RECIT«Jacky a fait le con»... Il y a 27 ans, l'ex de Carole tuait leurs enfants

Infanticide : « Il les a tués pour me faire souffrir… » Il y a 27 ans, l’ex-mari de Carole tuait leurs deux enfants

RECITLe 1er janvier 1996, Jacky, l’ex-mari de Carole, a tiré avec sa carabine sur leurs deux enfants pendant leur sommeil. Hélène est morte sur le coup, Christophe le lendemain, des suites de ses blessures
Carole Rognon pose avec les portraits de ses deux enfants, Christophe et Hélène, tués par leur père le 1er janvier 1996.
Carole Rognon pose avec les portraits de ses deux enfants, Christophe et Hélène, tués par leur père le 1er janvier 1996. - Caroline Politi / Caroline Politi
Caroline Politi

Caroline Politi

L'essentiel

  • Les enfants de Carole Rognon, Christophe et Hélène, ont été tués par leur père dans la nuit du Nouvel An 1996. Il a été condamné pour ce double meurtre à trente ans de réclusion criminelle.
  • Au procès, il n’a pas donné d’explications précises sur son geste, mais Carole est persuadée qu’il cherchait ainsi à lui infliger la pire des souffrances.
  • Depuis 2015, le ministère de l’Intérieur recense les enfants tués « dans le cadre de violences conjugales sans que l’autre parent ne soit tué », dans son enquête annuelle sur les féminicides.

Le 1er janvier 1996, il est à peine 7 heures du matin lorsque Carole Rognon entend tambouriner à la porte de son appartement. Elle n’a pas veillé jusqu’au bout de la nuit pour le réveillon, mais tout de même, 7 heures, c’est trop tôt. Elle referme les yeux, replonge sous sa couette. On frappe une deuxième fois. Elle ne bouge pas plus, maudit les jeunes de son quartier de Lure, en Haute-Saône, qu’elle imagine titubant devant chez elle. « Ouvre, bon sang ! » La voix de son père. La jeune femme se précipite à la porte, ne voit même pas les gendarmes et le maire qui se tiennent derrière lui. « Va t’habiller », ordonne-t-il d’une voix ferme. Elle hésite, ne comprend pas ce qu’il se passe, reste plantée là, hagarde. Son père finit par s’approcher, pose ses mains sur ses épaules. « Jacky a fait le con », lâche-t-il.

Jacky, c'est son ex-mari. Après quinze ans de mariage, Carole a mis les voiles en juin 1995 avec ses deux enfants, Christophe, 12 ans, et Hélène, d’un an sa cadette. Tous les trois sont partis en catimini alors que le tapissier-peintre était au travail. « J’avais peur de lui. Les dernières années j’étais quasiment séquestrée : je n’avais pas le droit d’avoir un chéquier, il retirait la batterie de la voiture pour pas que je la prenne, j’avais interdiction de toucher au courrier. Il ne me frappait pas mais était violent psychologiquement », se remémore-t-elle. Carole avait 36 ans, elle en a 63 aujourd’hui. Ses cheveux ont blanchi, le temps a marqué son visage, mais son regard reste vif, ses souvenirs précis.

Elle avait déjà essayé de quitter son mari deux ans auparavant, mais il lui avait juré de faire des efforts, mêlant belles promesses et menaces. « Si tu pars, je suis capable de faire comme Romand », glisse-t-il dans la conversation. Quelques mois auparavant, Jean-Claude Romand avait tué sa femme, ses enfants et ses parents pour protéger les mensonges qui ont jalonné sa vie. « Je prends sa menace au sérieux, mais je me dis qu’il me vise moi, pas les enfants », insiste-t-elle.

Trente ans de réclusion pour ce double infanticide

Pourtant, ce 1er janvier, c’est bien de Christophe et d’Hélène dont il est question. Jacky - « l’autre », comme elle l’appelle désormais – a pris une carabine et leur a tiré dessus au milieu de la nuit, alors qu'ils dormaient chez lui, à Ornex, dans l'Ain. La petite fille est morte sur le coup, son frère, touché à la tête, décède le lendemain à l’hôpital. Après le crime, leur père a tenté de se suicider, retournant l’arme contre lui. Mais aucune partie vitale n'est touchée. Il a la mâchoire détruite, un œil crevé, mais est bien vivant. D’abord mis en examen pour « assassinat », ce qui suppose donc une préméditation, il est finalement condamné à trente ans de réclusion criminelle pour meurtre, le tribunal retenant une altération de son discernement liée à sa paranoïa.


Seules deux petites photos d'Hélène et Christophe posées sur le buffet rappellent le drame traversé par Carole.
Seules deux petites photos d'Hélène et Christophe posées sur le buffet rappellent le drame traversé par Carole. - Caroline Politi

Christophe et Hélène ont-ils été victimes d’un « féminicide par procuration », un meurtre commis sur les enfants pour s’en prendre à leur mère ? En France, depuis 2015, le ministère de l’Intérieur répertorie ces infanticides commis « dans le cadre de violences conjugales sans que l’autre parent ne soit tué », dans son rapport annuel sur les morts violentes au sein du couple. En 2021, douze enfants de dix familles différentes ont ainsi été tués. En 2020, on en comptait six. En 2019, 22. Des écarts qui illustrent la difficulté de comptabiliser ces crimes - il convient à chaque fois d’établir un lien direct avec le contexte - et donc d’appréhender ce phénomène.

Jacky, par exemple, ne s’est jamais vraiment expliqué sur son geste. Au procès, il a évoqué la dépression qu’il traversait et sa crainte d’une forme de déclassement pour ses enfants depuis qu’ils vivaient en HLM. Des explications qui n’ont jamais convaincu Carole. « Pour moi, c’est une évidence, il les a tués pour me faire souffrir, il savait qu’il ne pouvait pas m’atteindre plus. Jusque-là, ma peur, c’était qu’il me tue moi et qu’eux soient obligés de le subir, que je ne puisse plus les protéger. »

« Sa voix était normale, elle ne trahissait rien du tout »

Malgré la crainte que lui inspire Jacky, Carole reconnaît sans détour qu’elle était à mille lieues d'’imaginer un tel scénario. Quand son père frappe chez elle ce 1er janvier 1996, elle pense à un accident de voiture. Jacky l’a appelé la veille. Pour la première fois depuis leur séparation, il accueille les enfants chez lui. Il les a eus pour Noël, il devait les ramener le 31. Mais ce jour-là, il s’inquiète au téléphone : les routes sont verglacées, il propose de les ramener le lendemain. « Sa voix était normale, elle ne trahissait rien. J’étais déçue de ne pas avoir mes enfants pour le Nouvel-an, mais je préférais ne prendre aucun risque. » D’autant qu’elle a eu sa fille au téléphone au milieu de leur séjour : elle, qui entretenait pourtant de mauvaises relations avec son père, semble ravie. Son frère aussi va bien, même s’il râle de ne pas pouvoir jouer à la Nintendo.

La voix de Carole est calme. A aucun moment elle ne s’étrangle, même lorsqu’elle évoque les souvenirs les plus douloureux. Ses yeux restent secs, rien dans son regard ne trahit ses émotions. « J’ai cette qualité de pouvoir raconter comme si ce n’était pas moi qui avais vécu cela. Je pense que c’est de la pudeur », sourit-elle, avant de se replonger dans son récit. Les faits ont beau avoir eu lieu il y a vingt-sept ans, elle se souvient de chaque détail. Le trajet dans un silence absolu avec son père pour se rendre sur les lieux, son fils allongé dans cette chambre d’hôpital, les maladresses des médecins qui lui parlent de la santé de Jacky. Et son cri, ce soir-là, sur le parking de la gendarmerie. « C’est à ce moment-là que j’ai commencé à prendre conscience de ce qui venait de se passer. J’ai cru que j’allais plus jamais m’arrêter de hurler. »

« Je ne sais pas comment on se lève le matin après ça »

Et après ? Comment avance-t-on dans la vie lorsqu’on a tout perdu ? Comment se relève-t-on d’un tel deuil ? Ces questions, on lui a posé si souvent. Parfois avec maladresse. Combien de fois a-t-elle entendu ce « moi, je n’aurais pas pu » ? « Ça laisse sous-entendre que si j’ai pu, c’est parce que j’aimais moins mes enfants. » Des parents endeuillés lui demandent régulièrement des conseils. Vingt-sept ans après, Carole peine toujours à leur répondre. « Je ne sais pas comment on se lève le matin après ça. En tout cas, y a pas de recette magique. » Après l’enterrement, elle se souvient s’être assise seule dans la chambre de sa fille, se demandant s’il lui restait une raison de vivre. Bien sûr que le suicide lui a traversé l’esprit. « Je me suis dit qu’ils aimaient trop la vie, qu’il fallait continuer pour eux. »

Les mois qui suivent, pourtant, s’apparentent à de la survie. « J’ai des trous de mémoire des trois ou quatre premiers mois. J’ai un petit boulot dans un collège mais sinon, je reste cloîtrée chez moi. Des copines se relaient, me remplissent le frigo. » Ses animaux - son chien, celui de sa fille et le chat de son fils - l’aident à tenir bon : il faut bien les sortir, leur donner à manger.

Et puis il y a autre chose. Carole hésite un peu. « Quand je le dis, on me regarde parfois avec des yeux ronds, on me prend un peu pour une folle. » Pendant plusieurs mois, elle a ressenti la présence de ses enfants. « Dès la première nuit, j’ai eu l’impression qu’ils étaient avec moi, ça m’a beaucoup aidé au début. J’ai le souvenir d’une lumière blanche qui m’apaisait. » Elle qui n’a jamais été particulièrement croyante assure que plusieurs membres de son entourage lui ont confié avoir eu des visions des enfants. « La dernière fois que je les ai ressentis, c’était au lendemain de ma rencontre avec Jean-Pierre. Ils m’ont dit au revoir, ils sont partis. »

Le regard des autres

C’était en août 1996, huit mois après le drame. Une amie l’a incitée à s’inscrire à un site de rencontres sur le Minitel. Jean-Pierre a trois ans de plus, divorcé, père d’adolescentes. « Ça ne m’a pas fait peur, son histoire, ça ne m’a pas attiré non plus, explique ce moustachu jovial. J’ai eu un coup de foudre. » L’histoire de Carole est rapidement devenue la sienne. Il la connaît par cœur, reprend parfois sa femme sur la chronologie ou sur des noms. Il était là au procès. Il était là quand elle s’est battue pour récupérer la moitié des biens qu’elle avait en commun avec Jacky, ou pour faire incinérer ses enfants.

Il a assisté aux crises de larmes incontrôlables les premières années. « Ça m’arrive encore de pleurer, mais moins souvent. Parfois, je pense à eux toute la semaine, parfois pas pendant trois jours » Il n’y a désormais quasiment qu’à Jean-Pierre qu’elle parle de Christophe et Hélène. « Les gens sont mal à l’aise, même quand j’évoque un souvenir joyeux, ils ne savent pas comment réagir. »


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Dans leur nouvelle maison, à une trentaine de minutes de Besançon, il faut d’ailleurs plisser les yeux pour trouver des éléments faisant référence à son histoire. Deux portraits pas plus grands que des photos d’identité trônent sur le buffet du salon. Elle a fait réaliser deux grands dessins de Christophe et Hélène au fusain, mais ne sait pas encore où les accrocher. « Je n’ai pas besoin de ça pour y penser. » Et Jacky, y pense-t-elle parfois ? Après un peu plus de vingt ans derrière les barreaux, il est sorti de prison il y a maintenant six ans. « Jamais. Je ne me souviens même plus de son visage. Je n'ai pas de haine et je crois que je n’en ai jamais eu. Il m’est indifférent. »

« J’ai été stigmatisé »

Carole et Jean-Pierre n’ont pas eu d’enfants ensemble. Lui n’y tenait pas, elle reconnaît que ça l’a effleuré mais s’est vite ravisée. « Ce n’était pas un enfant qui me manquait, c’était Hélène et Christophe, je ne voulais pas lui faire peser ce drame. » Les enfants, pourtant, cela reste son quotidien. Carole a exercé pendant près de dix ans comme assistante maternelle, puis est devenue famille d’accueil en 2010. En ce moment, une adolescente vit chez eux. Une vocation qui a pourtant été un parcours du combattant.

Son histoire faisait peur. Le conseil départemental lui a même refusé une première fois l’agrément. « J’ai été stigmatisée, ils craignaient que je fasse une sorte de transfert. Je les ai aimés, ces gosses, mais je les ai jamais pris pour les miens. » Quand on demande à Carole si elle est heureuse aujourd’hui, elle ne réfléchit pas longtemps. « Mon coeur de mère est détruit mais je peux dire que suis quand même heureuse, surtout de vivre avec l'homme que j'aime. On dit qu’il faut laisser du temps au temps. C’est pas faux. »

Un récit par écrit

Carole Rognon a écrit en 2014 un livre, A bout touchant, aux éditions du Net, dans lequel elle raconte son histoire et sa reconstruction.