VOTRE vie, votre avisAtteints de handicap invisible, ils galèrent à être pris au sérieux

« Je reçois des regards noirs et des insultes »… Atteints de handicap invisible, ils galèrent à être pris au sérieux

VOTRE vie, votre avisSur les 12 millions de personnes en situation de handicap en France, neuf millions ont un handicap invisible, selon APF France Handicap
File d'attente (illustration)
File d'attente (illustration) - Canva / Canva
Lise Abou Mansour

Lise Abou Mansour

L'essentiel

  • Sur les 12 millions de personnes en situation de handicap en France, neuf millions ont un handicap invisible, selon APF France Handicap. Fibromyalgie, maladie inflammatoire de l’intestin, spondylarthrite ankylosante, endométriose : autant de pathologies chroniques aussi invalidantes qu’imperceptibles.
  • Ces personnes aux maladies invisibles peuvent notamment ressentir d’importantes difficultés à rester debout de manière prolongée.
  • Mais parce qu’elles n’ont pas envie d’être scrutées, de devoir se justifier, voire de recevoir des commentaires désobligeants, elles peuvent ressentir des difficultés à demander une priorité ou une place dans les transports en commun.

Vous aussi, vous avez déjà vécu cette situation : après dix minutes les yeux rivés sur votre écran de téléphone (à jouer à Candy Crush, swiper les profils sur Tinder ou mater la dernière vidéo de Léna Situations), vous vous rendez compte qu’une femme enceinte ou une personne en béquille est figée devant vous. Normalement (sauf si vous êtes vous-même handicapé ou simplement quelqu’un qu’on n’aimerait pas avoir comme pote), vous vous levez de votre siège, penaud, pour lui céder votre place. Mais imaginez-vous maintenant que cette personne a un handicap invisible.

Sur les 12 millions de Françaises et Français en situation de handicap, neuf millions ont un handicap invisible, selon APF France Handicap. Fibromyalgie, maladie inflammatoire de l’intestin, spondylarthrite ankylosante, endométriose : autant de pathologies chroniques aussi invalidantes qu’imperceptibles. Ces personnes malades peuvent notamment ressentir d’importantes difficultés à rester debout de manière prolongée. Ce qui peut poser problème dans le métro, le bus, mais aussi à la caisse du supermarché ou du cinéma.

« Je suis relativement jeune et apparemment en bonne santé »

C’est le cas de François. Victime d’un accident de la route il y a quelques années, il souffre d’une douleur chronique à la jambe. « Je suis relativement jeune, plutôt dynamique, apparemment en bonne santé et, à part un boitement discret, aucun autre indice ne permet de comprendre que j’ai des difficultés. »

Dans le métro, les efforts d’équilibre pour réagir aux mouvements du wagon l’épuisent. « Au bout de deux stations, je suis en sueur. Au bout de dix, je ne tiens plus debout et je dois m’asseoir, quitte à descendre sur le quai. » Parce qu’il n’a pas envie d’être scruté, de devoir se justifier, voire de recevoir des commentaires désobligeants, François a beaucoup de mal à réclamer une place assise ou une priorité. Il ressent un mélange de honte et de peur du jugement.

Regards accusateurs et remarques désobligeantes

Une peur légitime au regard de l'agressivité parfois rencontrée. « Le handicap invisible est une vraie galère au quotidien », résume Marie, 41 ans. Atteinte d’une maladie de Crohn et d’une spondylarthrite ankylosante, une inflammation chronique des articulations, elle fait de temps en temps valoir sa priorité avec sa carte mobilité inclusion (CMI). « Mais comme je suis jeune, sans handicap physique visible, j’ai souvent droit à des remarques désobligeantes. » Dernièrement, une femme lui a dit qu’elle pouvait attendre, qu’elle simulait et que ces cartes étaient données à n’importe qui. « Ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres. C’est récurrent de devoir se justifier et de sentir des regards accusateurs. »

Une histoire à peu près similaire est arrivée à Didier. Le quinquagénaire souffre notamment d’apnée du sommeil sévère. « Un jour, je me reposais dans le bus, j’avais les yeux fermés. Une dame m’a réveillé en m’agressant et me disant de laisser ma place à une personne avec des béquilles car le bus était bondé. Je lui ai dit que j’étais handicapé. Je lui ai montré ma carte. Elle me l’a arrachée des mains et ne m’a pas cru. »

La double peine

Un sentiment désagréable que connaît bien Laurie, qui souffre de fibromyalgie, une pathologie chronique caractérisée par des douleurs diffuses persistantes. « Je vois toujours un soupçon dans le regard des gens et c’est blessant. Je reçois beaucoup de regards noirs, voire des insultes, comme si ce que je subissais tous les jours n’était pas suffisant. » Une sensation de double peine. « Ma maladie est déjà suffisamment dure en elle-même, alors devoir me justifier sur le moindre truc… ça me fatigue encore plus. » C’est la raison pour laquelle Marie n’utilise sa CMI qu’en cas d’extrême urgence.



Pierre, 60 ans, qui souffre d’une polyneuropathie démyélinisante, une maladie créant une faiblesse musculaire, prend moins de pincettes. Lorsqu’il utilise sa carte prioritaire à la caisse et reçoit des remarques, il répond : « je vous donne volontiers ma carte en échange d’une de vos nuits de sommeil ».

« J’en viens à regretter l’époque où j’avais une béquille »

Face à ces difficultés, chacun tente de trouver des solutions. François essaie au maximum d’éviter les trajets ou les créneaux où il sait qu’il lui sera difficile d’avoir une place assise. « Je me rajoute des contraintes ou des limites et ma vie sociale s’en ressent forcément. » Le quadragénaire en vient à regretter le temps où sa béquille lui était indispensable. « La solution de facilité serait de continuer à la prendre, mais ce serait renoncer aux progrès que j’ai faits en termes d’autonomie. »

Marie regrette elle que les enseignes de magasins ne créent pas de caisses exclusivement réservées aux personnes en situation de handicap. « Cela éviterait de nombreux moments gênants ou blessants pour nous. » En avril, l’enseigne Auchan a mis en place, à la caisse de l’un de ses hypermarchés du Mans, un logo handicap invisible à côté de celui d’une personne en fauteuil roulant. Une silhouette avec des sphères rouges réparties sur tout le corps. Un premier pas.