ELECTIONPourquoi une telle obsession des politiques pour la chasse en vue de 2022 ?

Présidentielle 2022 : Pourquoi une telle obsession des politiques pour la chasse ?

ELECTIONLes candidats pour la présidentielle de 2022 donnent un à un leur avis sur la chasse, devenu un indispensable de l’échiquier politique
Les politiques se tirent la bourre sur la chasse avec en ligne de mire 2022
Les politiques se tirent la bourre sur la chasse avec en ligne de mire 2022 - Pascal POCHARD-CASABIANCA / AFP / AFP
Jean-Loup Delmas

Jean-Loup Delmas

L'essentiel

  • Vendredi, Yannick Jadot a annoncé vouloir interdire la chasse les week-ends et les vacances scolaires s’il est élu président en 2022.
  • Une pièce de plus dans l’une des obsessions de cette présidentielle : la chasse.
  • Pourquoi tant d’attention et de débat autour de cette pratique ?

Yannick Jadot, candidat Europe Ecologie-Les Verts ( EELV) à la présidentielle, a annoncé vendredi sa volonté d’interdire la chasse lors des week-ends et des vacances scolaires. « Quand j’entends que les trois quarts des personnes qui vivent dans la ruralité n’osent pas aller se promener le dimanche quand il y a des tirs de fusils, ce n’est pas normal », a-t-il justifié sur BFMTV, ajoutant qu’il souhaitait interdire totalement la chasse à courre.

Une déclaration sur laquelle le camp d’Anne Hidalgo (Parti socialiste), par la voix de la présidente de région Occitanie Carole Delga, s’est empressé de contester pour mieux démarquer les deux candidatures : « Quand j’entends qu’il souhaite interdire la chasse pendant les week-ends et les vacances, nous ne sommes pas d’accord », a déclaré l’élue, défendant « l'écologie du faire, celle qui sait concilier économie et écologie, celle qui est dans l’accompagnement, et pas dans le diktat ou l’interdiction ».

Un marqueur politique

La chasse est devenue l’un des marqueurs politiques pour la présidentielle de 2022, au même titre que l’immigration ou la dépense publique, renseigne Alexandre Eyries, enseignant-chercheur en Sciences de l’Information et de la Communication, « car la chasse a tout un imaginaire et un historique en France derrière elle. C’est clivant, passionnel, cela donne de la personnalité au candidat ».

Lors des Régionales 2021, le président sortant des Hauts-de-France Xavier Bertrand, réélu et désormais prétendant à l’Elysée, avait notamment annoncé qu’il saisirait le ministère de la Culture pour inscrire la chasse au gibier d’eau et les chasses traditionnelles au patrimoine mondial de l’Unesco.

Un lobby à ne pas manquer

Une attitude pro-chasse de la part de la plupart des candidats qui n’a rien de surprenant pour le politologue Olivier Rouquan : « En général, les politiques cherchent à s’attirer les faveurs des chasseurs. » Il faut dire que plus d’un million de Français sont détenteurs du permis de chasse, ce qui en fait un camp qui compte pour la présidentielle. Les chasseurs ne s’en cachent pas et affichent leurs ambitions de peser sur la campagne électorale. Trois semaines avant la présidentielle, le 21 mars 2022, la Fédération nationale des Chasseurs (FNC) a prévu de faire passer un grand oral à tous les candidats, une opération déjà menée en 2017.

« Les chasseurs sont un réseau très bien organisé, disposant de beaucoup de relais médiatiques et politiques et présent sur l’ensemble du territoir », confirme le politologue Stéphane Rozes. Au-delà du nombre, le chasseur est une proie parfaite pour le politique car son vote est indécis, même au second tour, précise Olivier Rouquan. De quoi donner d’autant plus envie de lui dérouler le tapis rouge.

Le spectre des « gilets jaunes » et de la biodiversité

La chasse pèse d’autant plus dans les élections depuis le traumatisme des « gilets jaunes », et le réveil brutal du monde rural dans le jeu politique. La récente crainte d’une crise sociale autour des prix records du carburant montre bien l’obsession nouvelle du politique pour la ruralité. « Or, la chasse est associée à ce mode de vie, et parler favorablement de la chasse, c’est montrer qu’on a une attention pour les ruraux, dans une politique jugée de plus en plus urbaine », note Stéphane Rozes.

Reste que l’obsession pour la chasse pour 2022 pourrait se confronter à un autre énorme enjeu de la présidentielle, l’écologie. « Toute la difficulté pour les politiques va être de lier la lutte pour la biodiversité et la main tendue envers les chasseurs. Ce n’est pas nécessairement une dissonance cognitive – c’est même l’un des arguments des chasseurs –, mais cela demande de la subtilité », appuie Alexandre Eyries.

La Macronie par exemple poursuit sa stratégie du « en même temps », tentant de flatter à la fois les défenseurs des animaux et les chasseurs, donnant parfois lieu à de drôles de contorsions. Le 4 octobre, alors en plein refuge SPA, Emmanuel Macron défendait les chasseurs comme étant des « acteurs de la ruralité ». L’une des premières mesures de son quinquennat fut de diviser par deux le prix du permis de chasse, alors qu’en fin de mandat, le président a doublé l’enveloppe du plan de relance consacrée à la rénovation des refuges d’animaux - de 15 à 30 millions d’euros.

Etre anti-chasse, une attitude payante ?

Si on comprend mieux pourquoi Yannick Jadot a ramené à son tour la chasse sur le tapis, son attitude ouvertement hostile contre ce lobby ne risque-t-elle pas de lui porter préjudice ? « Il n’y a pas de vote anti-chasse, mais en prenant ouvertement parti contre, Yannick Jadot flatte les écolos urbains, qui sont la base de son électorat », analyse Stéphane Rozes.

Et dans un monde politique pro-chasse pour les raisons citées plus haut, moins tendre la main peut permettre de se démarquer et de s’affirmer. « Trop de contorsions entre écologie et chasse peuvent troubler l’électeur. Là, Yannick Jadot prend une voie différente de la plupart des candidats, il ressort des débats et s’impose médiatiquement », confirme Olivier Rouquan. Chasser en solitaire plutôt que se confondre dans la meute.