FOOTBALLLes fans de foot favorables à une Coupe du monde biennale selon la Fifa ?

Que se cache-t-il derrière le sondage de la Fifa favorable à une Coupe du monde tous les deux ans ?

FOOTBALLLa Fifa utilise tous les outils possibles pour persuader les fans de foot qu’un changement de calendrier est désiré par la majorité d’entre eux
Gianni Infantino qui pense à son sondage maison.
Gianni Infantino qui pense à son sondage maison.  -  Alexey Filippov/SPUTNIK/SIPA / SIPA
Julien Laloye

Julien Laloye

L'essentiel

  • La Fifa a publié un sondage affirmant que 55% des supporters de foot étaient favorables à des Coupes du monde rapprochées dans le temps.
  • Quand on l'analyse avec précision, l'étude recèle pourtant des biais facilement détectables.
  • Une autre enquête plus complète est en cours, concernant 100.000 personnes de plus de 100 pays.

Dans la bataille d’usure qui s’engage autour de la refonte du calendrier international, la Fifa a décidé d’envoyer toutes ses troupes en première ligne. Après plusieurs jours de lobbying effréné de Wenger et compagnie pour faire passer l’idée d’une Coupe du monde tous les deux ans « dans l’intérêt des joueurs et des spectateurs » (et surtout pas celui de Gianni Infantino, qui verrait les revenus de son institution doubler tranquillement), allons-y pour une nouvelle étape du bombardement : un sondage officiel publié jeudi, qui affirme qu’une « majorité de supporteurs se prononce en faveur d’une augmentation de la fréquence de la Coupe du monde ». 55 % contre 45 %, précisément.

Un constat surprenant quand on sait la fronde récente des nombreuses associations de supporteurs quant à cette idée saugrenue de foutre une grande compétition chaque été, mais soit. 20 Minutes a tout de même décidé de s’intéresser d’un peu plus près aux ressorts de ce fameux sondage, et à sa méthodologie.

Qui a été interrogé, et par qui ?

La FIFA précise qu’il s’agit d’une étude menée par Iris (Intelligent research in sponsoring) une agence de conseil reconnue, en partenariat avec YouGov, fournisseur de panel, « dans le cadre de l’étude de marché portant sur la faisabilité d’une bisannualisation de la Coupe du monde ». 23.225 personnes, issues du monde entier (on y reviendra) ont renvoyé un questionnaire par Internet, parmi lesquelles 15.008 ont été retenues parce qu’elles « ont exprimé un intérêt pour le football et la Coupe du monde ».

Comment ont été écartés les 8.000 malheureux ? « On a demandé aux participants de noter leur intérêt pour le football et d’autres sports sur une échelle de un à quatre, de "pas intéressés du tout" à "très intéressés", explique à 20 Minutes Peter Weber, le directeur de l’Iris. Ensuite, on a demandé à ceux qui avaient répondu au moins "intéressés" de préciser leur degré d’attachement au football de club et au football des nations sur la même échelle. Ceux qui ont répondu au moins "un peu intéressés" ont reçu la question du sondage ». Pas que des connaisseurs, donc.

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Quand ?

Le recueil des données s’est opéré entre le 29 juin et le 9 juillet, avant que la possibilité réelle d’une Coupe du monde rapprochée ne soit soulevée par l’instance. On en revient un peu toujours à la même comparaison, mais un sondage sur « Qui ferait un bon président de la République ? » n’a pas la même signification en mars 2019 et en mars 2021.

Ajoutons également que l’étude commandée par la FIFA s’est déroulée à un moment très opportun : la fin de l’Euro, entre les quarts de finale et la finale, peut-être les matchs les plus excitants de l’année avec les derniers tous de C1. Il n’est pas interdit d’imaginer que le fan de foot, à ce moment-là, ait envie de voir ça plus souvent.

Quelle question a été posée ?

Les termes exacts : « Si vous considérez votre intérêt personnel pour la Coupe du monde, sans prendre en compte aucune conséquence quant à la nécessité de modifier le calendrier actuel, à quelle fréquence souhaiteriez-vous assister à une Coupe du monde ? »

Une remarque au hasard ? Il est spécifiquement demandé au répondant de ne pas réfléchir aux conséquences d’une modification du calendrier, ni sur la santé des joueurs, si sur le portefeuille des supporteurs, par exemple. On aurait obtenu un échantillon de réponses différentes avec une question articulée de cette façon, pour rigoler : « Au risque de flinguer la planète encore plus à cause des voyages incessants et de finir à découvert chaque été à cause des coûts de déplacement, est-ce que vous aimeriez voir une Coupe du monde tous les deux ans ? »

Quelles étaient les réponses possibles ?

C’est là où on se fend la poire. Puisque le sujet est de savoir s’il faut rester sur un cycle de quatre ans ou passer à deux ans, pourquoi ne pas proposer uniquement ces deux réponses-là ? Mais non, la FIFA propose également l’option, « tous les ans », et « tous les trois ans ». C’est-à-dire trois réponses sur quatre qui proposent de réduire l’attente entre chaque rendez-vous.

S’il est donc tout à fait exact d’écrire qu’une majorité de sondés est en faveur d’un rendez-vous plus régulier à 55 %, le statu quo d’une Coupe du monde tous les quatre ans reste largement en tête, à 45 %, contre 30 % tous les deux ans. Dans le même ordre d’idées, quelle serait la préférence de ceux qui ont opté pour une compétition triennale (14 %), s’ils n’avaient le choix qu’entre une épreuve tous les deux ans ou tous les quatre ans ? Et pour ce qui est des 11 % qui veulent voir une boucherie à 48 équipes tous les ans, on peut se demander s’ils connaissent vraiment le foot, ou s’ils l’aiment au moins un tout petit peu.

Contactée pour clarifier le choix de l’intitulé de la question posée et de ses réponses, la Fifa se réfère à son objectif initial lors du lancement de la consultation : « Il permettra de réaliser une analyse exhaustive de la situation, prenant en considération les différents intérêts et points de vue au sein du football mondial, sans objectifs prédéterminés, dans un esprit d’ouverture et à la recherche des meilleures solutions dans l’intérêt du football. » D’où la question la plus ouverte possible.

Arsène Wenger, l'ancien manager d'Arsenal, officie depuis novembre 2019 à la Fifa.
Arsène Wenger, l'ancien manager d'Arsenal, officie depuis novembre 2019 à la Fifa. - Michael Zemanek / Shutterstock / Sipa

Existe-t-il une disparité des points de vue selon les pays des sondés ?

23 pays, ou plutôt « marchés », ont été sélectionnés « en fonction de leur niveau d’intérêt pour le football, de leur audience, de la diversité géographique et de leur dimension démographique, l’objectif étant d’obtenir des données représentatives pour chaque région », explique la FIFA. On peut s’étonner de l’absence de la France, de l’Argentine ou de l’Italie, comme du choix de certains pays qui ne se qualifient pas souvent pour l’épreuve et qui pourraient donc voir dans cette réforme une opportunité égoïste. La Nouvelle-Zélande plutôt que l’Australie en Océanie, ou l’Egypte et l’Afrique du Sud sur les trois pays choisis pour représenter l’Afrique.

Il convient toutefois d’être honnête jusqu’au bout. Les sondés issus de la Confédération européenne, les plus hostiles au changement, sont les plus largement représentés dans le panel (28 %), loin devant l’Afrique (16 %), qui pousse à mort pour une Coupe du monde biennale via la Confédération africaine de football (CAF). Le résultat global ? Il est très rare de trouver un pays où le statu quo n’est pas l’option préférentielle quand on additionne toutes les catégories d’âge, en dehors de l’Arabie saoudite – c’est la Fédération qui a soumis la proposition au Congrès de la FIFA – de l’Egypte, et de la Turquie.

Et en fonction de leur âge ?

Le choix générationnel entre les vieux croulants et les jeunes zappeurs hyperconnectés, déjà mis en avant par les fondateurs de l’éphémère Superligue pour nous vendre leur salade empoisonnée, est une réalité, certes, mais une réalité qu’il convient de nuancer.

Même parmi les 18-24 ans, « les consommateurs de demain », c’est le rythme actuel qui garde la main, d’une courte tête (37 %, contre 31 % pour un Mondial tous les deux ans), quand les plus de 55 ans souhaitent conserver le calendrier tel qu’il est fixé depuis 1930 à près de 60 %. Evidemment, on voit d’ici la Fifa nous sortir qu’une majorité de jeunes américains sont favorables à une Coupe du monde biennale (43 % vs 39 %), mais on leur rétorquera alors qu’on parle d’un panel de 397 votants pour toutes les catégories d’âge aux USA, ce qui doit nous faire au doigt mouillé 80 sondés de moins de 24 ans, si les proportions sont respectées.

Difficile, globalement, de s’appuyer sur un sondage comportant autant de limites pour justifier le passage à une Coupe du monde tous les deux ans, si tant est que la FIFA ait besoin d’un sondage pour l’encourager dans ses projets. Mais Infantino a déjà commandé une deuxième enquête, d’une ampleur inédite (plus de 100.000 personnes dans plus de 100 pays) qui se veut « plus générale dans son approche, à travers la prise en compte d’éléments comme la population, la diversité géographique, l’histoire et le potentiel du football national ». Hâte de connaître le résultat ? Nous non plus.