transition ecologiqueL’écologie, poil à gratter des grandes AG

TotalEnergies : L’écologie, l’invité plus du tout surprise lors des Assemblées générales des grands groupes

transition ecologiqueLongtemps mise sous le tapis lors des assemblées générales, la question écologique revient désormais systématiquement sur la table lors des réunions des grands groupes, par le biais de militants ou d’actionnaires
Des activistes climatiques présents devant l'Assemblée générale du groupe pétrolier Shell, au Royaume-Uni
Des activistes climatiques présents devant l'Assemblée générale du groupe pétrolier Shell, au Royaume-Uni - AFP / Daniel LEAL / AFP
Jean-Loup Delmas & Emilie Jehanno

Jean-Loup Delmas & Emilie Jehanno

L'essentiel

  • TotalEnergies et Carrefour organisent leur assemblée générale ce vendredi. Une résolution d’actionnaires minoritaires, souhaitant des objectifs climatiques plus ambitieux, est attendue dans chacune des AG.
  • Ce scénario suppose néanmoins que les Assemblées générales aient lieu. Plusieurs activistes souhaitent empêcher celle de TotalEnergies.
  • Comme pour ces deux groupes, la question écologique est aujourd’hui devenue immanquable dans quasiment toutes les assemblées générales des sociétés cotées.

Ce vendredi, TotalEnergies plonge en plein paradoxe. Alors que le groupe a connu des bénéfices records en 2022 - 21 milliards d’euros tout de même -, rarement une assemblée générale du géant pétrolier n’avait semblé aussi (at)tendue. Plusieurs ONG et activistes climatiques ont signé une tribune en prévenant : « L’assemblée générale de Total n’aura pas lieu ». L’an passé déjà, des militants avaient empêché l’accès à certains membres. Et même au sein de l’assemblée, cela s’annonce électrique. Car 17 investisseurs, détenant 1,5 % des parts de l’entreprise, ont annoncé leur intention de déposer ce vendredi une dérogation consultative pour que le géant pétrolier « aligne ses objectifs de réduction » des émissions de gaz à effet de serre sur l’accord de Paris pour 2030. Une idée là aussi persistante. En 2020, une première résolution contraignante sur le plan climatique avait déjà été déposée, recueillant 17 % des votes. L’an passé, TotalEnergies avait refusé qu’un tel texte soit soumise au vote. Ambiance…

Et ce n’est pas l’assemblée générale de Shell, mardi, qui devrait rassurer le groupe. Le fonds de pension de l’Eglise d’Angleterre y a voté contre la reconduction des dirigeants, leur reprochant une transition écologique insuffisante. Rajoutez des militants écologistes venus perturber l’événement, et voilà un possible avant-goût de ce que Total va connaître aujourd’hui.



« Une séquence où il est important de se montrer »

Longtemps taboue ou esquivée, la question écologique est aujourd’hui devenue inévitable lors des AG des groupes pétro-gaziers et bancaires, et bien au-delà. Le 17 mai, la militante ougandaise Hilda Flavia Nakabuye avait interpellé le directeur général du Crédit agricole au cours de l'AG du groupe, plus gros soutien bancaire à TotalEnergies : « Je suis ici pour vous parler de la destruction qui a lieu chez moi et à laquelle vous contribuez. Le pipeline Eacop que TotalEnergies est en train de construire à déplacer 100.000 personnes en Ouganda et en Tanzanie. » La militante avait demandé à Philippe Brassac de prendre position pour stopper Eacop, pour que TotalEnergies mette fin à l'expansion pétrolière et gazière et aligne ses activités sur un scénario 1,5 degré.

Citons également début mai le lancer de gâteau à la crème en direction des actionnaires à la grand-messe de Volkswagen, et le discours du PDG interrompu par une militante torse nue, la poitrine recouverte de slogans. Ou le cas, le 26 avril, du géant britannique des hydrocarbures BP, qui a vu son lot d’actionnaires frondeurs promettre de voter contre la réélection du président du conseil d’administration.

Un sujet incontournable, donc. Et « un enjeu qui a transformé le contexte actuel de façon tellement profonde que les grands groupes ont tout intérêt à se saisir du sujet, note Clémence Knaebel, directrice conseil innovation et développement durable chez Publicis Sapient, cabinet de conseil stratégique. Non seulement parce qu’il y a peu de chances qu’il disparaisse, mais aussi parce qu’il y a plus à gagner sur la durée à s’en saisir volontairement qu’à l’esquiver ».

« Les assemblées générales sont une séquence stratégique où il est important de se montrer », confirme Lorette Philippot, porte-parole des Amis de la terre, association climatique très présente dans les AG : « On vient pour mettre en lumière la réalité des activités de l’entreprise, en essayant d’ouvrir les yeux des actionnaires. » Pour cela, des scientifiques sont souvent conviés par les militants, afin d’exposer les faits les plus précis possible. « Ce sont des moments où la stratégie de l’entreprise est présentée, et où la trajectoire future se trace. On vient juste rappeler la vérité au-delà des beaux discours de greenwashing ».

Une présentation des enjeux climatiques non obligatoire

Des actions que Lorette Philippot veut croire efficace : « Notre but n’est pas de changer le résultat de l’AG en cours. Mais c’est important que les entreprises soient mises face à leurs actes. Et surtout, sur un temps plus long, des actionnaires peuvent réfléchir à leur soutien à ces grands groupes. » Même constat de lente évolution pour le Forum pour l’investissement responsable (FIR). L’association, crée en 2001, réunit des investisseurs et des acteurs de la société civile, et a pour but de pousser les sociétés cotées en bourses à s’engager en faveur du développement durable. Un chemin, on l’a dit, encore long : « Seules trois entreprises du CAC40 ont présenté une stratégie climatique en AG l’année dernière. Il n’y a aucune obligation légale à le faire, ni à organiser un vote », regrette Nathalie Lhayani, présidente de l’association.

Un manque auquel le FIR aimerait remédier. En compagnie d’autres acteurs, le forum a demandé au ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, d’ajouter au projet de loi « Industrie verte » l’obligation de présenter une stratégie climatique aux actionnaires au moins tous les trois ans, ainsi que la possibilité pour ces derniers de voter sur le sujet. En attendant le verdict, le FIR note déjà certaines améliorations. Nathalie Lhayani : « De plus en plus d’investisseurs sont concernés par les enjeux climatiques, et demandent des comptes avant d’approuver les plans des entreprises ».

De l’activisme actionnarial

Certains actionnaires s’en sont même fait une spécialité. Notamment Ecofi, société de gestion qui mène une stratégie « d’activisme actionnarial ». Comprendre : elle investit dans de nombreuses entreprises - comptez 292 participations à des Assemblées générales l’année dernière - et vote selon plusieurs critères ESG - Environnementaux, Sociaux et de bonne Gouvernance. Sur la question climatique, Cesare Vitali, responsable de l’analyse ESG, donne deux exemples : « On votera toujours contre un projet qui indique vouloir réduire les émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030 ou 2050 sans donner de chiffres précis. Ou si l’entreprise parle de compensation et non de diminution ». En moyenne, Ecofi vote à 41 % « non », contre 19 % pour l’ensemble des actionnaires.

On en revient aux résolutions. « Il faut détenir 5 % du capital de l’entreprise pour être certain que la résolution soit présentée en AG. On se réunit donc entre plusieurs actionnaires engagés pour demander davantage d’ambitions climatiques. » Ce vendredi, le groupe Carrefour a le droit à sa résolution, notamment proposée par Ecofi, portant sur une transition écologique plus efficace. « Ces actions et ces votes peuvent être considérés comme des aiguillons pour prendre ce grand tournant, avec l’exigence de combiner l’ambition écologique et l’ambition économique, que l’entreprise ne peut abandonner », plaide Clémence Knaebel. Début de réponse ce vendredi.