REPORTAGEL'improbable calanque amie des usines et des cinéastes

Bouches-du-Rhône : L'improbable calanque amie des usines et des cinéastes

REPORTAGEPerdue derrière les usines pétrochimiques, la calanque de Lavera et ses cabanons forment un lieu pittoresque, atypique et méconnu, apprécié, entre autres, des cinéastes
Les cabanons de bord de mer bordent l'usine
Les cabanons de bord de mer bordent l'usine - Alexandre Vella / 20 Minutes / 20 Minutes
Alexandre Vella

Alexandre Vella

L'essentiel

  • Située derrière les usines de Fos et Martigues, la calanque de Lavera surprend par ce paradoxe.
  • Ce lieu, qui abrite une poignée d'habitant et un restaurant est surtout apprécié des cinéastes, de Guédiguian en pionnier, à Plus belle la vie.
  • A l'avenir juridique longtemps incertain, certains cabanons sont aujourd'hui pérénisé, transformant le village.

À l'heure des calanques surpeuplée et alors qu'est envisagé un quota pour la calanque de Sormiou, il est des endroits du littoral marseillais qui ne voit jamais de touristes, ou presque. « Personne ne vient ici par hasard », sait Dora, qui tient le seul restaurant du lieu-dit du Ponteau, sur la commune de Martigues, dans les Bouches-du-Rhône. Et pour cause, pour accéder à cette petite calanque, il faut parcourir cinq kilomètres d’une route bordée de pipelines et de cheminées des raffineries de l’imposant complexe pétrochimique situé à une dizaine de kilomètres à l’ouest de Marseille. Un paysage peu engageant qui débouche pourtant sur un petit coin de paradis.

La calanque de Lavera, ses 41 cabanons, son bar-restaurant, sa poignée d’habitants à l’année et ses quelques locations saisonnières. « Les trois quarts des clients qui ne connaissent pas nous appellent en chemin et nous disent : "Je crois que nous sommes perdus" », s’amuse Alexandre, le fils de Dora, qui gère quelques biens en location.

De Guédiguian à Plus belle la vie

Pour autant le lieu reste assez confidentiel et se communique essentiellement de bouche-à-oreille. Celui-ci semble particulièrement bien fonctionner dans le milieu du cinéma. De Robert Guédiguian en pionnier pour A la vie à la mort (1995) et Au fil d’Ariane (2014) à Il se passe quelque chose (2018) d’Anne Alix en passant par des scènes de Plus belle la vie, des documentaires, ou des publicités, le bar-restaurant et les cabanons de cette insoupçonnée calanque attirent pour son paradoxe. Il y a ici un contraste saisissant entre ces habitations, anciens abris de pêcheurs venues d’un autre âge, la modernité des usines, l’immuabilité de la roche, de la mer et l’immobilité des pétroliers qui patientent au large. Un décor qui, selon les cadres, expose ce paradoxe ou met en scène un paysage pittoresque et idyllique.

Les usines qui « protègent du monde »

Patrick, un Martégal de 60 ans, vient ici depuis tout petit. Ce jour-là, il sort de l’eau après une partie de chasse sous-marine. « C’est le paradis ici », sourit-il. « Enfin, il faut regarder la mer », poursuit-il, pas inquiet sur la qualité de l’eau du fait de la proximité de l’industrie. « L’eau est propre et très surveillée ». L’an passé, une fuite de chlorure de fer en provenance des usines l’a tout de même dissuadé d’y venir pendant de longs mois.

Vue sur le site de Lavera
Vue sur le site de Lavera - Alexandre Vella / 20 Minutes

Pour le reste, les usines sont plutôt appréciées ici. « Ça protège du monde », avance notre chasseur sous-marin qui y fait « du beau poisson ». Angelo, chanteur lyrique et l’un des fils de Dora, est du même avis. « Pour nous, les usines sont ce qui fait barrière. Autrement, il n’y aurait que des Allemands et des touristes, parce que c’est du sable ici ».

Du sable en bord de mer autour de Marseille, une denrée rare. Ces cabanons ont bien failli tout simplement disparaître. Près de 40 ont déjà été rasés, dépourvu de cadastrage et empiétant sur le domaine public maritime. « Les cabanons de pêcheurs ici, ça monte les murs au fur et mesure, et à la fin t’as une maison », a observé Patrick. Ceux qui ont survécu l’ont fait à la faveur du vieux concept juridique de « prescription acquisitive ». Soit le fait d’acquérir la possession d’un bien sans titre si l’on peut justifier une occupation de plus trente ans.

« Les "merdes" se vendaient entre nous pour une poignée de figues »

Depuis que ce long conflit juridique a été réglé, que l’eau courante a été amenée par la municipalité au milieu des années 1990, et qu’à présent s’installe la fibre, le hameau change. « Aujourd’hui, les "merdes" qui se vendaient entre nous pour une poignée de figues, sont cédées à prix d’or. Surtout depuis une dizaine d’années », regrette Dora. « Des anciens, il n’en reste pas beaucoup », ajoute Mathieu, 74 ans, dans une conversation où seuls ses yeux bleus, son front dégarni et sa tête de lion tatouée sur l’épaule dépassent de la clôture.

Lui est nostalgique d’une époque, celle d’avant la démolition de la moitié des cabanons et de la vente de nombreux autres par des héritiers. « On ne se connaît plus maintenant ».

« Ici, les gens n’étaient pêcheurs qu’au moment de se présenter devant l’éternel »

Dans les années 1970 et 1980, l’ambiance était tout autre. « Il y a des calanques comme celle de Carry qui étaient plutôt pour les bourgeois. Mais ici, il n’y avait pas de gare, il fallait venir en marchant, rembobine Dora. Quand je suis arrivée ici, lorsque ma famille a racheté, le bar-restaurant était un hôtel de passe, en témoignent toutes les minuscules chambres de l’étage. Au village, vivait une vieille prostituée, un vieux mac. Comment vous dire, cette calanque, c’était un peu le coin où les petits voyous marseillais venaient se planquer. Ici, les gens n’étaient pêcheurs qu’au moment de se présenter devant l’éternel », glisse-t-elle.

Signe que les temps changent, ses enfants, Angelo et Alexandre, n’entendent pas poursuivre le restaurant. Le premier veut se consacrer à sa carrière de chanteur, le second se débrouille bien dans les affaires et compte faire fructifier le lieu, qui, une fois passé les usines, offre un cadre sans pareil sur la côte provençale.