MOTS POUR MAUXComment le mot « woke » est devenu une arme contre des militants de gauche

Comment le mot « woke » est devenu une arme pour torpiller les militants anti-discriminations

MOTS POUR MAUXDeux fois par mois, « 20 Minutes » vous aide à y voir plus clair dans les mots des discriminations, avec #MotsPourMaux
Comment le mot «woke» est devenu une arme pour torpiller les militants anti-discrimination
Aude Lorriaux

Aude Lorriaux

L'essentiel

  • Le mot « woke » est né dans les communautés afro-américaines dans les années 1950, et avait alors un sens positif, de personne « éveillée aux enjeux politiques ».
  • Au milieu des années 2010, dans la foulée du mouvement #BlackLivesMatters, de nombreuses personnes qui s’expriment sur les réseaux sociaux sur le sujet des discriminations revendiquent le mot « woke » et il devient très populaire.
  • Barack Obama va critiquer l’emploi parfois excluant de ce mot par des personnes qui se contentent d’un post sur les réseaux sociaux en guise d’action, et « woke » devient alors une arme pour fustiger toute forme d’action ou de discours antidiscriminations.

Vous l’avez peut-être vu passer dans des articles, et même sur des couvertures de journaux grand public : que veut dire le mot « woke », utilisé aujourd’hui en France essentiellement pour critiquer les personnes engagées contre les discriminations ?

En anglais woke veut dire « éveillé », c’est un mot qui est né dans les communautés afro-américaines dans les années 1950. Il a un sens positif, c’est un synonyme de personne bien informée, consciente des enjeux politiques, comme le montre cet article du New York Times, daté de 1962.

En 2016, « Woke » est nommé « mot de l’année » par MTV

Après avoir été oublié un temps, le mot revient aux Etats-Unis dans les années 2010, dans la foulée de l’assassinat de Michael Brown et du mouvement #BlackLivesMatters. Un hashtag se popularise : #staywoke et un site Internet est monté : StayWoke.org.

En 2016, le mot devient si populaire que le très sérieux dictionnaire américain Merriam Webster en fait un article, et que la chaîne MTV le met dans ses mots de l’année. Mais déjà, des critiques apparaissent, qui se moquent de cette facilité à « afficher une prétendue vertu », souvent vide d’action. Comme ce sketch de l’émission Saturday Night Lives, qui imagine un jeans Levis Woke :

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Woke se diffuse à l’étranger avec une connotation péjorative

En octobre 2019, Barack Obama va fortement critiquer ce qu’il estime être une attitude intransigeante de certains militants et militantes. « L’idée de la pureté, et de l’absence de compromis, et qu’on est éveillé politiquement, et tout ça. Vous devriez arrêter ça très vite. Le monde est compliqué et plein d’ambiguïtés », dit-il.

A partir de ce moment-là, le mot « woke » se diffuse à l’étranger, sous sa version négative. En France, il est labellisé en 2019 « buzzword » par l’agence BETC, qui le qualifie de « posture paresseuse de valorisation personnelle ». Au Québec, le polémiste conservateur Mathieu Bock-Côté le qualifie de « peste idéologique de 2020 ». Et même aux Etats-Unis, le mot a largement pris une connotation péjorative. La définition qui l’emporte sur le dictionnaire de mots d’argots Urban dictionary, qui met en avant les définitions les plus votées par les lecteurs et lectrices, le résume comme le fait d’être « prétentieux et de faire étalage de sa conscience des questions sociétales ».

En France, le mot « woke » ne recouvre pas de mouvement politique réel

Aujourd’hui, le mot « woke » est utilisé en France uniquement comme critique, comme une caricature qui vise à décrédibiliser les personnes engagées contre les discriminations, estime la journaliste Judith Lussier, qui a analysé ces critiques dans son livre On ne peut plus rien dire. Le mot « woke » n’est à notre connaissance revendiqué par aucun activiste anti-discriminations en France, et ne recouvre donc pas de mouvement politique réel. Il est davantage un outil politique et médiatique contre certains activistes de gauche qu’une catégorie d’analyse. « Aucun chercheur français spécialiste des discriminations ne l’utilise », ajoute la chercheuse Sophie Pochic.

Reste qu’il ne faut pas exagérer l’importance de ce terme, finalement employé par une toute petite sphère de militants et d’intellectuelles. En mars, un sondage de L’Express révélait que seules 6 % des personnes sondées connaissent ce que l’hebdomadaire appelait la « pensée woke ». Même au Royaume Uni, où l’on parle pourtant anglais, seulement la moitié des gens ont entendu parler de l’expression « être woke ».

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