reportageA la prison de Poitiers, les détenus plébiscitent le travail

Prison : « Ça m’évite de péter les plombs »… A Poitiers, les détenus plébiscitent le travail

reportageAu centre pénitentiaire de Poitiers-Vivonne (Vienne), 90 détenus travaillent quotidiennement pour le compte de 17 entreprises
Le garde des Sceaux discutent avec un détenu qui fabrique des pièces détachés pour les baies vitrées.
Le garde des Sceaux discutent avec un détenu qui fabrique des pièces détachés pour les baies vitrées.  - Thibaut Chevillard / 20 Minutes
Thibaut Chevillard

Thibaut Chevillard

L'essentiel

  • Le garde des Sceaux a convié ce vendredi, une cinquantaine de chefs d’entreprise et de responsables associatifs au centre pénitentiaire de Poitiers-Vivonne, dans la Vienne. Éric Dupond-Moretti veut les convaincre de l’intérêt de développer le travail en prison.
  • Fabrication de pièces détachées, emballage de rouleaux de papiers cadeaux… Dans cette prison moderne, 90 détenus travaillent pour le compte de 17 entreprises.
  • Leur rémunération a été revalorisée par la loi du 1er mai 2022. Ils bénéficient également de droits sociaux comme l’assurance chômage. Le ministre de la Justice souhaite faire monter le taux d’emploi en prison, actuellement de 31 %, à 50 %.

De notre envoyé spécial à Poitiers (Vienne),

Vêtus d’un tee-shirt gris et d’un bleu de travail, une quinzaine de détenus fabriquent des petites pièces pour les baies vitrées. Certains utilisent de bruyantes machines et percent des trous. D’autres contrôlent la qualité des produits terminés et les passent à d’autres prisonniers qui emballent les commandes dans des cartons. « Ça me permet de passer le temps et aussi de mettre de l’argent de côté pour la sortie et payer les parties civiles. J’apprends des choses », nous explique Joris, 30 ans. Dans cet immense hangar situé au cœur du centre pénitentiaire de Poitiers-Vivonne (Vienne), découpé en plusieurs ateliers, environ 90 détenus travaillent quotidiennement durant six heures, de 7h30 à 13h30, pour le compte de 17 entreprises différentes.

« Les détenus qui veulent travailler doivent en faire la demande par écrit. Ils passent ensuite devant une commission pour un entretien. Certains postes demandent des pré requis qu’ils n’ont pas tous », détaille Karyne Prince, la directrice de la prison. Si la décision est favorable, elle se traduit par la signature du contrat d’emploi pénitentiaire. Grâce à la loi du 1er mai 2022, le travail en détention est payé 45 % du Smic. « Avant on était payé à la pièce, c’est-à-dire qu’il fallait produire beaucoup pour avoir un salaire », confie Willy, 43 ans. « Désormais, on est suivi, on est déclaré à l’Urssaf et on est payé à l’heure. »

« Le travail m’apporte beaucoup de choses »

Le détenu, qui fabrique des barrettes pour les armoires électriques, touche 5,18 euros de l’heure. « Le travail m’apporte beaucoup de choses, même psychologiquement, poursuit-il. Ça m’évite de péter les plombs. Dehors, je travaillais tout le temps, j’étais mécanicien. Du jour au lendemain, on m’a enfermé et privé de ma liberté. C’est la pire des choses. Le fait de pouvoir sortir de ma cellule, de travailler, de voir du monde, d’échanger, de m’occuper, de faire quelque chose de concret, fait que la pénitence n’est plus la même. Et ça me permet de préparer ma sortie. Les entreprises avec lesquelles on travaille attendent que je sois libéré. »



Aujourd’hui, environ un tiers des détenus travaillent. Le garde des Sceaux a pour objectif de dépasser les 50 % d’ici 2027. Il s’est lancé dans un tour de France des établissements pénitentiaires pour convaincre les acteurs économiques locaux de confier du travail aux prisonniers. « Je veux faire venir les patrons, les associations, tous ceux qui sont susceptibles d’apporter ici du travail. Car je pense que c’est un des leviers pour que les détenus aient la possibilité de donner du sens à la peine qu’ils sont en train de réaliser », assure Éric Dupond-Moretti ce vendredi. Le travail, dit-il, permet aussi de lutter contre la récidive.

« Il y a des choses magiques qui se passent en détention »

Devant une cinquantaine de chefs d’entreprise et de responsables associatifs, le ministre a égrené ses arguments : « C’est un certain nombre de cotisations prises en charge par l’État, ce sont des formalités administratives faites par l’administration. C’est aussi, pour les patrons, un engagement citoyen très fort. Ça permet de mieux indemniser les victimes, de former les détenus », souligne-t-il. « Ça évite des délocalisations, on est sur du made in France ici. D’autre part, il y a des métiers qui sont en tension, pour lesquels on n’arrive pas à recruter des travailleurs. La population carcérale peut aussi aider à régler ces difficultés. »

Coralie Morel a franchi le pas en 2022. Originaire de l’île de Ré (Charente-Maritime), elle a créé avec son compagnon l’association iCycle, « ​​une structure d’insertion par activité économique ». Le but ? Proposer aux saisonniers qui travaillent sur l’île des vélos restaurés par les détenus de la maison centrale de Saint-Martin-de-Ré. Dans un atelier de 200 m2, cinq détenus en fin de peine, qui ont été formés, démontent et réparent des vélos. Aujourd’hui, elle ne regrette pas le moindre du monde cette aventure. « Il y a des choses magiques qui se passent en détention. »