrière ! », rigole cet homme de 40 ans à la carrure athlétique. Il n’imaginait pas, avant de s’engager, « qu’il y avait autant de paperasse ». « Je pensais qu’on ferait plus de missions pour aider les gens alors qu’au final, on était noyé sous les procédures. C’était lourd. »

Affecté dans une brigade en région parisienne, il a été confronté « à des situations stressantes » et côtoyait au quotidien « la misère sociale ». Un métier difficile, avec des horaires décalés, qui nécessite un investissement important. Après réflexion, il s’est « motivé à se lancer » dans une nouvelle activité lui permettant de vivre de sa passion et de passer plus temps avec sa femme et ses enfants.

Un record en 2021... Battu en 2022

Julien est loin d’être le seul dans ce cas. « Depuis la pandémie de Covid-19, le nombre de personnels quittant la police et la gendarmerie nationales est croissant », écrit la Cour des comptes dans un rapport publié en avril dernier. « Le record du nombre de départs au sein de la police et de la gendarmerie a été battu en 2021, puis de nouveau dépassé en 2022, témoignant d’un phénomène de fond installé depuis la fin de la crise sanitaire. »



En 2022, la police a connu 10.840 départs, contre 9.248 en 2018, soit une hausse de 15 %. De son côté, la gendarmerie a enregistré l'année dernière 15.078 départs, contre 10.880 quatre ans plus tôt, soit une augmentation de 38 %. « Ce phénomène ne s’explique pas par les départs en retraite, globalement stables sur la période », souligne l'institution, qui avance plusieurs motifs comme « l’augmentation des détachements dans d’autres administrations » ou « la concurrence avec les polices municipales, qui attirent de plus en plus policiers et gendarmes ».

Concurrence des polices municipales

« Il y en a quelques-uns qui sont arrivés chez nous, mais nous avons aussi des difficultés pour recruter », nuance Fabien Golfier, secrétaire national de la FA-FPT police municipale. L’avantage, pour les policiers et gendarmes souhaitant travailler pour une municipalité, « c’est qu’ils peuvent aller à peu près où ils veulent en termes d’affectation géographique. C’est un plus pour ceux qui veulent partir ou retourner en province. Il y a aussi une charge de travail moins lourde, les conditions sont très différentes, surtout pour les gendarmes, qui sont corvéables à merci », poursuit le syndicaliste.

La plupart des policiers qui sortent d’école sont affectés en région parisienne. « Or les délais sont très longs pour rejoindre leur région d’origine », observe Linda Kebbab, secrétaire nationale du syndicat Unité SGP Police-FO. Ce qui peut expliquer, selon elle, cette vague de démissions. « Avec leur expérience, ils parviennent à négocier des postes intéressants dans les polices municipales, qui sont montées en force ces dernières années », remarque-t-elle également.

« Il y a des déceptions »

Mais la syndicaliste avance d’autres raisons à ces départs. « Beaucoup entrent dans la police avec des étoiles dans les yeux et avec l’envie d’exercer le métier. Mais il y a des déceptions et des déconvenues sur le long terme. Ils découvrent une administration peu humaine et peu reconnaissante à l’égard de ses agents, ce qui affecte le moral. »

« Il y a forcément eu des motivations déçues suite à la vague d’entrée en 2015 et 2016 », analyse Mathieu Zagrodzki, chercheur associé au Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (Cesdip), spécialiste des questions de police et de sécurité. « Après les attentats, il y avait eu de nombreuses candidatures de gens qui avaient pour idée de protéger la France et la République, rappelle-t-il. Mais le quotidien des policiers et des gendarmes, ce n’est pas ça. Et beaucoup n’y ont pas trouvé leur compte. Ils se sont retrouvés à faire de petites enquêtes de proximité, à intervenir sur des différends de voisinage, ce qui ne correspondait pas tout à fait à l'idée qu'ils se faisaient du métier. »

Un recrutement dégradé

Le sociologue pointe lui aussi le poids démesuré de la procédure qui mine le moral des agents et militaires. « Les policiers commencent généralement en sécurité publique et les gendarmes en gendarmerie territoriale. Ils doivent gérer ce qu’on appelle du petit judiciaire : de la prise de plainte, une enquête sur un vol à l’arraché ou une altercation en sortie de bar. Finalement, ils se retrouvent à faire beaucoup de paperasse en n’étant pas beaucoup sur le terrain et en n’arrivant pas forcément à résoudre ces enquêtes. »

L’une des conséquences de cette vague de départs chez les forces de l’ordre est la dégradation de la « qualité des recrutements et des formations pour se conformer à l’objectif politique d’un "recrutement massif de policiers et de gendarmes" », observe la Cour des comptes. Ainsi, « le taux d’admission au concours de gardien de la paix est passé de 2 % en 2014 à 18 % en 2020, tandis que les formations de gardien de la paix et d’officier avaient été raccourcies. ».