INTERVIEWLes catholiques pratiquants « vont désormais aussi vers l’extrême droite »

Présidentielle 2022 : Les catholiques pratiquants « se tournent désormais aussi vers l’extrême droite », observe Mathieu Gallard

INTERVIEWMathieu Gallard, directeur d’étude chez Ipsos, analyse pour « 20 Minutes » le comportement électoral des catholiques pratiquants, actuellement courtisés
Des cierges à la cathédrale de Reims. (illustration)
Des cierges à la cathédrale de Reims. (illustration) - "une nation chrétienne (...) au milieu d'un océan islamique" / AFP
Rachel Garrat-Valcarcel

Propos recueillis par Rachel Garrat-Valcarcel

L'essentiel

  • En visite en Arménie, Valérie Pécresse et Eric Zemmour ont semblé courtiser l’électorat catholique. Emmanuel Macron n’est pas en reste dans cette bataille.
  • Conformément aux idées reçues, les catholiques pratiquants (5 % des votants) sont très clairement à droite.
  • Alors qu’ils étaient jusque-là rétifs à l’extrême droite, Eric Zemmour change la donne, nous explique Mathieu Gallard, directeur d’études chez Ipsos.

L’Arménie en décembre, ça vaut le coup ? Valérie Pécresse et Eric Zemmour devraient répondre par l’affirmative : les deux candidats à la présidentielle ont fait ce mois-ci le voyage à Erevan, mais pas en touristes. Car une visite de campagne dans ce pays qui vient de sortir défait d’une courte guerre contre son voisin, l’Azerbaïdjan, n’est pas neutre. Pour la candidate LR, il s’agit d’un « soutien aux chrétiens d’Orient juste avant Noël ». Eric Zemmour est allé plus loin en soulignant que l’Arménie est « une Nation chrétienne (…) au milieu d’un océan islamique », sous entendu entre la Turquie et l’Azerbaïdjan (pourtant très laïque).

En cette période des fêtes, l’électorat catholique serait donc courtisé. Et Emmanuel Macron n’est pas en reste : il a publié un texte ce mardi matin dans L’Express où il explique ce en quoi « il croit ». 20 Minutes a donc voulu en savoir plus sur l’électorat catholique à moins de quatre mois de la présidentielle, avec le directeur d’étude chez Ipsos, Mathieu Gallard.

L’électorat catholique est-il un électorat en tant que tel ?

Il y a un électorat catholique. Mais de quoi parle-t-on ? Si c’est de l’ensemble des personnes qui se disent catholiques, c’était à peu près 60 % de l’électorat en 2017. Forcément, on trouve là une très grande diversité de rapports à la religion catholique.

Le plus souvent, on se penche plutôt vers les catholiques pratiquants, qui ont un rapport plus fort à la foi, qui vont au moins une fois par mois à la messe. Cela représente environ 5 % de la population qui va voter. C’est évidemment très réduit, mais ça peut être décisif s’ils se tournent massivement vers un candidat en particulier. Or, cet électorat est effectivement très spécifique : en 2017, dans ce groupe-là, François Fillon a obtenu 48 % au premier tour, presque la moitié !

Ce n’est donc pas un cliché de dire que les catholiques pratiquants sont à droite ?

Traditionnellement, c’est un électorat proche de la droite de gouvernement. Emmanuel Macron n’est pas non plus totalement largué dans cet électorat : dans la dernière enquête que l’on a réalisée, il arrive troisième avec 22 % des intentions de vote [contre 24 % en moyenne nationale]. Il est au coude-à-coude avec Eric Zemmour et pas si loin de Valérie Pécresse. Il peut donc sans doute répondre aux attentes d’une partie de cet électorat.

Même si les catholiques pratiquants sont un électorat typé, il y a aussi de l’hétérogénéité. Il reste des catholiques de gauche, plus beaucoup ou en tout cas beaucoup moins que dans les années 1970-1980, mais il y a aussi une partie de cet électorat qui est plus modéré.

Quel est son rapport à l’extrême droite ?

C’est un électorat traditionnellement très hostile vis-à-vis de l’extrême droite et du Rassemblement national. Marine Le Pen y avait obtenu seulement 13 % des voix en 2017, nettement moins que sa moyenne nationale [21,3 %]. Dans les enquêtes que l’on fait actuellement, on voit néanmoins que les choses changent. Certes, toujours dans ce groupe des catholiques pratiquants, Valérie Pécresse serait en tête avec 29 % des voix, mais c’est bien moins que François Fillon en 2017.

Cet électorat se tourne désormais aussi vers l’extrême droite, puisque le deuxième est Eric Zemmour, avec 23 % des voix. Il est crédité de ces scores parce qu’il est sur un positionnement légèrement différent de celui de Marine Le Pen : on reste à l’extrême droite, mais il est à la fois plus fort et plus conservateur sur les enjeux sociétaux. Et lui met en avant un libéralisme économique très marqué, alors que Marine Le Pen a un programme économique plus tempéré par rapport au Front national de l’époque de son père. Sur ces deux éléments, Zemmour est mieux positionné pour séduire un électorat de droite traditionnel conservateur, et donc catholique pratiquant.

Que sait-on des valeurs de cet électorat ?

C’est un électorat très positionné sur le conservatisme sociétal (droit à l’avortement, place des femmes et des minorités, droits LGBT…). Eric Zemmour fait précisément de ces sujets un marqueur important, alors que Marine Le Pen a toujours été en retrait. Les catholiques pratiquants sont en revanche moins positionnés sur la question de l’immigration ou de l’insécurité.

Mais Eric Zemmour fait rentrer ces deux sujets dans le cadre plus large de l’identité de la France. Et là, ça peut raisonner avec les valeurs de cet électorat : quand il dit « Avec le "grand remplacement", la France ne sera plus la France et le catholicisme sera totalement minoritaire et marginalisé en France », ce sont des éléments qui peuvent entrer en résonance avec les craintes de cet électorat, évidemment très marqué par sa foi catholique.