RETOURLe deuxième album, exercice facile ou malédiction pour les artistes ?

Angèle, Juliette Armanet, Clara Luciani, Dua Lipa… Y-a-t-il une malédiction du deuxième album ?

RETOURD’Angèle à Juliette Armanet en passant par Dua Lipa et Billie Eilish, de nombreux artistes ont récemment proposé leur deuxième album. Un projet souvent générateur de stress et d’interrogations
Juliette Armanet, Angèle et Clara Luciani
Juliette Armanet, Angèle et Clara Luciani - Studioletiquette/Manuel Obadia-Wills/Alice Moitié / Studioletiquette/Manuel Obadia-Wills/Alice Moitié
Clément Boutin

Clément Boutin

L'essentiel

  • Angèle devait initialement sortir Nonante-Cinq, son deuxième album, ce vendredi 10 décembre, avant d’avancer d’une semaine sa sortie sur les plateformes de streaming.
  • Le deuxième album, tout comme un deuxième film ou un deuxième livre, est un cap parfois difficile à passer pour les artistes.
  • Le streaming permet cependant aujourd’hui aux chanteurs de rebondir plus facilement en cas d’échec d’un deuxième projet.

Angèle devait sortir ce vendredi Nonante-Cinq, son deuxième disque, trois ans après le succès fulgurant de Brol. Mais, confinée chez elle pour cause de Covid-19, le jour de son anniversaire, la jeune Belge a décidé de l’auto-leaker en même temps qu’elle soufflait ses 26 bougies, le 3 décembre.

Une façon pour elle d’évacuer la pression qui entoure, pour de nombreux artistes, la conception et la présentation au public de ce deuxième effort ? Interrogée par 20 Minutes quelques semaines auparavant, l’interprète de Bruxelles je t’aime expliquait qu’on lui avait effectivement « toujours dit que le deuxième album était difficile, surtout avec un premier qui avait du succès ».

L’accès à ce contenu a été bloqué afin de respecter votre choix de consentement

En cliquant sur« J’accepte », vous acceptez le dépôt de cookies par des services externes et aurez ainsi accès aux contenus de nos partenaires.

Plus d’informations sur la pagePolitique de gestion des cookies

« Je crois que je suis un peu restée dans le déni pendant toute une période où je composais, sans trop me poser de questions, en me disant : ''Bah, je fais de la musique !” Sans trop savoir où ça me mènerait. Quand j’ai décidé qu’il y aurait un deuxième album, c’est là que tout s’est concrétisé », précisait la chanteuse, soulignant qu’elle souhaitait initialement « ne rien sortir pendant cinq ans » afin de mettre cette échéance de la suite « très très loin » et de « refaire de la musique pour le plaisir ».

Comme Angèle, de nombreux chanteurs se sont récemment retrouvés à devoir défendre leur deuxième opus, en pleine crise sanitaire, avec peu de promotion et quasiment aucun moyen de présenter leurs nouvelles chansons sur scène : Dua Lipa (Future Nostalgia), Eddy de Pretto (À tous les bâtards), L’Impératrice (Tako Tsubo), Clara Luciani (Cœur), Jérémy Frérot (Meilleure vie), Billie Eilish (Happier Than Ever), Juliette Armanet (Brûler le feu)… Au-delà du Covid-19, toutes et tous se sont surtout confiés sur ce cap difficile, qui pourrait presque être vu comme une malédiction pesant sur des artistes qui ont connu de beaux succès dès le début de leur carrière.

Rassurer ou expérimenter ?

Le premier album est « un moment particulier, c’est la réalisation d’une envie, d’un rêve, le chanteur pose les bases de son orientation musicale », explique Sophian Fanen, journaliste spécialisé en musique, à 20 Minutes. « Souvent le premier album possède une vraie logique, une maturité, on se dévoile. Avec le deuxième, quand on a eu une certaine popularité, on raconte quoi ? On ne peut plus parler des galères du début, par exemple. Et musicalement, on se dirige dans quelle direction ? », poursuit l’auteur de Boulevard du stream (éd. Le Castor Astral).

Une attachée presse d’une grande maison de disques, qui a souhaité rester anonyme, souligne qu’il faut, en plus, composer « beaucoup plus rapidement, parfois même en pleine tournée », alors que le premier opus est l’aboutissement de « trois, quatre années de travail ». « Le plus difficile, c’est d’être créatif sur une courte période », admet-elle.

L’accès à ce contenu a été bloqué afin de respecter votre choix de consentement

En cliquant sur« J’accepte », vous acceptez le dépôt de cookies par des services externes et aurez ainsi accès aux contenus de nos partenaires.

Plus d’informations sur la pagePolitique de gestion des cookies

Ces artistes se retrouvent devant un dilemme. Faut-il réaliser les mêmes chansons, avec le risque de lasser son public ? Ou, au contraire, aller dans une direction totalement différente, quitte à surprendre ses fans ? La chanteuse française Silly Boy Blue, qui a sorti son premier album Breakup Songs en juin dernier, a confié à 20 Minutes qu’il s’agissait « des deux travers » dans lesquels il ne fallait pas tomber, selon elle. « Je prépare mon deuxième album et je ne veux ni proposer la même chose, ni trop m’éloigner de ce que je faisais. Il faut jauger, trouver le juste milieu. Mais il n’existe pas de recette miracle, ce serait trop facile », dit-elle en rigolant.

La Britannique Dua Lipa s’est également posée la question, comme elle l’a raconté au New York Times. Elle a choisi de changer presque totalement de style, se frottant au disco sur Future Nostalgia, afin de ne pas se retrouver « bloquée dans un studio, à essayer de refaire une autre chanson comme New Rules », l’un de ses plus grands succès. « C’est un cercle vicieux dans lequel je n’aurais pas grandi et personne n’en aurait bénéficié parce que ça aurait été la même chanson encore et encore ».

Ce deuxième disque, pourtant très différent du premier qui était beaucoup plus pop, a été acclamé par la critique et plébiscité par le public. Les quelques chansons, dansantes à souhait, sorties entre les deux, One Kiss avec Calvin Harris et Electricity avec Silk City, ont cependant pu jouer comme un pont entre les deux univers de l’artiste d’origine albanaise.

L’accès à ce contenu a été bloqué afin de respecter votre choix de consentement

En cliquant sur« J’accepte », vous acceptez le dépôt de cookies par des services externes et aurez ainsi accès aux contenus de nos partenaires.

Plus d’informations sur la pagePolitique de gestion des cookies

La liberté du streaming

Aujourd’hui, le streaming a tout de même enlevé une certaine pression des épaules des jeunes artistes. « Si leur deuxième album ne fonctionne pas, rien ne les empêche d’en proposer un autre six mois plus tard », estime Sophian Fanen. Le journaliste du média en ligne Les Jours poursuit : « À l’époque du disque physique, en sortir un était une opération compliquée et coûteuse. On ne pouvait pas faire deux disques tous les ans, contrairement à maintenant. »

« Grâce au streaming, on a la possibilité de proposer plein de morceaux, parfois très différents les uns des autres. Plus tu fais des choses, moins chaque sortie est un événement et moins le stress est présent », reconnaît Ana Benabdelkarim, alias Silly Boy Blue.

L’accès à ce contenu a été bloqué afin de respecter votre choix de consentement

En cliquant sur« J’accepte », vous acceptez le dépôt de cookies par des services externes et aurez ainsi accès aux contenus de nos partenaires.

Plus d’informations sur la pagePolitique de gestion des cookies

Si pour les artistes l’album « reste un concept, un objet important », cela est surtout vrai pour ceux « avec une communauté importante, qui attend d’avoir le disque en mains », analyse Manon L’Huillier, attachée presse chez Phunk. « Ce n’est pas le même état d’esprit, la même culture dans le rap ou l’électro, par exemple », ajoute-t-elle. Certains artistes ne proposent même que des singles ou des EPs (un disque regroupant quatre à six morceaux). Ils ne ressentent ainsi sûrement pas la pression inhérente au deuxième album. À l’image du Français Oscar Anton, qui a sorti en 2020 des compilations de morceaux selon les mois de l’année intitulées August Pack, October Pack ou December Pack.

Une grande loterie

« Cette pression autour du deuxième album existe surtout pour les chanteurs qui ont énormément marché dès leur premier », rappelle, enfin, Manon L’Huillier. Certains, comme Pomme, connaissent la réussite plutôt avec leur deuxième effort. La jeune Française, qui avait déjà un public fidèle, a ainsi tout renversé avec Les Failles, beaucoup plus personnel et proche de son univers. Pour son précédent, À peu près, elle n’avait pas pu faire « un album à [son] image », ayant été assaillie par les avis de nombreux interlocuteurs, expliquait-elle à RFI.

Jérémy Frerot, dans une interview à 20 Minutes, confiait lui aussi que son premier album « ne correspondait pas » au style de musique qu’il aimait. « Quand je suis sorti de Fréro Delavega (le duo qui l’a fait connaître au public, ndlr), je me disais qu’il fallait que je devienne quelqu’un, un artiste à part entière, que je me fasse respecter tout seul, que je dise aux gens que je n’avais pas besoin d’être en groupe. Il me fallait une sorte de validation », expliquait-il, se libérant alors avec Meilleure vie, beaucoup plus solaire et dansant.

L’accès à ce contenu a été bloqué afin de respecter votre choix de consentement

En cliquant sur« J’accepte », vous acceptez le dépôt de cookies par des services externes et aurez ainsi accès aux contenus de nos partenaires.

Plus d’informations sur la pagePolitique de gestion des cookies

Un deuxième album qui fait un flop n’est lui aussi pas forcément une fatalité. Il permet à l’artiste, s’il est soutenu par sa maison de disques, de se remettre en question, de travailler plus dur et de remonter la pente. C’est ce qui est arrivé à Lana Del Rey. Adulée à la sortie de son premier disque Born to Die en 2012, elle a vu une grande partie de son public la lâcher deux ans plus tard, en 2014, au moment d’Ultraviolence. Cette collection de chansons rock, produites par Dan Auerbach des Black Keys, a pu dérouter les fans de son alliance ingénieuse de pop et de hip-hop. La New-Yorkaise s’est retrouvée obligée de proposer plusieurs opus très rapidement dans la foulée, Honeymoon, en 2015, puis Lust For Life, en 2017, avant de finalement renouer avec le succès critique et public avec Norman Fucking Rockwell en 2019.

« La musique, c’est un peu la loterie, parfois ça marche avec le premier album, parfois avec le deuxième ou le troisième », sourit Sophian Fanen. Pour Silly Boy Blue, l’important est en tout cas d’être signée chez une maison de disques qui croit en ses artistes et de s’entourer d’une bonne équipe. « Ça enlève une partie de la pression et surtout ça permet de voir un opus seulement comme une suite artistique. Il n’y a plus d’enjeux de résultats ou financiers. Pour eux, j’ai envie de faire le meilleur album qui soit », conclut la Nantaise qui s’est mise à réfléchir à la suite… dès la fin de l’enregistrement de son premier projet.