Un panier de courses livré en moins de 15 minutes… Les « dark stores », nouvel eldorado de la consommation ?
ACHATS•De nombreuses entreprises tentent de se positionner sur ce créneau, porté par l’envol du e-commerceNicolas Raffin
L'essentiel
- Boosté par le confinement, le e-commerce alimentaire devient une nouvelle habitude.
- Plusieurs start-up promettent de livrer les courses en moins de 15 minutes, grâce à une logistique bien huilée s’appuyant sur les « dark stores ».
- Ce nouveau marché est florissant, mais tous les acteurs ne survivront pas forcément.
Entre les confinements, le couvre-feu, et le télétravail, les Français ont pris l’habitude de rester chez eux, devant leurs écrans. Sans surprise, les commandes passées en ligne ont donc explosé ces derniers mois, y compris pour la nourriture. Selon une étude menée par Nielsen pour la Fevad (la fédération de vente à distance), les ventes dans le e-commerce alimentaire ont grimpé de 42 % en 2020 en France. Et au-delà des classiques achats en ligne auprès d’un restaurant ou des drive de grandes enseignes, un nouveau créneau se développe dans l’Hexagone : la livraison express de courses.
Le principe est simple : le client achète en quelques clics des produits de la vie de tous les jours (pâtes, fromage, papier toilette…), et l’entreprise se charge de les lui apporter à son domicile en moins de 10 ou 15 minutes, moyennant des frais très modestes (moins de 2 euros). Pour tenir ce délai et ces coûts ultra-serrés, la logistique doit être parfaite.
C’est là que le « dark store » entre en scène. Il s’agit d’un entrepôt de taille modeste (200 à 300 mètres carrés), organisé comme un supermarché classique, avec des rayons remplis de produits. Sauf que les clients sont remplacés par des magasiniers, qui préparent les commandes et les donnent aux livreurs. Ces derniers desservent la zone de livraison, limitée à un rayon de 2 ou 3 km autour de l’entrepôt, afin d’être le plus rapide possible.
La densité pour atteindre la rentabilité
Attirées par la promesse d’un marché français en pleine croissance, de nombreuses start-up se lancent dans ces dark stores et la livraison ultrarapide. Le site spécialisé LSA en a ainsi dénombré pas moins de 23 ! Parmi les derniers arrivants, on trouve Flink, créée au début de l’année en Allemagne (« flink » se traduit d’ailleurs par « rapide »). Débarquée à Paris depuis un mois, la start-up a déjà ouvert quatre « magasins » dans la capitale. « Notre objectif est d’avoir un dark store dans chaque arrondissement d’ici à la fin de l’année. Pour l’instant, nous couvrons environ 700.000 personnes », confie Charles d’Harambure, le directeur général France de Flink.
Cette volonté de s’implanter d’abord dans la capitale n’est pas un hasard. Outre le besoin de visibilité marketing, « cela permet d’avoir une masse de clients potentiels très importante du fait de la densité urbaine, et donc de pouvoir être rentable assez rapidement », analyse Marc Filser, professeur à l’IAE de Dijon et spécialiste de la grande distribution.
Un panier moyen compris entre 20 et 30 euros
Les start-up du secteur veulent évidemment croire à cet engouement pour ce nouveau service de livraison ultrarapide. « On ne s’attendait pas à avoir autant de clients aussi rapidement », assure Henri Capoul. Le cofondateur de Cajoo, lancé début 2021 et qui compte déjà 18 dark stores implantés dans plusieurs villes, se dit « convaincu » que le modèle « représente le futur de la consommation ». « Il est évident que le Covid-19 a accéléré l’envie de se faire livrer » renchérit Baptiste Guez, cofondateur de Kol, autre start-up du secteur.
Alors, qu’achètent ceux qui commandent via ces nouvelles applications ? « Au début, les clients testent le service avec quelques produits pour le repas du soir ou le petit-déjeuner, explique Charles d’Harambure. Puis, quand ils voient que les délais de livraison sont respectés, ils commandent leurs courses de la semaine. Le panier moyen tourne autour de 20 à 30 euros ». « Ce qui marche toujours bien, ce sont les œufs, le poulet, les bananes, ou encore les bières » énumère Henri Capoul.
Montrer sa différence
Mais au moment d’évoquer le nombre de commandes enregistrées, plusieurs entreprises deviennent subitement très timides. Leur phrase préférée ? « Nous ne communiquons pas sur le volume ». La raison de cette discrétion est simple : beaucoup sont dans leur phase de démarrage et n’ont pas de chiffres impressionnants à afficher.
A la place, les start-up préfèrent vanter leurs atouts, censés les différencier des concurrentes. « La plupart des acteurs veulent couvrir toutes les courses. Chez Kol, nous sommes plutôt sur des "moments de consommation", comme des apéritifs entre amis ou des brunchs, avec des produits de qualité », assure par exemple Baptiste Guez. De son côté, Cajoo se présente comme « le seul darkstore français », histoire de jouer sur la fibre patriotique du consommateur. Et Flink, « en guerre contre l’ubérisation », rappelle que tous ses livreurs sont salariés de l’entreprise.
Gagner ou périr
Les entreprises de livraison express le savent bien : à terme, il n’y aura pas de la place pour vingt marques de dark stores. « Il y a une course à l’échalote. Mais la réalité, c’est que dans un an et demi, il ne restera sûrement pas grand monde » prophétise Baptiste Guez. « Tout l’enjeu est d’ouvrir suffisamment d’entrepôts, le plus vite possible, pour mailler les villes, analyse Henri Capoul. Il faut être présent le premier pour acquérir le plus d’utilisateurs. Dans ce business, ce qui fait qu’on va télécharger votre appli plutôt qu’une autre, c’est le bouche-à-oreille ».
Un combat de coqs qui pourrait attirer d’autres acteurs du commerce. « On peut très bien imaginer que des distributeurs (Carrefour, Leclerc…) rachètent certaines de ces start-up pour élargir leur offre, estime Marc Filser. Actuellement, la grande distribution est très centralisée, elle fonctionne avec des achats massifs. Les dark stores, qui fonctionnent quasiment de manière autonome et sur de petits volumes, pourraient apporter de la flexibilité à ce modèle ».