DEFENSELa crise des sous-marins peut-elle unir l’Union européenne ?

Crise des sous-marins : Le camouflet fait à la France peut-il unir l’Union européenne contre les Etats-Unis ?

DEFENSELes instances européennes ont vigoureusement dénoncé la trahison des Etats-Unis contre la France
Charles Michel, président du Conseil européen, a tapé du poing sur la table ce lundi contre les Etats-Unis
Charles Michel, président du Conseil européen, a tapé du poing sur la table ce lundi contre les Etats-Unis - Ludovic MARIN / AFP / AFP
Jean-Loup Delmas

Jean-Loup Delmas

L'essentiel

  • Ce lundi, les 27 ont pris la défense de la France dans la crise des sous-marins, pointant du doigt le comportement déloyal des Etats-Unis.
  • Une défense européenne bien rare à ce niveau-là, surtout contre la première puissance mondiale.
  • L’Europe est-elle en train de s’unir durablement, en indépendance des Etats-Unis ?

Il paraît que c’est dans les moments difficiles qu’on reconnaît ses vrais amis, et c’est peut-être bien ce que vit la France actuellement. Floué dans la crise des sous-marins, qui a vu l’Australie résilier « le contrat du siècle » au profit de navires américains, Paris a vu ce lundi l’Union européenne venir à sa rescousse. Les 27 ont dénoncé « un manque de loyauté » des Américains, par la voix du président du Conseil européen Charles Michel, quand le même jour, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a jugé « inacceptable » le traitement réservé à la France dans ce dossier.

Une telle levée de boucliers de la part des Européens est rare, a fortiori contre les Etats-Unis, et de surcroît au sujet de la Défense, pas vraiment le sujet sur lequel les Européens sont le plus d’accord entre eux. De là à voir une opportunité pour les 27 de s’unir et de dépasser d’historiques divisions, il n’y a qu’un pas.

La fin de la naïveté

« Cela peut devenir un de ces moments historiques où la solidarité européenne se renforce », espère Joséphine Staron, docteure en philosophie politique à la Sorbonne et directrice des études et des relations internationales du think tank Synopia. Au-delà de la crise des sous-marins, un autre évènement récent peut tracer la voie d’une union plus forte des Européens : le départ précipité désorganisé et unilatéral des Américains d’Afghanistan, « montrant de manière brutale que les Etats-Unis n’avaient aucune considération pour leurs alliés », atteste la chercheuse. Qui se défend de toute fixette sur les Américains en particulier : « L’Europe apprend seulement la realpolitik : chaque pays défend ses intérêts avant tout. Pour s’en sortir, elle ne peut que compter sur elle. »

La fin aussi d’une autre naïveté, celle de penser que l’unilatéralisme des Etats-Unis n’était le résultat que du Trumpisme. Joséphine Staron poursuit : « Le America first remonte à Barack Obama, a continué avec Trump, et est aujourd’hui perpétué par Joe Biden. Il y a en réalité peu de différences dans la politique extérieure entre ces trois présidents. » Maintenant, la donne est claire : les Américains ne sont pas fiables si leurs alliés rentrent en collision avec leur propre bénéfice.

« Une forme d’humiliation pour toute l’Europe, qui se doit de réagir »

Cette contre-attaque européenne paraît d’autant plus solidaire qu’en réalité peu de pays parmi les 27 pourraient être concernés par de tels contrats militaires. Mais c’est au contraire peut-être l’une des raisons d’une telle vindicte européenne, explique Joséphine Staron : « Si même la première puissance nucléaire et militaire en Europe se fait ridiculiser, alors qu’est-ce que ça aurait été pour les autres Etats ? C’est une forme d’humiliation pour toute l’Europe, qui se doit de réagir ensemble. »

Sylvie Matelly, directrice adjointe à l’Iris (Institut de relations internationales et stratégiques) et spécialiste de l’Europe, envisage deux scénarios. Dans le premier cas, les Européens se rendent compte que les Etats-Unis sont des alliés incertains, indépendamment de qui dirige la Maison-Blanche, et se lancent dans une défense européenne permettant de surcroît une troisième voie entre Washington et Pékin, « un rival systémique certes mais un partenaire à ne pas nécessairement froisser juste par alliance avec les Etats-Unis ». Dans un second cas, les Etats-membres préfèrent rester en très bons termes avec la première puissance mondiale et protègent leurs alliances militaires de plusieurs décennies avec les Etats-Unis au lieu de miser sur une hypothétique Défense européenne qui tarde à se mettre sur pied.

Modération française

Quel scénario va se réaliser ? Difficile à dire. Certes, les réponses européennes depuis ce lundi sont bien plus critiques que d’habitude, mais pour Sylvie Mattely, il ne faut pas oublier les silences de la semaine précédente. « Tout va dépendre en grande partie des élections en Allemagne et du profil du nouveau chancelier. Angela Merkel n’a pas réagi à l’affaire, laissant le champ libre à son successeur », note la directrice adjointe. Sachant que le ministre allemand des Affaires étrangères Heiko Maas s’est exprimé ce mardi, indiquant que : « ce qui a été décidé – et la manière dont cela a été décidé – est irritant et décevant, pas seulement pour la France. »

Reste à voir justement quelle sera également l’attitude française : « Des Français trop vindicatifs, qui se servent trop de l’Europe pour défendre leurs propres intérêts, pourraient braquer les 27 », prévient Sylvie Mattely. A ce titre, voir Jean Yves Le Drian, ministre des Affaires Etrangères, insister sur la trahison américaine que sur la perte de contrat est une très bonne chose, selon l’experte. Dans les moments difficiles, il faut savoir compter sur ses amis, mais quand même savoir les rassurer.