EnvironnementLa tarification progressive de l’eau évite-t-elle vraiment le gaspillage ?

Sécheresse : La tarification progressive de l’eau évite-t-elle vraiment le gaspillage ?

EnvironnementPrésentée comme une mesure phare dans le plan eau, la tarification progressive souffre d’un manque d’étude concernant son efficacité
Illustration de l'eau du robinet.
Illustration de l'eau du robinet. - A.GELEBART/20 MINUTES / 20 Minutes
Gilles Durand

Gilles Durand

L'essentiel

  • Le plan eau annoncé par le président Emmanuel Macron évoque un volet « tarification progressive » dans le contexte d’une forte baisse de la ressource disponible en France.
  • Un changement radical de méthode qu'une quinzaine de collectivités ont mis en place récemment, comme Nice ou encore Montpellier. Le dispositif pourrait être étendu à toute la France.
  • Côté collectivités qui ont un retour d’expérience sur le sujet, force est de constater que le chemin pour vérifier l’efficacité de la « tarification progressive » est encore long.

Pratiquer des tarifs progressifs évite-t-il le gaspillage ? Comme le soulignait 20 Minutes, en avril, le plan eau annoncé par le président Emmanuel Macron évoque un volet « tarification progressive » dans le contexte d’une forte baisse de la ressource disponible en France. Un changement radical de méthode puisque, aujourd’hui, dans la grande majorité des régies qui gèrent l’eau (privées ou publiques), c’est le principe de dégressivité qui est appliqué. C’est-à-dire que plus on consomme, moins le m3 coûte cher.

Une quinzaine de collectivités ont néanmoins mis en place cette tarification progressive, récemment, comme Nice ou encore Montpellier. Le dispositif pourrait être étendu à toute la France. Mais taper au porte-monnaie suffira-t-il à faire baisser la consommation d’eau ? A l’heure où la sécheresse pointe son nez, 20 Minutes s’est renseigné auprès des quelques collectivités qui ont un retour d’expérience sur le sujet. Force est de constater que le chemin pour vérifier l’efficacité est encore long.

Peu de retours d’expérience

Avec la loi Brottes, instaurée il y a dix ans, en 2013, une quarantaine de collectivités avaient mis en place une tarification sociale dont l’objectif principal n’était pas forcément de faire baisser la consommation. D’ailleurs, parmi les multiples dispositifs expérimentaux mis en place, seules cinq collectivités ont testé la tarification progressive. Premier écueil : aucune étude sur le retour d’expérience de cette expérimentation particulière n’a été menée par le gouvernement avant de lancer son plan eau.

Dans le maquis des données, 20 Minutes a pu retrouver ces cinq collectivités aux expériences très variées. En Normandie, Fécamp, par exemple, n’a même pas pu mener l’expérimentation prévue car l’étude initiale a pris du retard. La petite ville de Blénod-lès-Pont-à-Mousson, en Lorraine, n’a pas pu, non plus, fournir de données chiffrées sur l’évolution de la consommation depuis la mise en place de sa tarification progressive en janvier 2018.


Difficile d'établir un lien de cause à effet

Difficile aussi pour la régie publique Eau de bassin rennais (EBR) sur le territoire rennais, en Bretagne, de dresser un constat probant. « Seule la ville de Rennes bénéficie de ce tarif progressif depuis 2016, explique Laurent Geneau, directeur général d’EBR. On déploie le principe de la tarification progressive à la fin de chaque échéance locale, mais en premier lieu, il a fallu harmoniser toutes les tarifications qui existaient dans les différentes communes rattachées au nouveau réseau de distribution d’eau commun. »

Si l'on prend l’exemple de la ville de Rennes, il est constaté une baisse de la consommation moyenne de 1m3 par foyer entre 2020 et 2021, passant de 67 à 66 m3. « Mais impossible de savoir si c’est lié à la tarification progressive. Le phénomène confinement a peut-être joué », souligne Laurent Geneau. D’autant que l’augmentation de tarif n’intervient qu’à partir de 100 m3.

« Supprimer d’abord les tarifications dégressives »

De même, « la baisse observée de 5 à 10 % en période de sécheresse, en 2022, semble plutôt liée à la sensibilisation lancée par les pouvoirs publics », poursuit Laurent Geneau. Même analyse prudente de Christophe Lime, vice-président de la régie Eau du Grand Besançon et président de France Eau publique, association des régies publiques françaises. « En France, il existe encore plus de 30.000 services publics d’eau et d’assainissement. On ne sait pas trop ce qui se passe dans le domaine de la consommation », avoue-t-il.

A Besançon, la tarification progressive a commencé en 2015, mais avec un palier encore peu incitatif au niveau financier et fixé à 80 m3. Là encore, aucune donnée ne montre une baisse de la consommation liée à cette expérience. « Notre principal travail à partir de 2019 et le regroupement de 68 communes a été, d’abord, de supprimer toutes les tarifications dégressives. Ainsi, on a commencé à sentir une baisse de la consommation il y a seulement un an ou deux, notamment parmi les gros consommateurs », constate Christophe Lime. Et de citer un exemple frappant. « En 2022, c’est la première fois que nous n’avons pas vu la consommation d’eau augmenter alors qu’un arrêté sécheresse était pris, poursuit-il. C’était malheureusement le cas auparavant. Les gens ont vraiment pris conscience du problème, d’autant que, depuis trois ans, on voit la rivière Doubs disparaître sur plusieurs kilomètres. »

L’exemple de Dunkerque

En fin de compte, seule la communauté urbaine de Dunkerque est capable de présenter un véritable bilan de son expérience de tarification progressive. Il y a dix ans, elle avait été la première collectivité à franchir le pas. C’est pourquoi le réseau Eaux du Dunkerquois sert régulièrement de référence dès qu’on évoque la progressivité des tarifs.

« Le territoire n’a pas de ressources propres en eau potable, c’est pour ça que nous essayons par tous les moyens de favoriser la sobriété », explique Bertrand Ringot, président des Eaux du Dunkerquois. Et le tarif progressif semble porter ses fruits. « En dix ans, nous sommes passés d’une consommation moyenne par foyer de 81 m3 à 67 m3 », assure-t-il. Et le basculement de tarif se situe précisément à 80 m3. Mais l’élu conçoit qu’il existe encore de nombreux biais. « Nous souhaiterions connaître la composition exacte du foyer pour pouvoir adopter le tarif, notamment pour les familles nombreuses qui forcément consomment davantage, mais nous ne sommes pas aidés par la CAF ou la CPAM sur ce sujet », déplore-t-il.

Le contre-exemple belge

Néanmoins, Bertrand Ringot estime que la tarification progressive n’est qu’un levier pour réduire la consommation. « La sensibilisation et l’aide à l’installation d’économiseurs d’eau, par exemple, sont également nécessaires », précise-t-il. C’est également la conclusion que dresse une étude scientifique bruxelloise, laquelle met, au contraire, sérieusement en doute l’intérêt de la tarification progressive.

Sept universitaires passent au crible ce dispositif qui existe depuis 2005 sur le territoire de Bruxelles, en Belgique. « Il était supposé être social et écologique (…). Nous mettons en évidence que rien n’indique que la tarification progressive ait incité les Bruxellois·es à réduire leur consommation d’eau, qui est déjà basse », dénoncent les universitaires qui estiment, au contraire, qu’elle « entraîne de sérieux problèmes d’équité ».

Parmi les arguments développés : la taille du foyer et les compteurs collectifs. Et surtout, l’étude montre que la baisse, depuis une vingtaine d’années, peut être liée à d’autres facteurs que la sobriété individuelle. Et Christophe Lime, à Besançon, de renchérir. « Entre 2001 et 2012, une étude française montrait une baisse de la consommation d’eau d’environ 1,5 % chaque année. Or cette baisse était liée aux progrès technologiques, notamment des appareils électroménagers », indique-t-il.

Tarification saisonnière adaptée

Alors, faut-il vraiment s’engager dans la voie de la tarification progressive sans avoir véritablement testé son efficacité en France ? Et quels paliers adoptés pour vraiment faire changer les comportements ? Christophe Lime propose une solution alternative grâce au déploiement des compteurs d’eau connectés. « Ce système permettrait, par exemple, de mettre en place une tarification saisonnière adaptée en cas d’arrêté préfectoral pour lutter contre la sécheresse », glisse-t-il.


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A Rennes, Laurent Geneau soulève un autre problème concernant cette politique tarifaire. « Il ne faut pas faire croire aux gens que leur facture d’eau va baisser s’ils économisent, note-t-il. La baisse des factures serait un mauvais signal envoyé car ça signifierait une baisse des recettes et des investissements pour la distribution et l’assainissement. » Car si le réseau de distribution d’eau de Dunkerque affiche un rendement plutôt bon de 91 %, dans le reste du pays, on tourne plutôt autour de 80 %. C’est-à-dire que 20 % de l’eau se perd dans les fuites. Et Laurent Geneau d’alerter : « Nous avons devant nous un véritable mur d’investissements à réaliser pour renouveler notre réseau de distribution vieillissant. »