JusticeLa tension monte autour des traversées des migrants pour l’Angleterre

Migrants à Calais : Secours mis en examen, migrants accusés de violences… La tension enfle autour des traversées

JusticeCinq militaires ont été mis en examen et quatre migrants vont aller devant la justice dans des affaires liées aux traversées clandestines entre la France et la Grande-Bretagne
La plage de Calais d'où partent souvent des embarcations de fortune pour la Grande-Bretagne.
La plage de Calais d'où partent souvent des embarcations de fortune pour la Grande-Bretagne. - Julia Druelle / SIPA
Gilles Durand

G.D. avec AFP

Les passeurs ne sont plus les seuls à rendre des comptes à la justice. Alors que les tentatives de traversée migratoire dans le détroit du Pas-de-Calais, entre la France et la Grande-Bretagne, se multiplient, la justice vient de rendre des décisions qui montrent à quel point le phénomène devient complexe et tendu pour les secours et la prévention.

Jeudi, cinq militaires ont été mis en examen, soupçonnés d’avoir fauté dans leur mission de secours le 24 novembre 2021. A cette époque, 27 personnes avaient péri en mer après le naufrage d’une embarcation de fortune.

Conversations téléphoniques dévoilées

Le Canard enchaîné et Le Monde avaient déjà révélé les discussions enregistrées des militaires du Centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage Gris Nez, dans le Pas-de-Calais, montrant des défaillances avec les autorités britanniques sur la prise en charge des naufragés, majoritairement des Kurdes irakiens, âgés de 7 à 46 ans. Les autorités françaises sont soupçonnées d’avoir été appelées à l’aide à une quinzaine de reprises et de ne pas être venues en aide aux migrants la nuit du naufrage.

Dans une conversation téléphonique avec le Cross, dont l’AFP a eu connaissance, un migrant déclare : « Au secours s’il vous plaît (…) je suis dans l’eau ». « Oui, mais vous êtes dans les eaux anglaises Monsieur », lui répond son interlocutrice. « Non, non pas les eaux anglaises, les eaux françaises, s’il vous plaît pouvez-vous venir vite », supplie-t-il encore, avant que la conversation ne soit coupée. « Ah bah, t’entends pas, tu seras pas sauvé. "J’ai les pieds dans l’eau", bah je t’ai pas demandé de partir », dit alors l’opératrice.



Finalement, personne ne leur est venu en aide, ni côté français, ni côté britannique, chacun passant la nuit à se renvoyer la balle, selon des documents de l’enquête également consultés par l’AFP. Les retranscriptions de conversations laissent toutefois apparaître que le Cross a contacté à plusieurs reprises les garde-côtes britanniques.

Ces éléments, qui concordent avec les déclarations des deux survivants, avaient secoué, lors de leur révélation, le Cross Gris-Nez, mais aussi suscité la « consternation » des associations d’aide aux migrants.

« Nous sommes dans nos têtes très partagés »

« On ne peut que se réjouir que les choses avancent d’un point de vue pénal, qu’on fasse enfin la lumière sur cette affaire, que la parole des victimes ou des proches des victimes puisse enfin être entendue à un niveau judiciaire », a réagi Flore Judet, porte-parole d’Utopia 56, association d’aide aux migrants.

« Nous sommes dans nos têtes très partagés. A la fois nous avons été très choqués d’apprendre ce qui a pu être dit au moment où des gens étaient en train de mourir et en même temps (…) ces gens du Cross sont tellement sollicités et font tellement un boulot formidable, que nous, on n’aurait pas porté plainte », a affirmé, à l’AFP, Claire Millot de l’association Salam.

L’enquête était menée par la Section de recherche de la gendarmerie maritime de Cherbourg, dans la Manche. D’après une source judiciaire, ces cinq personnes, trois femmes et deux hommes, ont été mises en examen pour non-assistance à personne en danger et laissées libres à l’issue de leur interrogatoire.

Dans ce dossier, dix personnes soupçonnées d’être des passeurs, majoritairement afghans, avaient déjà été mises en examen. Une enquête est également en cours outre-Manche. Les autorités britanniques ont annoncé, fin novembre, avoir arrêté un homme, « suspecté d’être un membre du groupe criminel organisé qui a conspiré pour transporter les migrants au Royaume-Uni à bord d’un petit bateau ».

« Violences en réunion »

Parallèlement à cette enquête, une autre affaire est venue mettre la lumière sur les traversées clandestines et le rôle des forces de l’ordre. Ce même jeudi, 38 migrants avaient été placés en garde à vue pour « violences en réunion » après que trois gendarmes ont été blessés. Ces derniers tentaient d’empêcher une embarcation de prendre la mer à Oye-Plage, dans le Pas-de-Calais.

Quatre des gardés à vue, âgés d’une vingtaine d’années et de nationalité afghane et albanaise, doivent être jugés, mercredi, pour « violences aggravées commises sur des gendarmes », a indiqué à l’AFP le procureur qui a demandé leur placement en détention provisoire.

Trois gendarmes circulaient en buggy quand ils ont été caillassés, jeudi matin, par des migrants, ce qui a entraîné la perte de contrôle de leur véhicule. « Le pare-brise d’un des buggys a éclaté suite au jet d’une pierre » et il a « fait une embardée dans des sables mous, entraînant son retournement », a précisé le parquet.

L’agression « s’est poursuivie sur les trois gendarmes coincés dans le buggy avant une intervention rapide de leurs collègues pour les dégager ». Ces trois gendarmes, qui « souffrent de blessures aux membres et au crâne », n’ont « pas été hospitalisés », mais « deux ont des ITT de trois et six jours ».

Quelque 46.000 demandeurs d’asile ont traversé la Manche en 2022, en majorité des Afghans, des Iraniens et des Albanais. Environ 8.000 ont été secourus dans les eaux françaises.