JUSTICEA Pointe-à-Pitre, vols de piment, rhum et baskets en comparution immédiate

Guadeloupe : « On veut faire de ces dossiers des exemples »... Au tribunal de Pointe-à-Pitre, les comparutions immédiates au lendemain des violences

JUSTICE« 20 Minutes » a assisté lundi aux comparutions immédiates au tribunal correctionnel de Pointe-à-Pitre qui jugeait 19 prévenus, mis en cause dans les exactions du week-end passé
Le palais de justice de Pointe-à-Pître (Guadeloupe), le 22 novembre 2021.
Le palais de justice de Pointe-à-Pître (Guadeloupe), le 22 novembre 2021. - Evelyne Marbillac / 20 MInutes / 20 Minutes
Evelyne Marbillac

Evelyne Marbillac

Au tribunal correctionnel de Pointe-à-Pitre (Guadeloupe),

Sur la route qui mène au tribunal de Pointe-à-Pitre ce lundi matin, les carcasses de véhicules brûlés, les vitres des magasins brisées témoignent encore d’une énième nuit très agitée, en Guadeloupe. Pour accéder au palais de justice, fermé à double tour, il faut montrer patte blanche, C’est ici que deux audiences de comparutions immédiates ont la lourde mission de juger 19 prévenus, mis en cause dans les exactions du week-end passé.

Recel de vol de baskets, bouteilles de rhum et piments… Les dossiers du jour se suivent et se ressemblent. La plupart concernent des vols d’opportunité, comme ceux de Nadine et Larry, tous deux arrêtés au même endroit : devant le supermarché Super U, de Pointe-à-Pitre, à quelques kilomètres de l’enceinte judiciaire.

Résidents du quartier, ils pillent, juste après le braquage

Dans le box, Nadine est mise en cause pour « tentative de vol ». C’est une jeune Saint-Martinoise de 22 ans, animatrice périscolaire pour les jeunes enfants qui gagne 460 euros par mois. Elle est inconnue des services de justice. Celle qui vit en colocation dans un des quartiers les plus chauds de l’agglomération, ne souhaite pas s’exprimer, mais reste fidèle à ses auditions. Dans la nuit de samedi à dimanche dernier, alors qu’une centaine d’individus braque à coups de meuleuse le supermarché, elle assiste à tout, depuis sa chambre. Instinctivement, elle descend, alors qu’elle n’est qu’en pyjama. « J’ai vu que c’était ouvert, j’ai d’abord pensé à prendre une bouteille de lessive liquide, mais j’ai finalement abandonné l’idée. » La jeune femme est arrêtée par les forces de l’ordre devant l’entrée de l’établissement.

Larry, lui aussi, est un habitant du quartier. Il vit chez sa mère et suit une formation dans le domaine du commerce. Lui aussi traînait là vers 2h30 du matin, comme plusieurs badauds. Attiré par les billets, laissés sur le sol, par les braqueurs, il pénètre les lieux et s’empare de 130 euros, en argent liquide. Seulement, par peur, il prend la fuite à l’arrivée de la brigade mobile de gendarmerie, et blesse un officier à la lèvre. La blessure est légère et ne nécessite pas d’ITT.

« L’impression qu’on veut faire des exemples de ces dossiers »

Tous deux défendus par Me Olivier Chipan, les prévenus ont gardé le silence, laissant le loisir à leur conseil, d’assurer leurs intérêts. D’après l’avocat, ces jeunes sont en situation précaire : « j’ai le sentiment que dans ces dossiers on veut faire des exemples, pour dire que les forces de l’ordre font bien le travail. Mais les personnes qui ont été placées en détention ne sont pas à l’origine des troubles, ils ont juste suivi bêtement. Ils essayent de s’en sortir, on voudrait qu’ils soient des boucs émissaires et en faire des exemples. »

En face, le ministère public représenté par Michaël Ohayon s’est dit « sidéré par ce qui se passe dans le département ». Et de conclure : « Il ne faut pas se tromper de débat. On est dans une enceinte judiciaire, on est là pour faire du droit et juger des faits. Toute une chaîne pénale est mobilisée dans ce tribunal avec le parquet, la police, la gendarmerie pour apporter une réponse à ces actes. La réponse se fera en fonction des faits soumis au parquet. Nous assumons complètement ! Il est hors de question de laisser passer ce type d’agissements sans qu’il y ait une réaction forte, selon toute la palette de poursuites offertes par le Code pénal et la procédure pénale. Combien de familles vont dans ce Super U pour s’alimenter ? Ces actes de pillages vont nous mobiliser fortement. On ne peut pas aller piller impunément. Ces prévenus participent à cette délinquance d’appropriation opportuniste. »

Les trois juges de l’audience collégiale ont finalement tranché en relaxant Nadine et en condamnant Larry à 6 mois ferme avec mandat de dépôt.

Patrick Desjardins, Procureur de Pointe-à-Pitre : « Plus de 70 personnes ont été interpellées »

« Dans ce contexte insurrectionnel, le choix du principe de la tolérance zéro face aux actes de pillages et violences urbaines s’imposait. Les personnes placées en garde à vue au cours du week-end pour ces faits de vols en réunion ou de violences sur les forces de l’ordre ont toutes fait l’objet d’un défèrement au parquet puis ont été placées en détention provisoire à une exception près, dans la perspective d’être jugées ce lundi.

Leurs profils sont divers : certaines étaient sur les lieux de pillage par opportunisme ; d’autres sont des récidivistes et visaient délibérément certains commerces. Quoi qu’il en soit, rien n’est anodin dans la présence de ces personnes sur les lieux de pillage au milieu de la nuit, malgré le couvre-feu.

Toutes ont été jugées ce jour par le tribunal correctionnel et des peines adaptées et personnalisées ont été prononcées. J’ajoute que toutes les attaques de commerces, tous les faits de violences avec arme contre les agents de la force publique ont donné lieu à des enquêtes judiciaires confiées aux services d’enquête du département. Ces enquêtes permettront dans les prochaines semaines, j’en suis convaincu, d’identifier et d’interpeller un grand nombre des auteurs des faits les plus graves…

Depuis le début des évènements, 70 personnes ont été interpellées. D’autres le seront si les exactions se poursuivent dans les prochaines nuits et le parquet de Pointe-à-Pitre continuera d’appliquer cette politique pénale. »