WOKISTANUne Petite sirène noire plus tard, l’extrême droite pourrit encore le débat

Cinéma : Une « Petite Sirène » à la peau noire, ou comment l’extrême droite tente (encore) d’imposer un débat en ligne

WOKISTANL’adaptation de « La Petite Sirène », comme de nombreuses œuvres auparavant, a été lourdement critiquée pour avoir choisi une actrice noire dans le rôle d’Ariel
La Petite Sirène noire dérange l'extrême droite
La Petite Sirène noire dérange l'extrême droite - 2023 Disney Enterprises / Allociné
Lina Fourneau

Lina Fourneau

L'essentiel

  • Nouveau casting « colorblind » pour Disney et nouvelle polémique sur les réseaux sociaux. Après le choix d’Halle Bailey, une actrice noire, pour interpréter Ariel dans « La Petite Sirène », la toile s’est enflammée à coups de hashtags #Notmyariel et d’Intelligence artificielle (IA) pour blanchir la peau de l’héroïne.
  • L’occasion pour l’extrême droite d’imposer une nouvelle « guerre culturelle » et montrer une nouvelle fois son opposition au terme aussi large que vide de sens : « le wokisme ».
  • Pour Achraf Ben Brahim, auteur de Pourquoi l’extrême droite domine la toile, le numérique leur sert désormais à imposer des sujets… loin des urnes.

Once upon a time dans un univers où la culture devient de plus en plus politique. Au cœur de l’impitoyable royaume des réseaux sociaux, La Petite Sirène n’y échappera pas. Depuis l’annonce d’une adaptation par Disney et jusqu’à sa sortie en salles ce mercredi, un débat a inondé la toile : Ariel est désormais interprétée par une actrice noire, Halle Bailey.

La nouvelle aurait pu s’arrêter là et pourquoi pas provoquer quelques réjouissances pour, par exemple, ces petites filles noires fans de Disney qui pourront enfin s’identifier à une héroïne. Mais s’agita au-dessus du royaume un lourd spectre, celui du racisme. Pour les partisans de l’extrême droite, La Petite Sirène n’est finalement que du pain béni pour alerter une nouvelle fois la toile autour de « la dangerosité du wokisme ».

« Un combat culturel »

C’est ce que Achraf Ben Brahim - auteur de Pourquoi l’extrême droite domine la toile aux éditions L’aube - appelle « la guerre culturelle ». « C’est un combat qui n’est pas récent, c’est un combat culturel. Ce n’est pas illogique qu’il soit mené sur les réseaux sociaux puisque aujourd’hui l’extrême droite ne tracte plus, l’extrême droite ne colle plus d’affiche. L’espace d’expression qu’ils ont conquis en priorité, c’est le numérique ». S’ajoute à cela le fait que l’extrême droite peine à sortir victorieuse des urnes et ainsi doit trouver de nouveaux moyens pour exister et continuer à créer l’indignation, avec un certain succès.

Et pour cause, le semblant de polémique sur la réinterprétation du conte d’Andersen de 1837 finit par devenir depuis des mois une tendance sur les réseaux sociaux. « Ils sont très organisés et arrivent à faire monter en épingle un sujet. Mais aussi, ils arrivent à rassembler toutes les tendances. Que vous soyez réac' ou identitaire, ça fait toujours réagir. Ici, ce n’est pas le grand remplacement ou la défense de l’homme blanc qui est invoqué. C’est plutôt la lutte contre le wokisme », analyse Achraf Ben Brahim. Le débat invoqué réside finalement moins dans l’authenticité de l’œuvre d’Andersen que dans la défense de la « race blanche ».

Des théories fumeuses

Aux Etats-Unis, le mécanisme reste le même. Il peut même être pire. Dès l’annonce de l’interprétation d’Ariel par Halle Bailey, le hashtag #NotMyAriel refaisait surface constamment sur les réseaux sociaux. Des influenceurs d’extrême droite ont même tenté de démontrer qu’il était impossible pour une sirène d’être noire. Sous l’eau, celle-ci ne serait pas exposée au soleil et manquerait donc de mélanine. Une démonstration peu brillante qui semble surtout oublier que les sirènes sont avant tout des œuvres fantastiques. Sur Twitter, des internautes ont même tenté grâce à une Intelligence artificielle (IA) de blanchir la peau d’Ariel.

L’accès à ce contenu a été bloqué afin de respecter votre choix de consentement

En cliquant sur« J’accepte », vous acceptez le dépôt de cookies par des services externes et aurez ainsi accès aux contenus de nos partenaires.

Plus d’informations sur la pagePolitique de gestion des cookies

Pour Achraf Ben Brahim, cette énième polémique montre avant tout un certain échec de notre société « à considérer de façon claire et apaisée la question de la pluralité ». Prenons l’exemple d’Omar Sy. Pourquoi lorsque celui-ci jouait un rôle de délinquant dans Intouchable ou de migrant sans papier dans Samba, cela soulevait moins de questions que lorsqu'il a repris le rôle d’Arsène Lupin dans la série Netflix ?

Une histoire sans fin

Il semble surtout que ce débat touche également à des œuvres symboliques, celles de notre enfance dans le cas d’Andersen. Mais ce n’est pas le seul. Lors de la sortie de la série House of Dragon, la présence d’une famille noire - la Maison Velaryon - au casting avait également dérangé de nombreux internautes. L’acteur incarnant Corlys, Steve Toussaint, a réagi à ces remarques racistes dans les colonnes du Guardian. « Oh, je comprends. Quand nous étions des criminels des pirates et des esclaves dans l’autre série, vous étiez d’accord. Mais comme ce personnage est le plus riche de la série et qu’il est noble, vous avez un problème avec ça ».

A l’automne dernier, la sortie de la série Les Anneaux de pouvoir sur Amazon avait également été accusée de trahir l’œuvre de Tolkien en y intégrant des acteurs racisés au casting.

Et si Andersen était d’accord ?

Pour ce qui est de La Petite Sirène, dès la sortie du film ce mercredi, les critiques n’ont bien évidemment pas manqué. Sur Allociné, par exemple, des commentaires fustigent le casting. « Comment apprécier un film à sa juste valeur lorsqu’il a vocation à promouvoir une idéologie (wokisme) », s’interroge un internaute. « L’actrice de Vanessa [l’alter-ego d’Ursula sur terre], évidemment blanche hein, aurait été parfaite dans le rôle d’Ariel », imagine un second. Il s’avère que la plupart de ces comptes ont été créés très récemment uniquement dans le but d’attaquer les choix du film.

Il serait finalement bon de rappeler que l’auteur de ce conte, Hans Christan Andersen, est considéré avant tout comme un auteur très moderne pour son époque. Si l’auteur est bien danois, il n’a jamais été précisé le lieu où l’histoire se situait. Seulement cette indication demeure au début du conte : « Bien loin dans la mer, l’eau est bleue […], mais si profonde qu’il serait inutile d’y jeter l’ancre ».

Sujets liés