REPORTAGEConflit entre la mairie des Saintes-Maries-de-la-Mer et les gens du voyage

« Ils veulent nous remplacer par des acteurs »… Aux Saintes-Maries-de-la-Mer, le marché de la colère

REPORTAGELe pèlerinage des gens du voyage aux Saintes-Maries-de-la-Mer s’effectue cette année sur fond de conflit avec la mairie
Les musiciens des gens du voyage animent les soirées du pèlerinage des Saintes-Maries-de-la-Mer.
Les musiciens des gens du voyage animent les soirées du pèlerinage des Saintes-Maries-de-la-Mer. - RAPHAEL BLOCH/SIPA / SIPA
Alexandre Vella

Alexandre Vella

L'essentiel

  • Du 24 au 26 mai, se déroule le pèlerinage des gens du voyage aux Saintes-Maries-de-la-Mer.
  • Il donne lieu à un marché fait par et pour les Gitans que la mairie a essayé de déplacer en dehors du village.
  • L’événement attire également de nombreux touristes.

Ils ne sont plus en odeur de sainteté. Aux Saintes-Maries-de-la-Mer (Bouches-du-Rhône), où se déroule à partir de mercredi et pendant trois jours le pèlerinage gitan, le feu couve entre les gens du voyage et la maire. « C’est simple, la mairie a essayé de nous mettre dehors », constate Yohan, président du Comité Tsigane Paca. Derrière son étal de vente de toiles cirées, ce forain qui habite à l’année à Tarascon, n’en revient pas d’être, en 2023, « encore victime de discrimination ».



C’est du moins son interprétation du conflit qui a opposé la communauté des gens du voyage à la mairie des Saintes-Maries-de-la-Mer après que celle-ci a annoncé sa volonté de déplacer leur marché tenu en période de pèlerinage sur la place principale en dehors de la ville. Après un bref mais efficace blocage total de la ville début mai par les gens du voyage, la mairie est revenue sur son idée. « Cela se passerait n’importe où ailleurs, j’aurais pu croire à une méconnaissance, une maladresse. Mais pas ici », enchaîne-t-il.

Une place « donnée » aux Gitans par un marquis

Pas ici, car ce village de 2.000 habitants du front de mer de la Camargue est considéré comme étant la capitale des Gitans. Depuis des décennies, si ce n’est des siècles, s’y réunit chaque année plus de 20.000 Gens du voyage venus de toute l’Europe pour y honorer Sainte Sara, servante de Marie-Madeleine et Marie-Salomé, sœur de la Vierge Marie dans la tradition catholique. Sainte des voyageurs, car c’est sur ces rivages que se serait échouée Sara après avoir fui la Judée en barque.

Et derrière cette tradition cultuelle qui donne lieu à une procession religieuse, c’est un temps fort de la vie de la communauté gitane qui se tient. En voulant changer l’organisation de son marché, c’est dans leur identité et leur histoire que les Gitans se sont sentis attaqués. « Cette place nous a été donnée par le marquis de Baroncelli, elle s’appelle place des Gitans. L’histoire fait que nous avons le droit de la revendiquer », soutient le président du Comité Tsigane et coorganisateur de ce marché de 120 exposants fait par les Gitans, pour les Gitans. On y trouve tout le matériel nécessaire à la vie en caravane à une date précédant la saison du voyage qui commence en juin. C’est aussi l’occasion pour les familles de se retrouver avant de partir travailler sur les routes, dans les champs, les jardins, les travaux.

La menace pentecôtiste

Reste qu’au fil des décennies ce pèlerinage est devenu également une véritable attraction touristique. Et sur la place des Gitans, la mairie avait imaginé d’autres animations. Cinquante roulottes en bois, la présentation de métiers anciens, un podium pour le concert de Négrita, chanteuse star de la communauté. « Ils veulent nous remplacer par des acteurs ! », s’exclame le vendeur de toile cirée. « Ça, c’est la façon dont on vivait au XIXe siècle », raille Jean, un exposant qui propose à côté du linge de maison vendu par sa femme, ses services de ferrailleur, de ravaleur de façade et de travaux de jardinage.

Si la question du marché a cristallisé les tensions, le sujet de la disposition des caravanes n’est pas en reste. Comme l’an passé, pour fermer l’accès au centre-ville à celles-ci, près de 200 blocs de bétons ont été disposés çà et là. De fait, les campements se sont établis en périphérie et sur la pelouse du stade. Mais avec ces sujets de discordes, se lit aussi en négatif une perte d’intérêt de la dimension religieuse de l’événement. « Tout ça, c’est devenu du commerce, on ne va pas se le cacher », souffle Jean-Louis, venu de Corrèze. Lui a été baptisé ici, son fils à Lourdes. « Mes grands-parents mettaient un mois à venir ici en roulotte tractée par des chevaux », se souvient-il, témoignant ainsi de la détermination de leur foi.

Car le sujet d’inquiétude de Jean-Louis est davantage celui du recul de la foi catholique chez ses pairs que celui du marché ou des caravanes. La faute aux évangélistes, pentecôtistes essentiellement, culte qui gagne du terrain chez les Gitans. « Ils font payer 50 euros par caravane pour l’accès à un champ où ils font un rassemblement. Ils ont des pratiques de sectes », s’agace-t-il. A ses côtés, Aouelle, une Gitane habitante des Saintes acquiesce : « Le pèlerinage n’a plus rien à voir avec avant. Les gens s’en foutent de la foi maintenant », regrette-t-elle, vêtue d’une robe bleue, soutenant une ancestrale bannière à la gloire de Sainte Sara.

Recul du religieux et prévalence de l’économie, finalement, tout se passe comme si la communauté gitane suivait la même évolution que la société en général. « La société nous a demandé de changer, et on a changé. Mais c’est en tuant le marché qu’ils tueront le folklore », rappelle Jean en prenant à partie une enfant gitane vêtue d’une robe traditionnelle que sa mère promène dans les allées. « Regarde cette petite. Dans trente, quarante ou cinquante ans, elle viendra encore ici, et c’est comme ça que la tradition se transmet », complète celui qui vit en itinérance toute l’année pour « n’avoir jamais appris à faire autrement ».