POLITIQUEAvec qui les talibans pourront entretenir des relations diplomatiques ?

Afghanistan : Avec quels pays les talibans pourraient bientôt entretenir des relations diplomatiques ?

POLITIQUELes talibans ont intérêt à entretenir de bonnes relations diplomatiques, surtout sur le plan économique
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sqdgsg - Rahmat Gul/AP/SIPA / SIPA
Marie De Fournas

Marie De Fournas

L'essentiel

  • Les talibans ont accédé au pouvoir en Afghanistan le dimanche 15 août en s’emparant de la capitale. Depuis, ils définissent par une série de déclarations rassurantes la politique qu’ils entendent mener par la suite dans le pays.
  • Soucieux de donner une autre image que celle qu’ils avaient dans les années 90 lorsqu’ils étaient au pouvoir, les talibans se sont déjà attelés depuis quelques années à nouer de nouvelles relations avec leurs voisins plus ou moins proches.
  • La reconnaissance du régime par la communauté internationale leur assurerait d’obtenir des représentations diplomatiques dans le monde et permettrait à ces pays d’engager avec eux des échanges et accords commerciaux.

Depuis qu’ils sont arrivés au pouvoir,​ les talibans tentent de montrer patte blanche. Les nouveaux dirigeants de l’Afghanistan s’évertuent à rassurer les Afghans et par ricochet la communauté internationale, sur la façon dont ils entendent gouverner le pays. Lors d’une conférence de presse mardi à Kaboul, le porte-parole des talibans, Zabihullah Mujahid, a annoncé « une amnistie générale » et promis que les Afghans ayant travaillé pour les Occidentaux ne seraient pas poursuivis. Il a également assuré que les femmes ne seraient pas obligées de porter le voile intégral et qu’elles auraient des droits en accord avec la loi islamique, comme travailler et étudier.

Un discours bien différent de la politique menée dans les années 90 lorsqu’ils étaient au pouvoir. Si plusieurs pays occidentaux ont affirmé qu’ils attendaient de voir si les talibans respectaient leur parole, ce changement d’orientation pourrait bien influer sur les relations diplomatiques des talibans avec le reste du monde. Une situation qui arrangerait autant le mouvement fondamentaliste islamiste que la communauté internationale.

Quelles erreurs du passé, les talibans veulent-ils éviter ?

Lorsqu’ils étaient au pouvoir entre 1996 et 2001, les talibans étaient « complètement isolés diplomatiquement », assure Karim Pakzad, chercheur à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) et spécialiste de l’Afghanistan. A l’époque, seuls trois pays les reconnaissaient : le Pakistan, l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis. « Mis à part eux, les talibans n’avaient aucune représentation diplomatique dans aucun des 193 pays de l’Assemblée générale des Nations Unies », indique Georges Lefeuvre, anthropologue et chercheur associé à l’IRIS spécialiste de l’Afghanistan.

A l’époque il y avait donc un ambassadeur taliban à Islamabad (Pakistan), à Dubaï (Emirats arabes unis) et un autre à Riyad (Arabie saoudite). « Mais, ailleurs, ils n’avaient aucune représentation diplomatique digne de ce nom. Simplement ce que l’on appelle un ambassadeur itinérant, qui permettait d’avoir un minimum d’échange avec les Etats-Unis Bruxelles ou Paris », se rappelle Georges Lefeuvre, également ex-conseiller politique de la Délégation de l’Union européenne au Pakistan.

Avec quels pays les talibans ont-ils déjà préparé le terrain ?

Plusieurs années avant de se lancer dans la fulgurante reprise du pays, les talibans s’étaient déjà attelés à lustrer leurs relations diplomatiques à l’international. « Avant même d’arriver à Kaboul, ils avaient des contacts et des relations avec de nombreux pays d’Asie, assure Karim Pakzad. Outre le Pakistan, les talibans ont été invités à plusieurs reprises en Chine, en Russie et même dans des pays musulmans lointains comme l’Indonésie. »

Les représentants talibans sont désormais très à l’aise dans les palais internationaux, ce qui n’était pas le cas en 2001. « Vous les voyez au Qatar dans des palais luxueux, où ont lieu les rencontres, il n’y a absolument aucun problème, affirme Georges Lefeuvre. Ils vont à Istanbul et Ankara en Turquie, ou encore à Tachkent en Ouzbékistan. Ils voyagent partout. » Leur bureau politique est basé à Doha en Iran, pays où ils ont par ailleurs déjà été reçus par Mohammad Djavad Zarif, ministre des Affaires Etrangères, une personnalité de haut rang. « Ils ont désormais une indéniable présence diplomatique à défaut de représentation officielle d’ambassade », ajoute Georges Lefeuvre.

Avec qui les talibans pourraient avoir des relations diplomatiques en premier ?

Il est assez probable que les trois pays qui avaient déjà reconnu le gouvernement taliban entre 1996 et 2001, le fassent à nouveau. Premier sur la liste : le Pakistan. « Le pays est la base arrière des talibans donc ils ont de très bonnes relations », note Victoria Fontan, professeur et vice-présidente aux études et à la recherche à l’Université américaine d’Afghanistan à Kaboul. Pour Karim Pakzad, « si les talibans jouent intelligemment au pouvoir, ces pays qui les ont déjà reçus seront les premiers à établir des relations avec eux ».

Selon Victoria Fontan, il y aura ainsi très certainement bientôt un ambassadeur taliban en Chine et en Russie. Signe de leur volonté d’entretenir de bonnes relations avec les talibans, les deux pays ont fait savoir lundi qu’ils maintenaient leurs ambassades à Kaboul, au moment où la plupart des pays occidentaux évacuaient à la hâte leurs ressortissants. « La Russie ne veut pas qu’un conflit s’étende aux républiques d’Asie centrale, analyse l’experte. Elle essaie donc d’avoir de bonnes relations et de normaliser l’image des talibans à l’international. »

Pour la Chine, c’est à double tranchant. Pékin a actuellement des appréhensions concernant sa région du Xinjiang qui possède une frontière commune avec l’Afghanistan et où au moins un million de Ouïghours seraient passés par des « camps de rééducation », selon des experts occidentaux. Or, le régime taliban a entretenu d’étroites relations avec les militants islamistes ouïghours basés en Afghanistan, ce qui inquiète forcément la Chine. D’autant que Pékin a des intérêts économiques sur le sol Afghan. « Il y a une mine de cuivre actuellement exploitée par les Chinois au sud de Kaboul », indique Victoria Fontan.

Les talibans pourraient-ils avoir à terme des relations diplomatiques avec toute la communauté internationale ?

Les promesses des chefs talibans ne sont pas les seuls poids qui pourraient faire pencher la balance pour une reconnaissance du gouvernement taliban par la communauté internationale. « L’Afghanistan c’est le Congo d’Asie. On estime à 2.000 milliards de dollars les ressources naturelles sur le sol afghan qui n’ont encore jamais été exploitées. Du cuivre et des tas de minerais différents », explique Victoria Fontan. Bloqués jusqu’à aujourd’hui en raison des années de guerre civile, les exploitations et les échanges commerciaux pourraient reprendre entre l’Afghanistan et le reste du monde, à condition que le régime soit reconnu.

Parmi eux, des projets en suspens, comme le gazoduc de la compagnie pétrolière américaine Unocal , censé relier le Turkménistan au Pakistan, via l’Afghanistan. Un accord de construction avait été conclu avec les talibans en 1998, mais le projet avait été suspendu quelques mois plus tard après les premiers bombardements de l’US Air Force sur les bases afghanes de Ben Laden. « Personne n’a intérêt aujourd’hui à ce que cette reconnaissance internationale ne se fasse pas », analyse la professeure.

D’ailleurs, loin d’être écartée par les Européens et les Américains, la question est déjà sur le tapis. Après s’être entretenu ces derniers jours avec le président français Emmanuel Macron, la chancelière allemande Angela Merkel ainsi que le président américain Joe Biden, le Premier ministre britannique Boris Johnson a plaidé pour une « approche unifiée » de la communauté internationale pour reconnaître ou non le nouveau régime. « Nous jugerons ce régime sur les choix qu’il fait et sur ses actes, plutôt que sur ses paroles », a-t-il ajouté. Si cette reconnaissance internationale venait à être donnée, Victoria Fontan avertit : les futurs partenaires économiques ne devront pas pour autant « se laisser endormir » par les talibans et réagir par différents leviers en cas d’atteinte aux droits humains.

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