TENNIS« T’imagines le malade que je suis », l’exploit de Monfils en cinq étapes

Roland-Garros : « T’imagines le malade que je suis »… Le succès légendaire de Gaël Monfils en cinq étapes clés

TENNISLe tennisman français a offert mardi une « night session » d’anthologie au public du Central, en triomphant de l’Argentin Sebastian Baez après avoir été mené 0-4 dans le cinquième set. « 20 Minutes » revient sur la genèse de cet exploit
Gaël Monfils s'est peu à peu transcendé mardi soir, bien aidé par un court Philippe-Chatrier en fusion.
Gaël Monfils s'est peu à peu transcendé mardi soir, bien aidé par un court Philippe-Chatrier en fusion.  - Anne-Christine POUJOULAT / AFP / AFP
Jérémy Laugier

Jérémy Laugier

L'essentiel

  • Au terme d’une journée décevante pour le tennis français mardi, Gaël Monfils a signé l’un de ses deux matchs les plus mémorables en carrière contre Sebastian Baez.
  • En perdition au milieu du cinquième set, au moment de sauver une balle de 0-5 face au coriace Argentin, la « Monf » a trouvé des ressources insoupçonnées pour tout renverser sur son passage (3-6, 6-3, 7-5, 1-6, 7-5) en 3h47.
  • Cette night session sur le Central, qui restera quoi qu’il arrive un moment très fort de ce Roland-Garros, s’est construite en plusieurs timings clés, que vous présente 20 Minutes.

A Roland-Garros,

« Les coachs essayaient de me dire des choses, je leur en disais aussi. Du coup on a tout fait et on n’a rien fait. » Si on tente de décrypter l’une des victoires les plus folles de l’histoire du tennis français à Roland-Garros, cette confidence spontanée de Gaël Monfils à Marion Bartoli, avant de quitter un Central en liesse à quasiment 0h30, nous rappelle à l’ordre. Non, le succès de la « Monf » sur l’Argentin Sebastian Baez (3-6, 6-3, 7-5, 1-6, 7-5), au bout d’un combat de titans de 3h47, n’a rien à voir avec le rationnel. Il est bien trop inattendu, intense, sauvage et collectif pour s’analyser sous des considérations tactiques. De même, on passerait totalement à côté de la dimension épique de cette night session si on nuançait illico la portée de cet exploit en arguant qu’il ne s’agit que d’une entrée en lice dans un Grand Chelem.

« En fait, tu oublies que c’est le premier tour, tu te dis que tu as vécu un truc de dingue », résume Gaël Monfils, dont les sanglots au milieu de la terre battue resteront peut-être comme l’image la plus iconique de ce Roland-Garros. Et peu importe que cela se soit passé en première semaine. L’homme aux 41 coups gagnants, aussi passionnant en après-match qu’héroïque sur le Philippe-Chatrier, a partagé cinq secrets montrant comment s’est construite cette dinguerie du 30… et du 31 mai 2023.

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Un adversaire « monstrueux » hautement redouté

Si Sebastian Baez est encore inconnu du grand public, il était évidemment l’immense favori de cette rencontre, au vu des 352 places, mais aussi des 14 ans le séparant de Gaël Monfils. Entre blessures et couacs sportifs, ce dernier n’avait plus remporté le moindre match officiel depuis août 2022 à Montréal. Qui plus est, l’Antillais connaissait bien Sebastian Baez. « Je m’étais entraîné avec lui la semaine dernière et je le trouvais monstrueux, dévoile-t-il. Ce n’était pas le premier tour que je voulais, et honnêtement je ne m’attendais pas à gagner ce match. »

C’est vrai, comment le jeune Baez (vous l’avez ?) pouvait-il être contrarié par un Gaël Monfils âgé de 36 ans et encore battu dès le premier tour à l’Open Parc de Lyon la semaine précédente ? « Depuis mon retour sur le circuit, je me suis dit que j’attendais Roland-Garros pour gagner mon premier match, c’était sûr, sourit le tennisman tricolore. Honnêtement, je ne m’attendais même pas à gagner ce match. » Un avis partagé par tout le Central, vu comme la « Monf » n’était pas vraiment dedans, durant un premier set sereinement verrouillé par Baez (3-6).

Un quatrième set volontairement zappé

Contre toute attente, Gaël Monfils commence à emballer le public de la night session en remportant les deux manches suivantes (6-3, 7-5). C'est le plus souvent à l’arrache, et au prix de pralines envoyées de partout près des lignes. Mais on comprend très vite qu’il y a une panne physique, côté français, lourde de conséquences. Sebastian Baez signe vite un break, et on sent Monfils tenté de ne plus s’accrocher dans cette quatrième manche. Qu’en était-il exactement ? « Je fais quelque chose de très audacieux en lâchant le quatrième set parce que je suis fatigué, reconnaît "la Monf". Je suis mort, je sens que je n’en peux plus et je dis à Mikael [Tillström, son entraîneur] que j’ai besoin de 10 minutes. En fait j’ai eu besoin de 25 minutes ! » L’actuel 394e joueur mondial nous a alors régalés en développant son propos en conférence de presse.

« A Roland-Garros, j’ai réussi mentalement à me dire ''Non mais t’inquiète, je vais récupérer et je vais le niquer dans le cinquième''. T’imagines le malade que je suis. Je me suis dit que si je faisais le contraire et que je perdais 6-4 le quatrième set, j'allais prendre 6-1 au cinquième. Si ça ne passe pas pour X raisons, je suis mort. Le fait est que ça a été un choix payant. » »

Sebastian Baez n'a pas résisté jusqu'au bout, mardi soir, à la grosse pression mis par le duo Monfils-Central
Sebastian Baez n'a pas résisté jusqu'au bout, mardi soir, à la grosse pression mis par le duo Monfils-Central - Anne-Christine POUJOULAT / AFP

A 0-3 au cinquième, Monfils pense à sa fille

« Un choix payant », ça se discute, car Gaël Monfils n’a évidemment pas repris miraculeusement sa marche en avant des deuxième et troisième sets, au moment où l’ultime manche démarre. Au bord de la rupture, à 0-3 et alors que les jeux défilent, la petite Skaï (7 mois) entre dans ses pensées. « Je me suis dit : "Putain, je n’ai pas gagné un match depuis que je suis papa", alors qu' Elina [Svitolina, sa compagne] vient de remporter son premier tournoi à Strasbourg. Ma fille est à Paris et j’allais quand même en gagner un quoi. Je me suis alors un peu relâché, je me suis mis à déconner dans ma tête, à être un peu moins dans le match. »

Et le demi-finaliste en 2008 Porte d’Auteuil n’est jamais plus dangereux que lorsque ses coups d’attaque fusent sans la moindre retenue. On ne liste plus les wagons de revers long de ligne qui font alors mouche pour attaquer une remontada.

Les stats du match Monfils-Baez.
Les stats du match Monfils-Baez. - Sofascore

« Pas envie de prendre 6-0 au cinquième set »

Avant d’envisager réellement cette remontada, il a fallu sauver une balle de 0-5, contre un adversaire renvoyant tout ou presque. Une partie du Central vient de se vider et l’euphorie de l’épilogue du troisième set ne semble plus qu’un lointain souvenir. Mais au moment d’enfin conclure, de manière a priori assez anecdotique, son premier jeu sur un revers bien amené, le joueur de 36 ans écarte les bras et tire la langue, tout sourire. Que lui passe-t-il alors par la tête ?

« Je n’avais pas envie de prendre 6-0 au cinquième, il n’y a que Murray qui me l’a foutu [en 2014]. J’avais envie de gagner au moins un jeu et inconsciemment, je me dis que si j’arrive à pousser, il y a un monde où le vent est avec moi de l’autre côté, et on ne sait pas… »

« L’adrénaline » du Central l’a porté vers l’exploit

A présent on sait, et l’ambiance de fou furieux du Philippe-Chatrier a joué un rôle clé dans ce scénario invraisemblable, où le Français a fini par trouver « des solutions inespérées ». « C’est grâce à vous, merci du fond du cœur », a ainsi répété au public Gaël Monfils, dès l'issue du match. « Je ne tenais qu’à l’adrénaline à la fin, précise-t-il. Je demandais au public de crier et d’une manière ou d’une autre, être ainsi poussé m’a aidé à me relever. J’ai eu un nouveau souffle, c’était un kif de fou. Je me suis dit "allez on se fait mal encore". J’ai pris l’énergie du public et j’ai cru en moi. » A partir de là, chaque point remporté était fêté comme un but, avec une ferveur qui fera date dans l’histoire du Central.

Et que dire de la Marseillaise, portée à l’unisson par les tribunes, à 3-4... et 11 points consécutifs de Gaël Monfils ? Cet épisode a carrément retardé de quelques secondes la mise en jeu de Sebastian Baez, devenu peu à peu seul au monde au cœur de cette immense enceinte. Les points mémorables ne feront alors que s’enchaîner, entre un petit coup droit chopé lunaire à 4-5, un passing de rêve en revers pour prendre les commandes (6-5). Avant l’apothéose : une contre-amortie (puis une délicieuse volée) qui lui coûtera définitivement la « mobilité » de ses cuisses dans le dernier jeu, puis ce nouveau passing porté par le destin/la bande du filet. « C’est l’un des meilleurs moments de sport que j’ai pu vivre », savoure l’intéressé, qui place ce match tout en haut de son panthéon personnel, aux côtés de l’homérique succès en cinq sets contre Pablo Cuevas sur le Suzanne Lenglen, lors de l’édition 2015.

Comment envisager, après un tel shot d’euphorie collective, que Gaël Monfils se présentera à nouveau sur le Central dès jeudi, contre le redoutable Danois Holger Rune (numéro 6 mondial) ? « C’est cool d’avoir la chance de jouer un Top 10, retient-il simplement. Il faut y aller au panache, à l’expérience et avec la magie du sport, on ne sait jamais. Je suis prêt à me faire mal. Et on va essayer de faire une belle fête pour le deuxième tour aussi. » Tiens tiens, ce teaser suffit à valider sa présence en soirée jeudi. Car Gaël Monfils vient aussi de faire coup double : embellir à la fois le bilan du tennis français à Roland-Garros, et celui des night sessions. Et ce dès un simple premier tour.

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