INTERVIEW« La crise des sous-marins était finie bien avant les excuses de Biden »

Crise des sous-marins : « Ce que Joe Biden a offert à la France avec ses excuses, c’est une sortie avec les honneurs »

INTERVIEWPour le chercheur en civilisation américaine Alexis Pichard, les excuses de Joe Biden sur l’attitude des Américains pendant la crise des sous-marins est plus un cadeau fait à la France qu’une réelle concession
Joe Biden et Emmanuel Macron entament-ils une réconciliation ?
Joe Biden et Emmanuel Macron entament-ils une réconciliation ?  - Erin SCHAFF / POOL / AFP / AFP
Jean-Loup Delmas

Propos recueillis par Jean-Loup Delmas

L'essentiel

  • Ce samedi, lors du G20, Joe Biden est revenu sur l’attitude des Américains pendant la crise des sous-marins.
  • Les relations entre la France et les Etats-Unis s’étaient tendues après ce que le ministre des Affaires Etrangères français avait qualifié de « trahison ».
  • Pour Alexis Pichard, expert en civilisation américaine, ces excuses de façade arrangent bien les deux pays.

On avait laissé des relations entre les Etats-Unis et la France à une période glaciaire à la suite de la crise des sous-marins, lorsque l’Australie avait résilié « le contrat du siècle » initialement prévu avec des navires français pour passer commande auprès des Américains. Une trahison de la part de Canberra mais surtout de Washington qui avait laissé un goût d’amertume auprès de Paris, la France rappelant même ses ambassadeurs situés aux Etats-Unis, une grande première dans l’histoire diplomatique entre les deux nations.

Le G20 ce samedi a été l’occasion de réchauffer un peu la diplomatie américano-française. Joe Biden a notamment reconnu que les Etats-Unis s’étaient montrés « maladroits » à l’égard de la France, et présentant pour la première fois des regrets. De quoi relancer l’amitié entre Paris et Washington ? Pour Alexis Pichard, chercheur en civilisation américaine, la détente était en réalité déjà bien entamée.

Est-ce la fin de la crise diplomatique entre les Etats-Unis et la France ?

Il ne faut pas se leurrer, la crise était finie depuis longtemps. C’est certes l’une des premières fois que le ton était monté autant du côté de la France, le ministre des Affaires Etrangères Jean Yves Le Drian avait même parlé de trahison, mais Paris ne pouvait pas continuer dans cette hostilité car le rapport de force était trop inégal vis-à-vis des Etats-Unis. On pouvait faire la grimace, mais in fine, on ne pouvait pas aller bien plus loin ni se séparer de la première puissance mondiale très longtemps. On était tacitement déjà réconcilié par la force des choses. Ce que Joe Biden a offert à la France ce samedi, c’est un pas officiel vers elle et une sortie avec les honneurs. La crise, elle, n’a pas duré plus de quelques jours, et n’a certainement pas attendu des excuses de Joe Biden pour se résorber.

Puisque la crise est réglée, quel intérêt avait Joe Biden à faire cette déclaration ?

Premièrement, cela ne lui coûte rien, c’est donc des excuses à très peu de frais. Les Américains lambda se moquent un peu de cette tension avec la France, et ne sont probablement même pas au courant que Paris était vexé. Aux Etats-Unis, on ne va donc pas lui reprocher une potentielle faiblesse en présentant des excuses.

Ensuite, cela lui donne enfin une image anti-Trump à l’international. Au début de son mandat, il a été accusé de perpétuer cette tendance du America first, et de faire primer les intérêts économiques et militaires américains envers et contre tout, même les alliés les plus historiques. En s’excusant, il remet un peu en question ce monopole américain et revendique un multilatérisme des relations et de la gouvernance plus proche de la politique extérieure qu’il avait promis.

L’une des promesses de campagne de Joe Biden était de retrouver une Amérique qui essaie de renouer ses relations avec ses partenaires et ses alliés et de réécrire une histoire commune. Or, la France est l’alliée la plus historique des Etats-Unis puisqu’elle a même participé activement à leur création (en les aidant militairement pendant la guerre d’indépendance), il y a donc une histoire particulièrement romantique et sentimentale entre ces deux nations.

Moins dans l’émotion, il y a également un enjeu vis-à-vis de la Chine. Les Etats-Unis ont besoin de l’Europe afin de faire face et front commun contre le géant asiatique, et ne peuvent pas se permettre d’être en tension avec les Européens. La Chine tente d’étendre son emprise notamment par les nouvelles routes de la soie, qui passe en partie par l’Europe, de quoi convaincre les Américains de ne pas trop brusquer leurs alliés outre-atlantique.

Est-ce un scénario inespéré pour la France ?

C’est en tout cas une mise en scène bienvenue pour la France. Cette crise des sous-marins avait montré que le pays est devenu une puissance moyenne, déclassé à l’échelle du monde et des affaires géopolitiques. Ce samedi, Joe Biden a réaffirmé l’importance de la France dans les affaires du monde en s’excusant auprès d’elle, cela rehausse l’image de Paris à l’international, à quelque mois de prendre la tête de la présidence européenne de surcroît.

Ce qui est très intéressant, au-delà de ses excuses, c’est que pour la première fois un président américain a ouvert la porte à une défense commune des Européens, là où les Etats-Unis n’ont aucun intérêt à ce que les 27 fassent ça et deviennent plus autonomes militairement. Joe Biden a lui reconnu que cela pourrait être complémentaire avec l’Otan, et il s’agit d’un projet massivement soutenu par Emmanuel Macron et les Français.

Tout finit bien pour tout le monde dans cette histoire ?

Pas vraiment, car Joe Biden a beaucoup rejeté la faute sur Boris Johnson, Premier ministre britannique, ce qui ceci dit arrange bien Emmanuel Macron au vu des relations franco-britannique actuelles. Boris Johnson est devenu l’ennemi commun et le responsable de la crise des sous-marins, et tout au long de son début de mandat, Joe Biden n’a pas matérialisé l’envie de renouer des relations spéciales avec l’Angleterre, qui se retrouve de plus en plus isolée à l’international. Le Royaume-Uni est devenu le grand perdant de la crise des sous-marins.

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