CONTESTATIONTrois ans après le début du mouvement, que reste-t-il des «gilets jaunes» ?

« Gilets jaunes » : Trois ans plus tard, que reste-t-il du mouvement ?

CONTESTATIONLe 17 novembre 2018, plus de 287.000 personnes, selon le ministère de l’Intérieur, répondaient à la première manifestation des « gilets jaunes »
17 novembre 2018, le mouvement des « gilets jaunes » débute en France
17 novembre 2018, le mouvement des « gilets jaunes » débute en France - Thierry Zoccolan / AFP / AFP
Jean-Loup Delmas

Jean-Loup Delmas

L'essentiel

  • Les « gilets jaunes » fêtent ce mardi le troisième anniversaire de leur mouvement.
  • Un mouvement qui trois ans après son commencement semble au point mort, éclipsé par la crise sanitaire liée à l'épidémie de coronavirus, la course à l'Elysée et la contestation contre le pass sanitaire.
  • Mais à l’approche de la présidentielle, les « gilets jaunes » peuvent-ils renaître ?

Le samedi 17 novembre 2018, il y a trois ans jour pour jour, des milliers de Français endossaient un gilet jaune et défilaient dans la rue de plusieurs grosses villes de France pour protester contre la hausse du prix du carburant. Très vite, les manifestations essaiment à l’échelle nationale et le mouvement de contestation dénonce plus globalement une vie jugée trop chère. La France découvre alors les « gilets jaunes » qui, de ronds points en place du village en passant par les péages, vont venir gonfler les rangs de l’un des plus grands mouvements contestataires de la décennie 2010.

Trois ans plus tard, les ronds-points sont désertés. La crise sanitaire semble avoir pris le pas sur la crise sociale et les « gilets jaunes » semblent beaucoup moins rayonner dans l’espace publique et politique. Vraiment ? 20 Minutes dresse l’état des lieux.

Le mouvement « gilets jaunes », c’est quoi ?

Le mouvement des « gilets jaunes » est né à la suite d’une hausse des prix de l’essence liée au lancement de la taxe écologique, qui coïncide avec une flambée du prix du carburant à l’échelle mondiale. En octobre 2018, des citoyens appellent à manifester dans des vidéos et des lives, postés notamment sur Facebook. Ils prennent comme symbolique le fameux gilet jaune, associé non seulement à la route mais aussi aux dépenses jugées inutiles mais rendues obligatoires par l’Etat [sans gilet jaune dans sa voiture, l’automobiliste peut être mis à l’amende].

« C’était le mouvement des inaudibles. Un mouvement de contestation avant tout économique et social des classes populaires moyennes inférieures, bien avant d’être un mouvement portant sur la crise de la représentation, se rappelle Benjamin Morel, docteur en sciences politiques. C’était l’émergence de la société civile non organisée, avec toute une partie de la population qui ne passait pas par les corps intermédiaires classiques comme les syndicats. »

Et la contestation passe des réseaux sociaux à la rue le samedi 17 novembre 2018. Avec elle, les premières occupations de ronds-points et des manifestations dans les centres-villes qui réunissent dès le premier « acte » 287.710 personnes, selon le ministère de l’Intérieur. C’est un record pour le mouvement, alors que des affrontements entre manifestants et forces de l’ordre feront plus de 400 blessés.

Rendez-vous est pris tous les samedis pour des manifestations, tandis que certaines occupations de ronds-points se font sept jours sur sept. Après trois autres samedis de manifestations à plus de 100.000 participants [166.000 lors de l’acte 2, et 136.000 pendant l’acte 3 et 4, toujours selon les chiffres de l’Intérieur], les cortèges dégonflent petit à petit, hormis une résurgence en janvier [jusqu’à 84.000 participants, selon le ministère de l’Intérieur]. A partir de mi-février, le nombre de manifestants ne dépassera jamais les 50.000, et le mouvement s’essouffle. Une tentative de retour avorte en septembre 2019, ne réunissant que 7.000 « gilets jaunes ». Le mouvement est déstructuré et « ne peut être défini politiquement ». Extrême gauche, extrême droite, mais aussi plus traditionnellement gauche, centre et droite s’y recoupent. « C’est ce qui lui a aussi donné sa fragilité politique », abonde Benjamin Morel.

Trois ans après où en sont les « gilets jaunes » ?

« Actuellement, il n’y a plus qu’une faible minorité de ce qu’a été le mouvement qui reste mobilisée », note le docteur en sciences politiques. Les groupes Facebook, qui ont conservé une bonne partie de leurs membres, sont aujourd'hui pour la plupart inactifs ou très peu partagés. Le mouvement n’a pas totalement disparu, mais il n’a pas su s’organiser, et a manqué de réelle portée politique dans les urnes, estime Benjamin Morel : « On l’a bien vu lors du vote des sympathisants "gilets jaunes" aux Européennes : ceux qui étaient proches du Rassemblement national ont voté Rassemblement national, ceux qui étaient proches des Insoumis ont voté Insoumis, etc. Le vote "gilet jaune" n’a pas existé. »

Le mouvement a essayé de réémerger notamment à la faveur des manifestations contre le pass sanitaire durant l’été 2021, mais les deux contestations se sont retrouvées trop opposées pour réellement se porter l’une et l’autre selon Benjamin Morel : « On n’imagine pas les manifestants anti-pass du XVIe arrondissement devenir des "gilets jaunes", tandis que le mouvement anti-pass ne prenait pas en compte les questions économiques indispensables aux "gilets jaunes" ».

Le mouvement peut-il rebondir, voire profiter de la campagne présidentielle pour se relancer ?

Les problèmes structurels qui ont amené à la formation des « gilets jaunes » (essence trop chère, sensation de payer trop de taxes, difficulté à finir le mois, etc.) ne sont pas réglés, on ne peut donc pas enterrer l’idée d’un nouveau mouvement social, « mais il naîtra probablement sous d’autres formes s’il doit réémerger. Peut-être toujours avec un gilet jaune, en hommage au mouvement initiateur, mais ce sera quoi qu’il en soit un mouvement différent », estime Benjamin Morel. Quant à la présidentielle 2022, elle devrait anesthésier toute contestation sociale pour les mois à venir. « C’est très rare de voir ce genre de mouvement contestataire émerger durant une année électorale, car il y a déjà un débouché, une solution par les urnes. Cela ne sert à rien de défiler dans la rue quand dans quelques mois on peut aller voter. Si la politique d'Emmanuel Macron dérange quelqu’un comme elle a pu déranger les "gilets jaunes", il peut voter contre lui, manifester n'apparaît pas comme le moyen le plus utile », assure Benjamin Morel. En revanche, le docteur en sciences politiques estime que c'est plutôt quelques mois après la fin de la course à l'Elysée qu’un mouvement contestataire pourrait surgir. Pour les quatre ans des « gilets jaunes » ?

Vous étiez un « gilet jaune » fortement mobilisé il y a trois ans, l’êtes-vous encore aujourd’hui ? Comment vous étiez-vous mobilisé et pourquoi l’êtes-vous encore ? Ou pourquoi avez-vous arrêté de l’être ? Avez-vous trouvé d’autres moyens de porter vos revendications ? Pensez-vous que la présidentielle peut relancer le mouvement ? Pourquoi et sous quelle forme ?