TIC, TAC« On s’emmerde grave »… Le monde politique en pleine mélasse post-retraites

Réforme des retraites : « On s’emmerde grave »… Le monde politique en pleine mélasse

TIC, TACLe débat politique semble atone, comme suspendu à une réforme des retraites dont la page ne se tourne toujours pas tout à fait
Le président de la République, Emmanuel Macron.
Le président de la République, Emmanuel Macron. - Jacques Witt/SIPA / SIPA
Rachel Garrat-Valcarcel

Rachel Garrat-Valcarcel

L'essentiel

  • Elle est là sans être là, la réforme des retraites : avant le possible vote de l’abrogation, le 8 juin, et la fin des « 100 jours » le 14 juillet, le monde politique paraît dans l’attente.
  • Les sujets mis en avant par le gouvernement ne manquent pas, mais, aussi bien dans la majorité comme dans l’opposition, on constate que peu de choses impriment.
  • La gauche, notamment, refuse de « passer à autre chose », mais a peu d’options.

Est-ce l’air du mois de mai et ses ponts, qui font du bien mais coupent tout élan ? Ou la scène politique française est-elle bien dans une drôle de période ? « Y’a un peu de ça », reconnaît le député MoDem Erwan Balanant ; « On est sur un petit creux », abonde le socialiste Arthur Delaporte. Mais d’autres sont plus radicaux - et plus anonymes : « On se fait chier… C’est la grisaille ! », cingle un écolo ; « On s’emmerde grave », tranche le conseiller d’un ministre en vue.

« On est dans un faux plat, c’est vrai, commente un conseiller socialiste. Mais plus on va s’approcher du 8 juin, plus ça va être folklo. » Le 8 juin, ce sera le jour où le groupe divers droite/divers gauche Liot (Libertés, indépendants, outre-mer et territoires) aura la maîtrise de l’ordre du jour de l’Assemblée et va présenter sa proposition d’abrogation du report de l’âge de la retraite à 64 ans. « C’est une date qui revient pas mal dans les conversations », reconnaît, soucieux, un conseiller ministériel haut placé.

Veillée d’armes

Le député écologiste Benjamin Lucas – qui ne s'« ennuie jamais »- voit lui, dans la période actuelle, « une veillée d’arme » en vue du 8 juin. « La bataille des retraites n’est pas terminée, ça n’existe pas, un combat politique qui se termine. Ce que l’Assemblée nationale a fait, et là elle ne l’a pas vraiment fait, l’Assemblée nationale peut le défaire. » Pour la gauche, il est rigoureusement impossible de passer à autre chose : « Ce serait quand même entériner un passage en force sur un truc vraiment structurant du quinquennat, explique un conseiller socialiste. Je crois qu’une partie des Français, qui ont à cœur les combats de justice et de travail, espèrent que les oppositions se bougent pour empêcher le gouvernement de passer à autre chose. » Mais les options sont « institutionnellement limitées », reconnaît Arthur Delaporte, décrivant une Assemblée « verrouillée ».

Au cours de cette veillée d’arme, l’exécutif et la majorité s’organisent à plus ou moins bas bruit. Comment éviter le camouflet de l’adoption d’une quasi-abrogation de la réforme des retraites ? Obstruction ? Vote bloqué ? Jouer sur l’éventuelle inconstitutionnalité du texte ? La dernière option tient la corde, et les deux autres sont toujours sur la table. « On est scotchés par ça, s’agace le MoDem Erwan Balanant. Ça nous prend beaucoup de temps alors que ça ne devrait pas, ça n’aboutira à rien et tout le monde le sait. Faut qu’on se remette au travail. »

Débats aseptisés

Certains contestent l’importance de la niche Liot. « Ça va être un jour comme un autre ! », croit la macroniste Nadia Hai. Elle nie d’ailleurs aussi cette idée d’une période d’attente : « On s’emmerde pas du tout ! », s’offusque-t-elle, le nez sur l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. Et c’est vrai qu’il est plein comme un œuf : bientôt le projet sur le partage de la valeur au travail, sur l’industrie verte, sur la justice… et actuellement le très gros morceau de la loi de programmation militaire. « Pas un jour de session parlementaire ne sera gâché », prévenait Matignon lors de la présentation de la feuille de route des « 100 jours » annoncés par Emmanuel Macron début avril.

C’est l’autre grande date qui suspend un peu le temps : le 14 juillet, moment auquel le président a annoncé vouloir faire un premier bilan de cette nouvelle phase du quinquennat. A gauche, autant vous dire qu’on n’a pas vraiment coché la date. « C’est quoi, le débouché des 100 jours ? Une nouvelle interview d’Emmanuel Macron pour se redonner du temps ? », ironise Benjamin Lucas. Pour lui, l’atonie est provoquée par l’incapacité des macronistes « à négocier, construire des compromis et convaincre. Du coup, ils aseptisent les débats ».

« Le tourbillon présidentiel est passé, et maintenant c’est un peu vide »

Au gouvernement, en revanche, plusieurs reconnaissent être légèrement suspendus à cette échéance : « C’est gazeux, certains se sentent en sursis, ça se sent. » Pourtant, ils sont de moins en moins à attendre un « big bang » le jour du feu d’artifice, parfois à regret. Le chef de l’Etat était pourtant revenu tout feu, tout flamme, sur la scène nationale en avril, avec plusieurs interventions et de nombreuses visites en provinces sur l’industrie, l’éducation, la santé… « C’était une bonne stratégie, croit un conseiller ministériel. Il a réussi à éloigner le bruit négatif des retraites, a repris la main. Mais peu de choses ont imprimé alors qu’il a parlé de choses importantes. Je ne crois pas que ce soit arrivé jusqu’aux Français. »

L’exemple le plus frappant est son annonce, certes floue, de baisse des impôts pour les classes moyennes, la semaine dernière sur TF1. Cette interview – énième intervention médiatique majeure en quelques semaines - a non seulement été peu suivie, mais en plus les annonces ont été jugées peu crédibles. « Le tourbillon présidentiel est passé, et maintenant c’est un peu vide », explique un autre conseiller, qui note que la bride de l’Elysée et Matignon sur les interventions des ministres est toujours très serrée. Le président « a ce travers de penser que si ce n’est pas lui qui fait, c’est nul ».

Double déni

Moins pessimiste, un conseiller haut placé juge que la Première ministre a réussi à exister ces derniers jours « sur les sujets TE » (comprendre : transition écologique), mais reconnaît « qu’on est dans une période où j’ai du mal à voir ce qui pourrait structurer l’actualité à part les retraites. » C’est là, sans être là. La crise des retraites n’est plus le sujet principal mais, d’une certaine manière, toujours un boulet pour l’exécutif.


Cet entre-deux est le résultat d’un double déni. Celui des oppositions, qui ne peuvent se résoudre à admettre la défaite. Et celui du gouvernement, vis-à-vis du coût politique exorbitant de sa victoire. Chaque camp à des arguments sérieux : il y avait encore des centaines de milliers de personnes dans la rue le 1er-Mai contre la réforme. Et le gouvernement peut se targuer d’avoir été au terme, si non du « cheminement démocratique », selon son expression, au moins d’un cheminement institutionnel légal. Alors, c’est la crise politique ? Non, peut-être plus une mélasse politique.