MANIPULATIONPourquoi un homme qui donne trop de preuves d’amour, ça ne sent pas bon ?

« Love-bombing » : Pourquoi un homme qui donne trop de preuves d’amour, ça ne sent pas bon ?

MANIPULATIONLe « love-bombing » est évoqué dans les séries « Ted Lasso » et « A moi la nuit, toi le jour », l'occasion de s'intéresser à la face cachée du prince charmant
Illustration d'un coupe amoureux
Illustration d'un coupe amoureux - StockSnap/PIXABAY / PIXABAY
Laure Beaudonnet

Laure Beaudonnet

L'essentiel

  • La dernière saison de Ted Lasso et la série A moi la nuit, toi le jour évoquent toutes les deux le love-bombing, une stratégie de prédation bien connue des manipulateurs.
  • Grâce au personnage de Justin, la série A moi la nuit, toi le jour met un coup au concept de prince charmant.
  • Derrière les grandes déclarations et les démonstrations d'affection se cachent souvent un mécanisme d'emprise.

Le prince charmant n’existe pas et il faudrait même plutôt s’en méfier. En deux répliques, Rebecca (Hannah Waddingham) esquisse les grands principes du love-bombing [le bombardement d’amour] dans la dernière saison de Ted Lasso. « C’est quand on est bombardé de cadeaux, de voyages et de grands gestes d’amour », dit-elle à Keeley (Juno Temple) qui débute une relation amoureuse avec une très riche investisseuse. Si la série portée par Jason Sudeikis ne fait que survoler le concept de love-bombing avec humour, la série britannique A moi la nuit, toi le jour (The Flatshare en VO) sur Paramount+ étudie plus sérieusement les mécanismes de l’emprise avec un personnage qu’elle tourne volontiers au ridicule. Qu'est-ce qui se cache réellement derrière ce mot-valise? Et pourquoi faut-il se méfier d'un homme qui vous couvre de cadeaux et vous abreuve de déclarations d'amour? 

Avec son personnage de Justin (Bart Edwards) qui tente de reconquérir Tiffany (Jessica Brown Findlay), A moi la nuit, toi le jour détricote les fils de cette stratégie bien connue des manipulateurs. Privatisation d’une salle d’un restaurant gastronomique, envoi de centaines de roses, demande en mariage au beau milieu d’une cérémonie où Tiffany doit être récompensée pour un article de presse. Il lui arrache d’ailleurs son « oui » devant une salle peuplée de journalistes. A travers cette effusion d'amour, Justin tente de contrôler Tiffany et de l’isoler de ses proches – il a gardé à son insu l’accès à son téléphone et efface les messages de ses amis.

Le pervers narcissique « frappe » très vite et très fort

On retrouve les trois mêmes méthodes utilisées par les auteurs de violences conjugales et par les gourous de sectes: l’affiliation, le conditionnement et la coercition. « Le love-bombing est une technique de la phase de conversion de la victime au culte du manipulateur et d’affiliation à lui dans un rapport de loyauté presque indéfectible », explique Annie Ferrand, psychologue spécialisée dans le traitement des psychotraumatismes. Le pervers narcissique « frappe » très vite et très fort, à coups de grandes déclarations d’amour pour que le piège se referme rapidement sur la victime.

« La technique la plus classique est celle du "nous contre les autres". On la retrouve dans les cultes sectaires et dans les violences conjugales avec un pervers narcissique. L’agresseur donne l’illusion à la victime qu’il s’est rangé de son côté, il y a un nous contre le monde entier qui s’instaure. C’est une technique d’isolement de la victime », poursuit-elle. Et c’est très clair dans la série. Justin explique vouloir protéger Tiffany de son colocataire, pointe sa naïveté, lui laisse penser qu’elle a été abandonnée par ses proches, qu’il est le seul à la comprendre. Il se présente comme son seul soutien tout en la rabaissant, mine de rien, à travers des petites remarques désobligeantes qui viennent ponctuer ses déclarations d’amour dégoulinantes.

Le piège de l'endettement

Les cadeaux s’inscrivent dans la même stratégie d’affiliation. C’est la partie symbolique et matérielle du love bombing. « Elle vise à pourrir l’autre, au sens presque littéral du terme, à le corrompre. Les associations d’aide aux victimes conjugales voient dans cette technique une façon d’assurer l’impunité de l’agresseur en impliquant la victime dans la commission des faits. Et une des manières de l’impliquer, c’est de lui donner des bénéfices secondaires à être piégée, reprend Annie Ferrand. Cela fait partie d’un piège qui consiste à endetter l’autre ». La victime voit dans ces cadeaux, la preuve de l’amour du manipulateur. Il ne lui veut pas de mal puisqu’il l’aime.

Dans cette phase de séduction, le pervers narcissique n’est pas avare de « clichés abrutissants » (thought-terminating clichés, en anglais), des poncifs qui ont la faculté d’éteindre l’esprit critique. « Nous deux c’est pour la vie », « toi et moi, on est les seuls à se comprendre ». Ces phrases toutes faites permettent de résoudre la dissonance cognitive vécue par la victime, elles réconcilient la contradiction entre les paroles amoureuses de l’agresseur et ses violences. Pour une fois, la fiction fait rapidement le lien entre débordements d'affection et système de prédation bien rodé. On est très loin de ce qu'on a l'habitude de voir dans les comédies romantiques qui ont tendance à valoriser la galanterie chevaleresque. A moi la nuit, toi le jour fait voler en éclats l’idée de prince charmant, le montrant sous des traits monstrueux, et s’offre un personnage féminin qui se libère de l'emprise.

Morale de l’histoire, mieux vaut ne pas trop s’emballer devant un homme qui sort le grand jeu. « C’est comme quand on vous propose un super smartphone pour deux euros, sachant qu’on n’a jamais rien gratuitement dans un système capitaliste, on ne s’emballe pas. C’est juste un principe de précaution », conclut Annie Ferrand. Une femme a plus de chances de tomber sur un pervers narcissique que sur l'homme providentiel*. Si un prince vous propose de monter sur son cheval blanc, le plus sage, c’est de partir en courant.

En 2019, en moyenne, le nombre de femmes âgées de 18 à 75 ans qui, au cours d’une année, sont victimes de violences physiques et/ou sexuelles commises par leur conjoint ou ex-conjoint, est estimé à 213.000 femmes, selon le site du gouvernement Arrêtons les violences. « Il s’agit d’une estimation minimale. L’enquête n’interrogeant que les personnes vivant en ménages ordinaires, elle ne permet pas d’enregistrer les violences subies par les personnes vivant en collectivité (foyers, centres d’hébergement, prisons,etc.) ou sans domicile fixe. De plus, seules les personnes vivant en France métropolitaine sont interrogées. Enfin, ce chiffre ne couvre pas l’ensemble des violences au sein du couple puisqu’il ne rend pas compte des violences verbales, psychologiques, économiques ou administratives », explique le site.