REPORTAGEA Paris, la « maison des soignants » épaule les professionnels en détresse

Paris : Comment la « maison des soignants » épaule les professionnels de santé en détresse

REPORTAGEUn lieu dédié aux soignants vient d’ouvrir à Paris, qui vise à proposer un accompagnement global sous forme d’ateliers, de formations ou de consultations individuelles
A l'entrée de la Maison des soignants, Pauline, salariée de l'association accueille les soignants qui souhaitent participer à une formation ou un atelier.
A l'entrée de la Maison des soignants, Pauline, salariée de l'association accueille les soignants qui souhaitent participer à une formation ou un atelier.  - O. Gabriel / 20 Minutes / 20 Minutes
Oihana Gabriel

Oihana Gabriel

L'essentiel

  • Depuis 2015, l’association SPS propose un numéro vert pour que tous les soignants puissent joindre un psychologue 24h sur 24 en cas de détresse.
  • Avec la crise sanitaire, l’association a reçu beaucoup de demandes… mais également des moyens. Elle a donc pu ouvrir fin août, à Paris, une « maison des soignants ».
  • Un lieu où les professionnels du soin peuvent demander des consultations avec un psy, un avocat, des conseils en alimentation, sommeil, activité physique, mais également des formations sur les risques psychosociaux. 20 Minutes a poussé la porte de ce nouveau lieu.

«Avec le Covid-19, l’association a changé d’échelle », reconnaît Pauline Dubar, responsable du projet de santé publique chez Soins aux professionnels de santé (SPS). Une association qui propose, depuis 2015, un numéro vert 7 jours sur 7 et 24h sur 24 proposant un accompagnement gratuit et anonyme pour les soignants. « En 2020, on a reçu 6.000 appels sur le numéro vert, sur les 13.000 reçus depuis sa création, et on a envoyé 17 fois le Samu pour risques suicidaires, c’est pas rien ! », insiste Pauline Dubar, également porte-parole de l’association. Pour prolonger cet accompagnement, jusqu’ici à distance, l’association a souhaité ouvrir un espace dédié à ces professionnels du soin. Elle vient d’ouvrir, le 31 août, la première « maison des soignants » à Paris.

Un endroit unique, puisque l’objectif, une fois n’est pas coutume, est de prendre soin des professionnels de santé. La crise sanitaire a jeté une lumière crue sur la détresse de certains d’entre eux, alors que les études, les grèves, les manifestations et les suicides à l’hôpital disaient déjà la dure réalité de métiers qui ont du mal à recruter.

Ateliers en petit groupe et consultations individuelles

A quelques pas de l’Arc de triomphe, dans le 16e arrondissement, ce lieu cosy sur trois étages et 800 m² est partagé entre l’association SPS et l’ Union régionale des professionnels de santé des chirurgiens-dentistes d'Île-de-France. Passée l’entrée, on descend au premier sous-sol, qui compte une grande salle avec des machines à café, pour accueillir formations et ateliers. Mais également un amphithéâtre de 70 places pour de futures conférences.

Au premier sous-sol, une grande salle pourra accueillir les formations et ateliers.
Au premier sous-sol, une grande salle pourra accueillir les formations et ateliers.  - O. Gabriel / 20 Minutes

Au deuxième sous-sol, de petites salles serviront pour les consultations individuelles avec un psy ou un avocat, deux autres pour pratiquer la méditation et des activités sportives. « Ceux qui voudront retourner au travail direct pourront même se doucher ! », s’enthousiasme Pauline Dubar en faisant visiter les locaux. Elle espère que ce lieu atypique, qui propose une approche holistique, le tout gratuitement, n’est qu’un début. « L’idée, c’est d’avoir une « maison des soignants » par région. »

Plusieurs petites salles pourront recevoir les consultations individuelles avec un psychologue ou un avocat.
Plusieurs petites salles pourront recevoir les consultations individuelles avec un psychologue ou un avocat.  - O. Gabriel / 20 Minutes

« Qu’on puisse apaiser certaines souffrances »

A qui ces formations et ateliers s’adressent-ils ? « Aux libéraux, aux professionnels du médico-social, aux hospitaliers, aux cadres de santé, aux administratifs, aux sophrologues, aux ostéopathes, liste Pauline Dubar. L’objectif, c’est que tout le monde se rencontre, partage sa vision du monde de la santé, et qu’on puisse apaiser certaines souffrances. »

Sont proposés des formations d’un ou deux jours, des ateliers de deux heures en groupe de dix, ou encore des rendez-vous individuels avec un psychologue ou un avocat. Ici, on parle management, gestion du stress, risques suicidaires, sommeil, droits et devoirs des professionnels de santé, mais également contrat prévoyance.

« J’adorais mon métier, mais ça me grignotait sans m’en rendre compte »

Un appui « à la carte » que François* estime précieux. Cet infirmier de 35 ans, en arrêt maladie après un burn-out, connaît bien l’association et, depuis quelques jours, cette nouvelle « maison ». Mardi, il a participé à un atelier sur l’alimentation saine avec douze collègues. Si la crise sanitaire a mis en lumière la réalité des services bondés, le malaise des soignants date d’avant la pandémie. « J’en suis un bon exemple, assure François. Mon fusible a sauté avant. Et heureusement, je n’aurai pas pu tenir. J’entendais mes collègues dire que c’était l’enfer, la première vague du coronavirus. »

« J’adorais mon métier, mais ça me grignotait sans m’en rendre compte », confie-t-il. Pendant dix ans, il n’a pas compté ses heures, mais les morts dans son service de réanimation. « Pendant mes études, j’ai vu 17 décès. En réanimation, au bout de six mois, j’étais à 500, j’ai arrêté de compter, résume-t-il. Même si on se forge rapidement une armure, à la longue, ça finit par peser. »

« Je sais aujourd’hui que ma santé est importante »

Aux difficultés du quotidien s’est ajoutée la dégradation des conditions de travail. « En cinq ans, on était un quart de professionnels en moins. J’ai toujours eu du mal à dire non, surtout quand ma cadre jouait sur la corde sensible de la solidarité entre soignants et de la sécurité des patients… » Résultat, l’infirmier a cumulé 400 jours et 800 heures supplémentaires. « Il m’est arrivé de travailler sept week-ends de suite. Autant dire que pour rencontrer quelqu’un, voir ses amis ou sa famille, ça devenait compliqué… »

François est devenu taciturne et dépendant aux drogues. « En partie pour tenir les cadences. J’ai commencé par l’herbe, pour me détendre. J’ai vite basculé sur la coke, pour tenir la journée, et les opiacées, pour dormir. » Une lente descente aux enfers. Un matin, il a fait une overdose dans les toilettes de l’hôpital. « Mes collègues ont défoncé la porte », reprend-il. C’était fin 2019. « Si je n’avais pas été mis en arrêt maladie, j’aurais continué… et je serai mort », assure-t-il.

« J’ai retrouvé l’envie d’aider »

C’est dans cette lente reconstruction qu’il a pu compter sur l’association, grâce à laquelle il a fait un bilan sport/santé, découvert le yoga, participé à une formation sur la prévention du suicide… « Je sais aujourd’hui que ma santé est importante. » François espère que ce lieu aidera d’autres soignants en détresse à demander un coup de main. « On n’est pas des robots, ni des supermans, souffle-t-il. En dix ans, j’ai vu cinq collègues faire un burn-out, deux tentatives de suicide et un suicide. Et c’était clairement lié au boulot, aux cadences, à la pression. »

Le problème, c’est que les soignants ont parfois du mal à tirer le signal d’alarme. « C’est compliqué, on est habitué à prendre sur nous la souffrance des autres », admet l’infirmier. Voilà pourquoi des groupes de parole entre soignants lui semblent appropriés. « Entre nous, on se permet davantage de parler de nos expériences, il y a une compréhension intuitive. Moi j’entendais le bip des alarmes de réa des mois après avoir arrêté de bosser… » Aujourd’hui clean et solide, François espère retrouver sa blouse et ses patients. Peut-être pas en réa, mais il a « retrouvé l’envie d’aider quelqu’un. J’aimerais reprendre en mi-temps thérapeutique dans un service « calme ». Si ça existe encore… »

* Le prénom a été modifié.