EPIDEMIOLOGIELa fin de la gratuité des tests peut-elle biaiser le suivi de l’épidémie ?

Coronavirus : La fin de la gratuité des tests peut-elle biaiser le suivi de l'épidémie ?

EPIDEMIOLOGIECette mesure, qui entrera en vigueur en octobre, va considérablement faire baisser le nombre de personnes testées
Les tests réalisé pour des loisirs pourraient devenir payant après la rentrée
Les tests réalisé pour des loisirs pourraient devenir payant après la rentrée - SYSPEO/SIPA / SIPA
Manon Aublanc

Manon Aublanc

L'essentiel

  • Avec l’instauration du pass sanitaire, le nombre de tests a battu tous les records cet été, et particulièrement le 13 août, où près d’un million de prélèvements ont été réalisés en France, selon les données de Santé publique France.
  • Le gouvernement a annoncé début août la fin de la gratuité des tests PCR et antigénique dits « de confort » à compter de la mi-octobre.
  • Pourtant, depuis le début de la pandémie, les dépistages permettent aux autorités sanitaires de suivre quasiment en temps réel la circulation du virus en France.

Pris en charge par la Sécurité sociale depuis le début de l'épidémie de coronavirus, les tests PCR et antigéniques de « confort » vont devenir payants à partir de la mi-octobre. Un changement qui risque de faire chuter le nombre de dépistages et de biaiser les chiffres du suivi de la situation sanitaire.

Avec l’instauration du pass sanitaire, le nombre de tests a battu tous les records cet été, et particulièrement le 13 août, où près d'un million de prélèvements ont été réalisés en France, selon les données de Santé publique France. En devenant payants, les tests risquent d’être moins nombreux.

Un nombre de cas qui ne devrait pas varier drastiquement

Le 4 août dernier, le gouvernement a annoncé qu’il mettrait fin à la mi-octobre à la gratuité des tests PCR et antigéniques dits « de confort », c’est-à-dire les tests réalisés par des personnes qui souhaitent obtenir le pass sanitaire sans se faire vacciner ou pour lever le doute d’une éventuelle contamination. Seules les personnes symptomatiques ou cas contacts, munies d’une ordonnance, pourront réaliser un test gratuitement. Pour Antoine Flahault, épidémiologiste et directeur de l’Institut de santé globale de Genève, aucun doute, « le nombre de tests va énormément diminuer avec la fin de la gratuité, les Français ayant peu l’habitude de couvrir directement leurs dépenses de santé ».

Pourtant, depuis le début de la pandémie, les dépistages permettent aux autorités sanitaires de suivre quasiment en temps réel la circulation du virus en France. « On va rater les personnes asymptomatiques, celles qui ont un doute et qui ne veulent pas payer. On va prendre du retard dans l’identification des cas et dans le cassage des chaînes de transmission », s’inquiète Michaël Rochoy, médecin généraliste, chercheur en épidémiologie et membre du collectif Du côté de la science, qui estime que « les semaines qui vont suivre la fin de la gratuité vont être plus complexes pour le bon suivi épidémiologique ».

Mais pour Marie-Aline Bloch, chercheuse en sciences de gestion à l’École des hautes études en santé publique (EHESP), les chiffres ne seront toutefois pas forcément biaisés : « On tracera un peu moins l’épidémie, mais le suivi restera quand même fidèle. On aura moins de gens qui se testeront, mais comme les personnes symptomatiques et les cas contacts pourront continuer à le faire gratuitement, le nombre de cas ne sera finalement pas très différent », tempère la spécialiste.

Plusieurs indicateurs nécessaires

Si le nombre de tests devrait baisser, le taux de positivité, lui, va probablement évoluer. « Au lieu de faire des tests n’importe quand, n’importe comment, les personnes testées seront essentiellement celles qui ont des symptômes ou qui sont cas contacts. Et de facto, le taux de positivité va augmenter, il sera beaucoup plus important », explique Michaël Rochoy, qui estime qu’il faudra une période d’adaptation et « probablement une révision des seuils d’alerte » pour avoir un suivi réel de la circulation du virus. Les trois spécialistes sont formels : le suivi de l’épidémie ne repose pas uniquement sur l’indicateur du nombre de tests réalisés ou sur le taux de positivité. En effet, le nombre de tests positifs n’est pas l’indicateur le plus représentatif de la circulation du virus, ni celui scruté par les autorités sanitaires.

« Un seul indicateur n’est pas suffisant pour dresser un portrait de la situation sanitaire. Côté tests, on s’appuie sur le taux de reproduction du virus qui est un indicateur très utile pour le pilotage de la pandémie », détaille Antoine Flahault, faisant référence au R0, c’est-à-dire le nombre moyen de personnes qu’une personne infectée peut contaminer. « Ensuite, il faut observer les taux d’hospitalisations, les chiffres en réanimation et les décès dus au Covid-19, ce sont des indicateurs précieux, surtout s’ils sont rapportés selon l’âge et le statut vaccinal », poursuit le directeur de l’Institut de santé globale de Genève.

Augmenter la couverture vaccinale

Le gouvernement doit-il revoir sa stratégie de dépistage ? Pas nécessairement, pour Antoine Flahault. L’épidémiologiste plaide pour « séquencer massivement », afin de détecter les nouveaux variants et « mesurer le taux de la couverture vaccinale afin de repérer les poches de sous-vaccination, qui sont des zones à risque ».

Car si le gouvernement a décidé de rendre les tests dits « de confort » gratuits, « c’est clairement pour pousser la population restante à se faire vacciner », poursuit Antoine Flahault. Selon les dernières données du ministère de la Santé, mis à jour ce jeudi, 73 % de la population française de plus de 18 ans a été entièrement vaccinée. « Quand on voit la proportion minime de personnes vaccinées hospitalisées par rapport aux patients non-vaccinés, il faut espérer que ça incite à se faire vacciner », ajoute Marie-Aline Bloch.

Pour les spécialistes, il s’agit également d’une décision prise pour plus d’équité : « Le coût des tests de confort pour les non vaccinés ne pouvait plus être supporté massivement par les vaccinés [via leurs cotisations à l’Assurance maladie], comme aujourd’hui, sans poser de problèmes », avance Antoine Flahault. « C’est normal qu’on régule, que la gratuité s’arrête pour les gens qui décident de ne pas se vacciner et qui réalisent des tests juste pour aller au restaurant ou au musée », ajoute Michaël Rochoy. « La France faisait figure d’exception avec la gratuité des tests, mais aujourd’hui, ce n’est plus la mesure majeure pour gérer cette épidémie », renchérit Marie-Aline Bloch.