GUERRE ET PAIX413 milliards d’euros d'ici à 2030, toujours plus pour l'Armée ?

Défense : 413 milliards d’euros d'ici à 2030, le budget des armées est-il condamné à augmenter sans cesse ?

GUERRE ET PAIXL’Assemblée nationale examine pendant deux semaines une nouvelle loi de programmation militaire, courant de 2024 à 2030, qui voit les dépenses largement augmenter
Un soldat français en exercice en Estonie, le 20 mai 2023.
Un soldat français en exercice en Estonie, le 20 mai 2023.  - Jaap Arriens / AFP
Rachel Garrat-Valcarcel

Rachel Garrat-Valcarcel

L'essentiel

  • L’Assemblée nationale examine pendant deux semaines la loi de programmation militaire 2024-2030, qui projette 413 milliards d’euros de dépenses.
  • Ce budget, en forte hausse, fait l’objet de critiques, mais pas tant sur la nécessité de ce réarmement.
  • Même pour les oppositions, cette hausse paraît presque inéluctable vu la nouvelle situation internationale.

Du lourd ! Après la réforme des retraites et de nombreux textes techniques ou secondaires, députés et députées se penchent depuis lundi sur la loi de programmation militaire 2024-2030 (LPM). Du lourd car le texte sera examiné pendant deux semaines. Et du lourd car il s’agit de dépenser au total 413 milliards d’euros d’ici à 2030, soit une hausse de 40 % par rapport à la précédente LPM. « Le niveau de dépense que vous engagez est énorme ! », a d’ailleurs lancé le communiste Fabien Roussel au gouvernement pour commencer les débats, en début de semaine.

Le total, qui cumule le budget militaire des sept prochaines années, interpelle. Les députés et députées qui suivent le dossier, mais aussi les spécialistes, rappellent d’abord qu’environ un tiers des 100 milliards supplémentaires sont le fait de l’inflation, ce qui n’est pas rien. Tout de même : la France s’apprête à dépenser 59 milliards d’euros par an pour ses forces armées, contre environ 14 milliards d’euros à la fin des années 1990. La majorité macroniste s’enorgueillit d’ailleurs de doubler ce budget militaire en 2030 par rapport à son arrivée au pouvoir, en 2017.

Peu de naïfs

Cette hausse, de LPM en LPM, est-elle inéluctable ? « Espérons que non, car on veut tous un monde de paix !, affirme le président de la commission de la Défense, Thomas Gassilloud (Renaissance). Mais on doit s’adapter au risque : il y a un ensauvagement du monde et de profondes mutations technologiques, on est obligé d’investir pour rester au top. » Depuis la vague d’attentat des années 2015, mais surtout depuis la guerre en Ukraine, « on est dans une époque de changements stratégiques, c’est clair et net, tranche Jean-Pierre Maulny, directeur adjoint de l’Iris. Les budgets n’avaient pas cessé de baisser depuis la fin de la Guerre froide ; désormais ils augmentent, partout en Europe, et parfois plus fortement qu’en France. »

« Certains pensent que nous dépensons trop, ce qui me paraît dangereux ou naïf », a défendu lundi le ministre des Armées, Sébastien Lecornu. Sauf que sur les bancs des oppositions, on ne trouve pas grand monde pour nier que les « dividendes de la paix », c’est-à-dire la baisse des budgets de Défense après la Guerre froide, sont terminés. Il devrait d’ailleurs au final y avoir peu de votes contre le texte. A droite, on considère que cette LPM « n’est pas une loi historique, mais une loi raisonnable. ». Et même à gauche ! La socialiste Anna Pic souligne notamment que les hausses annuelles sont similaires à la précédente LPM et veut tenir la promesse faite aux partenaires de l’Otan, c’est-à-dire arriver à 2 % du PIB en dépenses militaires.

L’autonomie coûte cher

Certes, les communistes semblent plus remontés, mais l’insoumis Aurélien Saintoul ne croit pas aujourd’hui crédible une proposition sans forte hausse des budgets militaires : « Il n’y a pas vraiment d’alternative. Si on n’est pas dans une politique de grandeur, c’est forcément la relégation ». Les insoumis, qui ont présenté un contre-projet très détaillé, défendent en revanche le fait que leur vision de la planification permettrait une dépense plus efficace : « Dans ce cas-là, vous n’avez pas seulement une dépense militaire mais duale, c’est-à-dire au service du militaire et du civil, explique le député des Hauts-de-Seine. D’une certaine manière, sans boussole, vous allez tout droit. Et là, il y a une fuite en avant des dépenses. »

Ce qui coûte cher à la France, c’est son autonomie stratégique. « Cela veut dire qu’on fabrique nous-même nos armements, quand les autres achètent souvent ''sur étagère'', explique Jean-Pierre Maulny. On a donc de grands programmes d’armements sur trente ou quarante ans, ce qui fait qu’on a une dépense militaire assez rigide. » Et il y a « une tendance inquiétante » à la hausse des prix, hors inflation : « Bientôt, pour 413 milliards, vous achèterez deux chars ! », ironise Saintoul. Pourquoi ? Parce qu’on a tendance à aller au mieux-disant technologique, « dans une approche mercantile pour les vendre à des pays qui ont un budget illimité, comme l’Arabie saoudite ». Et ce sans que la France en ait vraiment besoin pour elle. Jean-Pierre Maulny veut croire que la prise de conscience de l’Etat-major sur cette question est réelle.

Transparence

Les écologistes voient aussi quelques marges de manœuvre : par exemple sur la modernisation de la dissuasion nucléaire, qui représente une part importante de la nouvelle LPM. La présidente du groupe, Cyrielle Châtelain, estime que la France devrait « engager les actions diplomatiques pour un désarmement nucléaire ». La députée de l’Isère voudrait aussi qu’on mise davantage sur la défense européenne pour gagner en efficacité : « La vraie solution, c’est la mutualisation des moyens de la défense européenne, plutôt que des augmentations de budgets séparées et pas coordonnées. » Un objectif crédible selon Jean-Pierre Maulny, même si cela « ne doit pas se faire à n’importe quel prix ».



413 milliards d’euros d’ici à 2030, voilà qui, encore une fois, frappe les esprits. Mais Jean-Pierre Maulny, qui ne voit pas dans cette LPM de révolution, l’assure : « L’armée est désormais clairement une priorité, mais pas la première. Il y a un arbitrage avec les autres politiques publiques. » Il est vrai qu’à l’échelle globale, l’armée ne représente que 3 % de la dépense publique annuelle. A titre de comparaison, l’éducation représente 9,5 % de cette même dépense, si on en croit le site gouvernemental « En avoir pour mes impôts ». La députée PS de Cherbourg Anna Pic conclue en invitant à compenser cette forte hausse des dépenses militaires par une plus forte transparence : « Quand on met de telles sommes, dans le contexte actuel d’inflation, les Françaises et les Français doivent savoir pourquoi c’est nécessaire. »

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