SPORTNoah, OM... A-t-on raison de commémorer les vieilles victoires du sport français ?

40 ans pour Noah, 30 pour l’OM… A-t-on raison de commémorer ces victoires vieilles comme le monde ?

SPORTAlors que l'OM va célébrer le 30e anniversaire de sa victoire en C1 et que Roland rend hommage cette année aux 40 ans de celle de Noah, on s'interroge sur ce que ces célébrations en grandes pompes disent du sport français
Le sport français célèbre au même moment les 30 ans de la victoire de l'OM en C1 et les 40 de celle de Yannick Noah à Roland.
Le sport français célèbre au même moment les 30 ans de la victoire de l'OM en C1 et les 40 de celle de Yannick Noah à Roland.  - COLIN MAX/STF / SIPA/AFP
Aymeric Le Gall

Aymeric Le Gall

L'essentiel

  • L'Olympique de Marseille célèbre les trente ans de la victoire du club en finale de la Ligue des champions, ce week-end, contre Brest.
  • De son côté, Roland-Garros s'apprête à fêter les 40 ans de la victoire de Yannick Noah à la Porte d'Auteuil.
  • Ces deux commémorations de victoires vieilles comme le monde interrogent sur le rapport de la France à ces succès sportifs ancestraux.

C’est certainement le plus gros serpent de mer de l’histoire du sport français de ces quarante dernières années. A l’approche de Roland-Garros, la question à 10 millions de roubles qui revient inlassablement sur le tapis : Mais-qui-qui-c’est-le-Français-qui-va-enfin-succéder à-Yannick-Noah-au-palmarès-de-Roland ? Un peu à la manière de Marie Myriam à l’Eurovison, en somme. Et chaque année, comme à l’Eurovision, c’est sans le moindre haussement de sourcils qu’on constate que ce n’est pas encore pour aujourd’hui. Et très probablement pas pour demain non plus.

Alors, à défaut de gagner, on commémore. Hasard du calendrier, cette année, en plus de célébrer en grande pompe le quarantième anniversaire de la victoire de Yannick Noah sur l’ocre parisien, à l’occasion duquel le Français aura droit à une fresque sur les murs de Roland, l’Olympique de Marseille va aussi se mettre sur son 31 pour fêter les 30 ans de la victoire du club en Ligue des champions, samedi, à l’occasion de la réception de Brest au stade Vélodrome.

Quarante ans d’un côté, trente de l’autre, oui, il faut parfois remonter très loin pour se rappeler aux bons souvenirs de la France qui gagne. Certes, dans moult sports, notamment d’un point de vue collectif et des sélections nationales, on n’a pas de quoi rougir, on pense pêle-mêle à l'équipe de France de foot, aux Bleus et Bleues du hand et du basket ou à Riner au judo (liste non exhaustive). Mais eux, justement, ne commémorent pas plus que ça leurs succès passés. En le disant à notre manière (bête et méchante), ne serait-ce pas dès lors un gros truc de loser ? La commémoration comme le signe indéfectible d’une nostalgie un peu pathétique et l’aveu implacable de notre absence totale d’espoirs en nos chances futures.

« C’est principalement quand on est dans l’attente d’un nouveau trophée, que le précédent s’éloigne inexorablement, que le désir d’une nouvelle victoire augmente et qu’on active cette nostalgie », acquiesce Patrick Clastres, professeur d’histoire du sport à l’Université de Lausanne.

« Il faut aller de l’avant, on vit trop dans le passé »

Soyons honnêtes deux minutes, quelle personne normalement constituée - à part Franck McCourt et son OM Champions Project – imagine l’OM sur le toit de l’Europe dans les décennies à venir ? Pour ce qui est du tennis, et il suffit de regarder la gueule du tirage au sort effectué ce jeudi pour s’en convaincre, on se dit qu’on sera déjà bien heureux s’il nous reste quelques rescapés et rescapées au 3e tour de Roland. On fait donc avec ce qu’on a, on se souvient des jours heureux. Pour Alexandre Jacquin, chef du service des sports de La Provence, il est grand temps de dire stop. Même si, paradoxalement, son canard va sortir un cahier spécial de 124 pages pour célébrer la victoire olympienne en C1.

« Pour moi, il faudrait que ce soit la dernière fois qu’on célèbre le titre de champions d’Europe. C’est bon, on n’oubliera pas. Il faut que progressivement l’OM de maintenant prenne le dessus plutôt que de vivre dans le passé. Ça remonte à quand le dernier titre ? 2012 et la Coupe de la Ligue. Entre-temps, combien de clubs seconds couteaux ont gagné des trucs ? Oui, mais nous on est "A jamais les premiers"… Il faut aller de l’avant. Tu vis trop dans le passé, à un moment donné c’est beaucoup trop. »

Cette nostalgie serait-elle une spécificité exclusivement franchouillarde ? Pour Patrick Clastres, c’est un grand non. « Le sport a tendance à commémorer depuis ses origines. C’est une grande tradition sportive, ce n’est pas nouveau et pas spécifique à la France. Ça se retrouve dans tous les pays, ça fait partie de l’histoire de clubs, des sélections, on fête les grandes dates, les anniversaires des victoires. » Auteur du livre 1983  sur la victoire de Yannick Noah, paru récemment aux éditions Flammarion, Antoine Benneteau pense même que la France n’en fait pas assez.


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« Je trouve au contraire que ce n’est pas très français de commémorer les victoires, à mon sens on ne le fait pas assez. J’ai passé quatre ans à l’Université de Floride, une grande université sportive aux Etats-Unis, avec de grands champions comme Ryan Lochte en natation ou des Christian Taylor, champion olympique de triple saut, Joachim Noah en basket, et je trouve qu’ils sont dans une célébration permanente des athlètes et de leurs victoires. Ça correspond à une certaine culture de la gagne qu’il faudrait plus véhiculer chez nous. D’un, parce que c’est la moindre des choses, de deux parce que ça contribue à inspirer les jeunes générations qui arrivent, pour qu’ils aient conscience que d’autres l’ont fait et que donc c’est possible. »

Et on en pense quoi de tout ça hors de nos frontières ? Pour le savoir, on est allé demander l’avis de Christopher Clarey, l’ex-mister tennis du New York Times, pas moins de trente-deux Roland-Garros au compteur. A l’arrivée, ce n’était peut-être pas le meilleur choix. « Moi, vous savez, je ne suis pas le meilleur exemple de 'l'étranger' car j’ai passé tellement de temps en France, je parle la langue et j’apprécie votre culture. Peut-être que pour d’autres étrangers, ça pourrait prêter à sourire, parce que Noah n’a gagné qu’une seule fois Roland-Garros et que c’était il y a déjà quarante ans, mais moi je comprends l’initiative, confie-t-il. Et puis il y a déjà la statue de Rafael Nadal, qui est certes incroyable comme champion mais qui n’est pas Français. Il était temps que Roland fasse quelque chose. »

Le réveil tardif de RG pour rendre hommage à Noah

Finalement, au moins dans le cas de Yannick Noah, il faut peut-être faire le poirier et prendre la question à l’envers. Ce n’est pas tant de célébrer les quarante piges de sa victoire qui est honteux, c’est de le faire aussi tard. Antoine Benneteau : « On en parlait avec Yannick au moment d’écrire le bouquin. Il est content qu’il y ait une trace qui soit laissée à Roland-Garros, mais j’ai envie de dire qu’il était temps ! Dans les autres tournois du Grand Chelem, il y a la Rod Laver Arena à l’Open d’Australie, il y a le Arthur Ashe Stadium à l’US Open, et nous on a fait quoi ? On a fait une statue de Rafael Nadal. Alors, c’est très bien, c’est le maître des lieux, mais il est Espagnol. Qu’il faille attendre quarante ans pour que Yannick ait une trace indélébile à Roland, c’est un peu dommage. »

Interrogé dans le livre de Benneteau, l’intéressé avoue lui-même que la pilule n’est pas passée. « L’histoire c’est qu’il y a environ six mois, je vais voir un match de boxe organisé à Roland-Garros avec Eleejah et Joalukas (deux de ses enfants). C’est la première fois que je me rends sur place avec mes gosses et, une fois là-bas, je m’aperçois qu’il n’y a rien, pas une trace de ma victoire. Ça m’a fait bizarre… », raconte Noah. Qu’il se rassure, l’erreur sera bientôt effacée. « Les commémorations jouent un rôle important en ce sens qu’elles servent à tisser des liens entre les générations, embraye l’historien du sport. Rappeler de grandes sagas, de grandes victoires, c’est comme ça qu’on crée du lien entre le passé et le présent. Et il faut que ça reste avant tout un moment de joie. » Qu’on se rassure, donc, ce week-end, de Paris à Marseille, il n’y aura aucune raison de rougir à l’idée de fêter nos gloires passées.

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