ENERGIEDes milliards d’euros sur l’hydrogène… Mais pour quoi faire exactement ?

Des milliards d’euros sur l’hydrogène… Mais pour quoi faire exactement ?

ENERGIELa France, comme de nombreux pays, mise beaucoup d’argent sur l’hydrogène pour accélérer la transition énergétique. Mais si la molécule a des avantages, elle n’a pas non plus réponse à tout, rappelle l’Iddri dans une étude publiée ce mercredi
Le 25 mai 2021, la Tour Eiffel a été illuminée pendant quelques minutes avec de l'électricité produite à partir d'hydrogène renouvelable certifié.
Le 25 mai 2021, la Tour Eiffel a été illuminée pendant quelques minutes avec de l'électricité produite à partir d'hydrogène renouvelable certifié. - GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP / AFP
Fabrice Pouliquen

Fabrice Pouliquen

L'essentiel

  • L’institut du développement durable et des relations internationales (Iddri), think-tank dédié aux questions climatiques, publie ce mercredi une étude sur les conditions de déploiement de l’hydrogène en France et en Europe.
  • Un enjeu de taille alors que les stratégies « hydrogène » qu’adoptent à tour de bras les Etats membres de l’UE commencent à être déployées. L’Iddri invite toutefois à ne pas se tromper dans les usages de l’hydrogène que l’on entend développer.
  • Si la molécule a l’avantage de pouvoir stocker durablement l’électricité et la rendre plus facilement transportable, elle n’a pas non plus réponse à tout, pointe le think-tank. Toutefois, dans les transports et l’industrie lourde, il devrait jouer un rôle primordial.

Neuf milliards d’euros d’argent public. Voilà ce que prévoit de mettre sur la table la France, d’ici 2030, sur « l’hydrogène vert ». Avec l’objectif affiché d'en devenir le leader mondial.

Ambitieux tant de nombreux pays misent aussi sur cette molécule pour atteindre la neutralité carbone. Y compris au sein de l’Union européenne (UE) où douze d’Etats membres ont déjà inclus l’hydrogène dans les priorités des plans de relance qu’ils ont présenté à Bruxelles, comptabilisait Le Monde en octobre dernier.

Ces stratégies mises bout à bout, ce sont plus de 50 milliards d’euros d’investissements publics qui sont prévus à l’horizon 2030 pour développer ce vecteur énergie, compte l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri) qui publie ce mercredi une étude sur les conditions de son déploiement en France et dans l’UE.



« Pas une solution miracle »

Des montants justifiés ? En convertissant l’électricité en gaz ou sous forme liquide, l’hydrogène a des avantages indéniables. Celui de pouvoir la stocker durablement et de la rendre plus facilement transportable. Mais Ines Bouacida et Nicolas Berghmans, chercheurs à l’Iddri et auteurs de l’étude, n’en font pas non plus une solution miracle. La preuve : 900.000 tonnes d’hydrogène sont d’ores et déjà consommées chaque année en France, essentiellement dans l’industrie. Mais sans qu’on en tire un avantage climatique, bien au contraire. Cet hydrogène est à ce jour produit quasi intégralement à partir du gaz naturel, une énergie fossile, et par vaporeformage, un processus qui émet du CO2. Son utilisation représente 3 % des émissions de gaz à effet de serre française. »

Mais l’hydrogène peut être obtenu avec un bien meilleur bilan carbone. C’est le cas par électrolyse de l'eau. Le procédé consiste à faire passer un courant électrique dans l’eau (H₂O) pour en séparer ses deux éléments chimiques. L’oxygène d’un côté, l’hydrogène (H₂) de l’autre, qu’il suffit alors de récupérer. Et si l’électricité utilisée durant l’opération est bas carbone, c’est-à-dire d’origine nucléaire ou renouvelable (solaire, éolien…), alors vous obtenez de l’hydrogène « vert ».

C’est cet hydrogène par électrolyse qui peut être un accélérateur de la transition énergétique. Sans pour autant avoir réponse à tout. « Il a des inconvénients que même les progrès technologiques attendus ne devraient pas suffire à gommer, pointe Ines Bouacida. Il est relativement cher par rapport aux alternatives fossiles qu’il doit remplacer et sa fabrication ne se fait pas sans perdre de l’énergie en route. Il y a également des pertes d’énergie aux différentes étapes de sa fabrication qui plombent son efficacité. Un mégawatt/heure d’électricité donne 0,7 mégawattheure d’hydrogène, on perd donc 30 % d’énergie lors de la conversion. » Dans bien des cas alors, mieux vaut alors utiliser l’électricité directement.

Des enjeux à prioriser

Ces deux limites impliquent de réserver l’hydrogène vert aux usages où il se révèle incontournable. C’est tout l’enjeu du moment alors que les plans hydrogène commencent à entrer en action. Un premier secteur identifié par l’Iddri est celui de l’industrie lourde, réputée difficile à décarboner. Les 900.000 tonnes actuellement utilisées en France, le sont comme réactifs chimiques. « Dans les raffineries, par exemple, pour purifier les produits pétroliers ou dans l’industrie chimique pour produire de l’ammoniac qui sert ensuite à faire des engrais azotés », détaille Ines Bouacida.

Un premier enjeu serait donc de substituer cet hydrogène gris (issu du gaz naturel) par du vert, soit son équivalent bas-carbone. Mais ce dernier pourrait aussi remplacer des énergies fossiles dans la mise au point de procédés industriels plus verts, explique l’Iddri. L’une des applications les plus prometteusesest la production d'acier. « Au niveau européen, des projets pilote sont en cours, comme celui d’ Arcelor Mittal en Allemagne ou l’initiative Hybrit en Suède », cite le think-tank.

De la mobilité hydrogène… mais pas partout ?

Un autre secteur très souvent associé à la molécule est celui des transports, l’hydrogène étant une autre façon de faire de la mobilité électrique, sans passer donc par des batteries. En clair : l’énergie est stockée sous forme gazeuse dans le réservoir avant d’être retransformée en électricité grâce à une pile à combustible embarquée dans le véhicule. Le gros avantage est de prendre peu de place sous le capot, ce qui permet ainsi de conjuguer plus facilement mobilité électrique et longue distance. Une aubaine pour les transports maritime et aérien ? Pour l’Iddri, c’est sur ces deux segments, difficiles à décarboner, que l’hydrogène vert est appelé à jouer un rôle incontournable

Même chose pour les poids lourds et bus ? Ines Bouacida est moins affirmative. « En France, les investissements se sont beaucoup concentrés sur des bus, notamment urbains, constate-t-elle. Ce n’est pourtant pas un usage prioritaire de l’hydrogène. Cette solution peut rester pertinente pour des camions amenés à faire de très longues distances. Mais ils sont très minoritaires, la plupart ayant des besoins en autonomie qui restent gérables par batterie. »

Une certitude en tout cas, pour le think-tank, il est peu probable que l’hydrogène joue un rôle significatif sur les transports léger. L’Iddri ne croit pas trop non plus à l’utilisation de l’hydrogène vert pour la production de chaleur basse température (en dessous de 100°C), utilisée par exemple pour chauffer nos bâtiments. Là encore, dans ce cas précis, il existe des alternatives durables plus efficaces à l’hydrogène, à l’instar des pompes à chaleur.

Un rôle à jouer pour équilibrer système électrique ?

A l’industrie lourde et aux transports longue distance, l’Iddri ajoute un troisième domaine dans lequel l’hydrogène est appelé à jouer un rôle déterminant à l’avenir : l’équilibre de notre système électrique. L’hydrogène servirait alors à stocker l’électricité nucléaire ou renouvelable, lorsque la production est supérieure à la demande (une journée très ensoleillée par exemple) pour la restituer ensuite lorsque la situation s’inverse (un jour de grand froid). « Cette utilisation de l’hydrogène pour la flexibilité dépend des orientations du mix électrique que choisira la France », précise l’Iddri. Mais les six scénarios imaginés par RTE, dans son étude Futurs énergétiques, paru en octobre, avaient ce point commun de s’appuyer sur un fort développement des énergies renouvelables d’ici 2050. Leur intermittence fait justement de leur stockage un enjeu important.

Quoi qu’il en soit, la production d’hydrogène par électrolyse est partie pour augmenter sensiblement. Dans Futurs énergétiques toujours, RTE prévoit qu’elle passe de 0 à 50 Twh d’ici à 2050… dans son scénario de référence. D’autres voient plus grand, jusqu’à 170 Twh même pour « hydrogène + ».

Voilà pour les besoins pressentis en France. « Un autre enjeu fort à venir est de savoir dans quelle mesure on organise à l’échelle de l’UE des infrastructures d’échange autour de l’hydrogène vert, glisse Nicolas Berghmans. Ce qui nécessite aussi que les 27 s’entendent sur une définition commune d’hydrogène vert. »

Justement, dans le cadre de la présidence française de l’Union européenne, Babara Pompili, ministre de la Transition écologique, réunit les ministres européens de l’Environnement et de l’énergie, à Amiens, de jeudi à samedi. L’un des déjeuners de travail à pour thème « l’hydrogène en Europe ».

Et l’hydrogène bleu ?

A l’hydrogène gris, obtenu à partir de carburants fossiles (gaz naturel ou charbon) et au "vert", issu d’énergie bas-carbone, certains ajoutent encore l’hydrogène bleu. Sa fabrication se fait à partir de gaz fossile mais couplé à des procédés de Capture et stockage de carbone (CCS). Autrement dit, le CO2 émis lors de cette production est capté puis stocké ou réutilisé au lieu d’être relâché dans l’atmosphère.

L’Iddri n’élude pas cette troisième option, tout en émettant des réserves. « Cette production d’hydrogène bleu occasionne, tout de même, inévitablement, des émissions de GES à différentes étapes », pointe ainsi Ines Bouacida. Pas de quoi donc rendre cette technique aussi vertueuse que l’électrolyse, aux yeux du think-tank. Pour autant, l’Iddri estime que l’hydrogène bleu « pourrait jouer un rôle dans une période de transition », « mais que s’il remplit des conditions climatiques et de viabilité économique non atteintes aujourd’hui ».