reportageA Carnac, la destruction des menhirs ne déclenche pas les foudres

« Il y en a partout des cailloux, ici ! »... A Carnac, la destruction des menhirs ne déclenche pas les foudres

reportageDans la station balnéaire du Morbihan, les habitants ne comprennent pas trop l’emballement provoqué par la destruction de 39 petits menhirs dont la valeur archéologique reste encore en suspens
Trente-neuf petits menhirs ont été détruits pour laisser place à un magasin de bricolage, actuellement en cours de construction à Carnac.
Trente-neuf petits menhirs ont été détruits pour laisser place à un magasin de bricolage, actuellement en cours de construction à Carnac.  - J. Gicquel / 20 Minutes
Jérôme Gicquel

Jérôme Gicquel

L'essentiel

  • La révélation de la destruction de 39 petits menhirs pour laisser place à un magasin de bricolage à Carnac provoque une belle tempête médiatique depuis deux jours.
  • Dans la cité balnéaire du Morbihan, les habitants se montrent toutefois beaucoup plus réservés, estimant que ces pierres, que personne n’a jamais vues, ne devaient pas avoir beaucoup de valeur.
  • Certains dénoncent tout de même « la cacophonie administrative » qui a abouti à cette situation et regrettent que des fouilles n’aient pas été menées sur le site.

De notre envoyé spécial à Carnac,

« Ne nous prenez pas en photo ! La situation est déjà assez tendue comme ça et on n’y est pour rien nous. On travaille et on fait ce qu’on nous dit de faire. » Le casque sur la tête, cet ouvrier a les nerfs à vif ce jeudi après-midi. Il faut dire que le chantier sur lequel il travaille fait beaucoup parler de lui depuis deux jours. Un chantier somme toute banal avec un magasin de l’enseigne Mr Bricolage qui sort de terre dans la zone d’activités de Montauban à Carnac (Morbihan). Sauf que le terrain en question avait été signalé comme un site mégalithique. Mais en l’absence de fouilles, pourtant prescrites en 2015, et de la non-inscription du site parmi les zones de prescription archéologique, un permis de construire avait finalement été délivré en août 2022 par la mairie de Carnac au porteur du projet. Les travaux ont alors démarré sans que personne n’y trouve rien à redire.

Mais la semaine dernière, un billet publié sur le site de l’association Sites & Monuments a mis le feu aux poudres. Dans son article, Christian Obeltz, passionné d’histoire, déplore que trente-neuf petits menhirs, d’une hauteur comprise entre 50 centimètres et un mètre, aient été détruits lors des travaux. « C’était sans doute l’un des ensembles de stèles les plus anciens de la commune de Carnac », s’étrangle-t-il. Depuis ces révélations, la petite station balnéaire chic est en pleine tempête médiatique. Les amoureux du patrimoine crient bien sûr au scandale, dénonçant comme Julien Lacaze, président de Sites & Monuments, « la destruction d’un site qui recelait peut-être des trésors ». « Mais on ne le saura jamais vu que les fouilles n’ont jamais eu lieu et c’est bien regrettable », s’offusque-t-il.

Du côté de la mairie de Carnac et de la Direction régionale des affaires culturelles de Bretagne (Drac), on se montre en revanche beaucoup plus mesuré. « Du fait du caractère encore incertain et dans tous les cas non majeur de vestiges tels que révélés par le diagnostic, l’atteinte à un site ayant une valeur archéologique n’est pas établie », a répondu la Drac.

Des menhirs dont personne n’a jamais vu la couleur

Dans la commune bretonne, mondialement connue pour ses alignements de menhirs vieux d’environ 6.000 ans, l’affaire fait bien sûr causer. Employé de la déchetterie située juste en face du chantier, Manu se moque d’ailleurs de tout cet emballement. « Personne ne vient jamais ici, mais là c’est le défilé ! » rigole-t-il. En poste depuis quatre ans, il assure n’avoir « jamais eu connaissance » de la présence de ces menhirs. Même son de cloche dans le lotissement voisin de Kerdual. « On est installés ici depuis 1995 et jamais on n’a entendu parler de ces menhirs », assurent Francis et Viviane. « Ils ne devaient pas être bien grands en tout cas et bien cachés dans les taillis car je me promène souvent mon chien dans ce coin et je n’en ai jamais vu la couleur », embraye Christophe, un voisin.


Carnac est mondialement connu pour ses alignements de menhirs comme ici à Kermario.
Carnac est mondialement connu pour ses alignements de menhirs comme ici à Kermario.  - J. Gicquel / 20 Minutes

Peu de Carnacois rencontrés s’émeuvent d’ailleurs du sort réservé à ces menhirs. « On ne va pas s’offusquer non plus pour des gros cailloux, il y en a partout à Carnac, indique Estelle. Si encore c’étaient des beaux menhirs OK, mais on ne va pas non plus mettre la ville sous cloche pour un tas de pierres. » Francis tient à peu près le même discours. « Bien sûr qu’on est attachés aux menhirs à Carnac mais aux vrais alignements comme Kermario ou Locmariaquer, souligne le retraité. Mais là c’est ridicule comme découverte, j’en ai aussi des pierres dans mon jardin. »

Une plainte déposée et une enquête réclamée

A Carnac, qui abrite l’un des plus grands sites mégalithiques au monde, quelques voix s’élèvent tout de même. C’est le cas de Christian, venu en voisin de Lorient, pour prendre en photo derrière les grilles de chantier « ce truc qui n’a rien de mégalithique. » Défenseur du patrimoine mais pas « inconditionnel », il n’arrive pas à comprendre comment le permis de construire a pu être délivré. « Quelle cacophonie administrative quand même et maintenant chacun se renvoie la balle, indique-t-il. Le plus regrettable est qu’il y avait peut-être de belles découvertes à faire sur ce site. » Croisée sur le sentier qui longe les alignements de Kermario, Annie s’étonne quant à elle de l’attitude des ouvriers. « Ils auraient dû s’interroger quand ils ont découvert des pierres alignées, même petites, car on est quand même à Carnac », assure-t-elle.



Même si les menhirs détruits ne ressusciteront pas et que le magasin de bricolage ouvrira bien ses portes cet automne, l’affaire n’est pas pour autant terminée. L’association de défense du patrimoine Koun Breizh (Mémoire bretonne) a ainsi annoncé avoir déposé une plainte contre X pour destructions volontaires aggravées. Comme le député breton Marc Le Fur (LR), l’association Sites & Monuments réclame également l’ouverture d’une enquête pour comprendre ce qui s’est passé dans ce dossier. « Et surtout pour que ce type de bévue ne se reproduise plus », prévient Julien Lacaze.