FAKE OFFAprès avoir piégé la presse, le roi des canulars a-t-il perdu la main ?

Après deux décennies à piéger la presse, le roi des canulars a-t-il perdu la main ?

FAKE OFFIl a publié des fausses interviews pendant dix ans sans que personne ne remarque rien, puis il s’est mis à annoncer, parfois avec succès, des faux décès de célébrités sur Internet. Mais une énième tentative, lundi, d’annoncer une mort n’a pas été prise au sérieux. Les ficelles de Tommaso Debenedetti sont-elles trop connues ?
Illustration d'un ordinateur.
Illustration d'un ordinateur.  - Burst / Pexels / Pexels
Mathilde Cousin

Mathilde Cousin

L'essentiel

  • Spécialiste des canulars sur Internet, Tommaso Debenedetti s’est fait passer lundi pour une maison d’édition pour annoncer la fausse mort de Michel Houellebecq.
  • Cette annonce n’a pas été prise au sérieux, à la différence de précédents canulars imaginés par l’Italien.
  • Pendant les années 2000, le Romain a publié des fausses interviews de personnalités de premier plan, en étant débusqué plusieurs années après.

Ses ficelles seraient-elles devenues un peu trop grosses ? Lundi, un mystérieux compte Twitter, présenté comme celui des éditions Flammarion, annonce, d’abord en anglais puis en français, la mort de l'écrivain Michel Houellebecq. Loin d’affoler la twittosphère et le monde de l’édition, le tweet est pris avec humour par les internautes, qui y reconnaissent la patte de Tommaso Debenedetti, avant qu’il ne se démasque lui-même, quelques minutes plus tard.

Le faux tweet
Le faux tweet - Capture d ecran Twitter

Le message portait les ressorts utilisés habituellement par l’Italien, spécialiste de ce type de canulars : un compte Twitter récent, une annonce de décès d’une personnalité du monde des arts.

Médias et grand public ne sont pas, cette fois-ci, tombés dans le panneau. L’annonce était, en effet, suspecte : elle n’émanait pas, par exemple, du compte officiel des éditions Flammarion.

Costa-Gavras obligé de démentir son propre décès en 2018

Les méthodes de l’Italien seraient-elles devenues trop grossières ? Ou les médias et le grand public seraient-ils devenus plus aguerris dans la vérification de contenus sur Internet ? Il y a encore trois ans, le réalisateur Costa-Gavras était obligé de démentir sa propre mort.

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Le tweet était apparemment signé de la nouvelle ministre grecque de la Culture. A son arrivée au gouvernement, celle-ci ne disposait pas de compte à son nom. Une faille dont s’est emparé Tommaso Debenedetti, qui a créé un compte au nom de la ministre puis y a annoncé le faux décès du cinéaste. L’Italien n’en était pas à son coup d’essai : il avait auparavant « tué » virtuellement Fidel Castro ou Gabriel Garcia Marquez.

Des fausses interviews des grands de ce monde

Celui qui se présente comme professeur d’italien et d’histoire* s’est fait connaître au tournant des années 2010, lorsqu’il a été révélé qu’il publiait, depuis une dizaine d’années, de fausses interviews dans des journaux italiens. Les personnalités les plus prestigieuses, des écrivains Gore Vidal et Arthur Miller, au cardinal Ratzinger, qui deviendra le pape Benoît XVI, en passant par Mikhaïl Gorbatchev sont passées sous sa plume, se souvenait-il dans une interview accordée en 2010 au quotidien espagnol El Pais.

C’est précisément en 2010 que le pot aux roses est découvert : une journaliste italienne interroge l’écrivain américain Philip Roth sur une déclaration critique qu’il aurait faite au sujet de Barack Obama dans le journal Libero. Surpris, l’écrivain ne se souvient pas d’avoir tenu de tels propos. Après des recherches, il faut se rendre à l’évidence : l’interview a été inventée.

« J’aime être un champion du mensonge »

« J’aime être un champion du mensonge », expliquait Tommaso Debenedetti à El Pais. Le Romain voulait devenir journaliste culturel. N’arrivant pas à vendre des sujets à des rédactions, il décide d’en inventer et de viser les journaux à faible diffusion, notamment des titres locaux ou orientés à droite, qu’il estime moins regardants sur la qualité des sujets que les deux quotidiens de référence italiens.

C’est ainsi que l’Italien réussit à décrocher de pseudo-scoops. D’ailleurs, il ne trompe pas que des journaux locaux : en 2003, une « interview » de l’écrivain égyptien Naguib Mahfouz, prix Nobel de littérature, qu’il signe est republiée dans France-Soir, a-t-il affirmé en 2010 auprès du magazine The New Yorker. Un de ses plus gros « coups », estimait-il alors.

« Je me suis amusé comme un fou pendant dix ans »

Qu’est-ce qui a motivé ce fils et petit-fils de journalistes et critiques littéraires à inventer des interviews ? « Je me suis amusé comme un fou pendant dix ans », a-t-il répliqué au New Yorker. Celui qui se présente également comme enseignant veut dénoncer le système médiatique de son pays. « Je voulais voir à quel point les médias étaient faibles en Italie », racontait-il au Guardian en 2012. « La presse italienne ne vérifie rien, particulièrement si c’est proche de leur ligne politique, c’est pourquoi le journal de droite Libero a aimé les attaques de Roth sur Obama. »

Philip Roth, d’ailleurs, a estimé que la carrière de Tommaso Debenedetti était « terminée » quand la supercherie a été découverte. Dans les journaux peut-être, mais pas sur Internet. Depuis, l’Italien frappe régulièrement sur le Web, annonçant de fausses morts, ou en se faisant passer pour des personnalités politiques, quitte à risquer parfois la crise diplomatique​.

En 2016, il réussit à tromper brièvement USA Today, un grand quotidien américain, en se faisant passer pour une maison d’édition et en annonçant faussement la mort de l’écrivain Cormac McCarthy.

« Les réseaux sociaux sont la source d’information la plus invérifiable du monde »

« Les réseaux sociaux sont la source d’information la plus invérifiable du monde mais les médias les croient en raison de leur nécessité d’être rapides », analysait-il auprès du Guardian, alors qu’il avait déjà annoncé sur Twitter la mort de Fidel Castro ou celle du pape.

Le dernier gros « coup » de l’Italien remonte à 2018, à la fausse annonce de la mort de Costa-Gavras. Etant donné « l’échec » de son tweet sur Michel Houellebecq, l’Italien va-t-il se réinventer, pour tester, une nouvelle fois, le besoin des médias d’être les premiers à publier une information ?

* Contacté, Tommaso Debenedetti a décliné notre demande d’interview.