COMPTE-RENDULe récit du huis clos « surréaliste » des otages « miraculés » du Bataclan

Attentats du 13-Novembre : Au procès, les otages « miraculés » font le récit de leur huis clos « surréaliste » avec les terroristes

COMPTE-RENDUSix otages des terroristes du Bataclan ont témoigné au procès des attentats du 13-Novembre ce mardi
Six rescapés pris en otage au Bataclan par deux des trois terroristes de l'attaque ont témoigné ce mardi 19 octobre.
Six rescapés pris en otage au Bataclan par deux des trois terroristes de l'attaque ont témoigné ce mardi 19 octobre. - KUHN CHRISTOPHER/SIPA / SIPA
Hélène Sergent

Hélène Sergent

L'essentiel

  • Le procès des attaques terroristes du 13 novembre 2015 s’est ouvert pour neuf mois, mercredi 8 septembre 2021, devant la cour d’assises spécialement composée de Paris.
  • Le mois d’octobre est entièrement dédié à l’audition des témoignages des parties civiles. Environ 350 personnes ont décidé de prendre la parole au procès, dont l’immense majorité sont des victimes ou des proches de victimes du Bataclan.
  • Ce mardi, six rescapés retenus de longues heures en otage par deux des trois terroristes présents dans la salle de concert ont témoigné devant la cour d’assises spéciale.

A la cour d’assises spécialement composée de Paris,

Il fallait bien mettre un mot sur ce lien indéfectible noué dans un étroit couloir du Bataclan, le soir du 13 novembre 2015. C’est Marie, l’une des otages, qui l’a finalement trouvé. Ce mardi, au procès des attentats, six « potages » - contraction de « potes » et d'« otages » – se sont avancés à la barre. Retenus pendant deux heures par Ismaël Mostefaï et Foued Mohamed Aggar, deux des trois terroristes de l’attentat, ils ont fait le récit de ce huis clos « surréaliste » au cours duquel la « violence inouïe » a parfois laissé place aux « miracles ».

« Caro ! Caro ! C’est un attentat »

Quand le concert démarre, tous sont éparpillés dans la salle. David, barman d’origine chilienne, est « fatigué » de sa semaine. Avec ses amis, il s’installe au balcon qui surplombe la fosse. Grégory, qui souffre du dos, s’y trouve aussi avec son amie Caroline. Sébastien, lui, déçu par un concert du groupe auquel il a assisté en 2014, veut redonner sa chance aux Eagles of Death Metal. Il choisit la fosse, et se place juste devant la scène. Comme un kaléidoscope de l’attaque, leurs récits respectifs des premiers tirs plongent la cour aux quatre coins de la salle.

« Je m’approche des garde-fous du balcon et mes trois sens s’activent », détaille David. L’ouïe d’abord, avec « les coups de feu explosifs ». Puis l’odeur « absolument ignoble » de la poudre. Et la vue : « Je vois des personnes allongées les unes sur les autres, des balles qui fusent ». Face à cette « vision », le jeune homme à la longue chevelure brune ramassée en chignon, parvient à sortir de sa sidération et crie aux spectateurs du balcon de se coucher. Parmi eux, Grégory et Caroline se recroquevillent sous leurs sièges.

Ingénieur en informatique, Grégory observe la fosse. À son amie, il lance : « Caro, Caro, c’est un attentat ! ». « Mon cerveau a mis du temps à encaisser l’information, pour moi c’était pas possible », témoigne à la barre la jeune femme blonde, assise dans son fauteuil roulant. Quelques mètres en dessous d’eux, Sébastien entend les balles qui passent au-dessus de sa tête et rampe jusqu’à l’arrière de la scène. Arrivé de l’autre côté de la salle, cet ancien journaliste croit atteindre une sortie de secours et monte les escaliers qui donnent en réalité sur un couloir à l’étage. « Il n’y avait plus d’issue. Soit je pouvais aller vers le balcon, soit descendre dans la salle où ça tirait encore », explique-t-il.

« Pourquoi tu prends tes affaires ? Tu vas mourir »

Séparé de ses amis, David se retrouve dans ce même couloir. Des fenêtres donnent sur le passage Amelot. Le barman décide de sortir en espérant atteindre le toit par l’extérieur. Sébastien l’imite mais tous deux réalisent qu’un système d’aération bloque l’accès au toit. Pendus aux fenêtres par les mains qu’ils se « lacèrent » sur un revêtement en métal, ils aperçoivent une femme enceinte, dans la même position qu’eux quelques mètres plus bas qui appelle à l’aide. Sébastien remonte et parvient à sauver cette spectatrice de la chute. David l’imite puis se retrouve nez à nez avec Ismaël Mostefaï, l’un des terroristes. « Il nous dit : Allez là-bas, allez là-bas », poursuit-il d’une voix calme, en pointant le balcon sur le plan diffusé sur l’écran de la salle d’audience.

Quelques minutes plus tôt, Caroline et Grégory ont, eux aussi, été sommés par le djihadiste de sortir de la travée de sièges sous laquelle ils s’étaient réfugiés. Grégory raconte : « Il me braque, je me lève, je prends mes affaires, il me dit : Pourquoi tu prends tes affaires ? Tu vas mourir ». La prise d’otage commence, et ce sentiment de mort imminente ne les quittera plus. La dizaine de spectateurs rassemblés à l’étage assiste à la même scène « surréaliste » décrite par David : « Le deuxième terroriste, Foued Mohamed Aggad, met son pied sur le garde-fou et s’amuse à tuer des gens en bas ».

« J’ai vite senti qu’ils n’avaient rien à négocier »

Mais l’intervention d’un policier de la BAC fait basculer l’attentat. Resté sur la scène, le troisième terroriste est touché, sa ceinture explosive se déclenche. Ses complices restés à l’étage décident de déplacer les otages dans l’étroit couloir où s’étaient rencontrés David et Sébastien quelques minutes plus tôt. Après une diatribe au cours de laquelle les terroristes revendiquent l’attentat, ils confient à chaque otage « une mission ». Grégory se « sent partir » quand Mohamed Aggad lui lance : « Eh toi, le grand, tu vois la sacoche ? Tu cours la chercher, sinon je te tue ». Le sac, qui contient plusieurs chargeurs de kalachnikov, est posé sur un siège au premier rang du balcon.

L’ingénieur s’exécute : « Les lumières sont allumées, il n’y a plus un bruit, je descends pour atteindre la première rangée et là, je me prends la fosse » et la vision des spectateurs assassinés. Dans le même temps, David est chargé d’observer par l’une des fenêtres du couloir l’évolution de la situation à l’extérieur et l’avancée des forces de l’ordre. Malgré les menaces permanentes, tous ont le sentiment que la prise d’otage n’a pas été anticipée par les deux terroristes. « Ils ont demandé à communiquer, ils ont récupéré nos téléphones. […] Mais j’ai vite senti qu’ils n’avaient rien à négocier, ils avaient envie d’appeler d’abord les médias, puis la police, mais ils n’avaient pas l’air d’avoir vraiment préparé cette partie-là », analyse Caroline.

La culpabilité d’avoir « collaboré »

Mis en relation avec un négociateur de la BRI, les terroristes réclament une lettre signée de François Hollande attestant du retrait des troupes françaises de la coalition déployée en Syrie et en Irak. Puis le départ des forces de l’ordre des abords de la salle. Dans le couloir où les otages sont regroupés par petits groupes, l’espoir d’un assaut rapide s’est envolé. Pourtant derrière la porte où est assis Grégory, la colonne de brigade d’intervention est déjà en place. « Lorsque sont tirés les premiers coups de feu, on est tous surpris et les terroristes en premier lieu, […] ils pensaient pas que ça irait si vite », glisse Grégory. Installé au fond du couloir, Sébastien se souvient de « la balle qui a traversé la porte passée à hauteur de tête des otages. C’est difficile de dire qu’il y a eu des miracles ce soir-là, mais il y en a eu. »

Un « déluge de feu » s’abat alors dans cet espace exigu. David a compté, selon lui, Ismaël Mostefaï a tiré à « 27 reprises » contre la colonne de la BRI protégée derrière un bouclier de 80 kilos. Mais les forces de l’ordre progressent et évacuent les otages. L’un d’entre eux, Arnaud, se retrouve coincé par Foued Mohamed Aggad, qui déclenche sa ceinture explosive. Roulé en boule dans les escaliers, Arnaud se dit « miraculé » : « J’ai eu de la chance, j’ai été éraflé au dos et un de mes tympans a été percé par une grenade de la BRI mais je n’ai aucune perforation ».


Notre dossier sur le procès

Passée l’attaque, David dit le poids de la culpabilité qui l’habite encore : « Je me suis demandé : Est-ce que j’ai pas collaboré finalement ? ». Son « potage » Sébastien s’est posé la même question. « Dans ces moments-là, je me suis dit qu’il valait mieux rester actif ». Six ans après, face à la cour, les six otages ont tenu à rendre hommage à l’opération périlleuse menée par les policiers. « Ce sont eux les vrais héros », juge Sébastien. Grégory, lui, a rendu hommage à ses amis : « On s’est tous mutuellement sauvé la vie ce soir-là ».