APPLIS DE RENCONTRELa reconnaissance des émotions va-t-elle nous aider à trouver l’amour ?

La reconnaissance des émotions va-t-elle enfin nous aider à trouver l’amour ?

APPLIS DE RENCONTRELe documentaire « L’amour sous algorithme », librement inspiré du livre éponyme de Judith Duportail, est diffusé ce mercredi sur France 2
Un système d'intelligence artificielle de Google Vision, effectuant une reconnaissance faciale et une analyse des émotions sur une photographie d'un homme en 2019.
Un système d'intelligence artificielle de Google Vision, effectuant une reconnaissance faciale et une analyse des émotions sur une photographie d'un homme en 2019. -  Smith Collection/Gado/Sipa USA/SIPA / SIPA
Laure Beaudonnet

Laure Beaudonnet

L'essentiel

  • Le documentaire L’amour sous algorithme propose une adaptation libre du livre éponyme signé Judith Duportail. Dans cette enquête, la journaliste avait cherché à en savoir plus sur le fonctionnement de Tinder.
  • Parmi les enjeux de demain, Jérôme Clément-Wilz et Judith Duportail évoquent la reconnaissance des émotions.
  • Que va changer cette technologie de l’intelligence artificielle dans la rencontre amoureuse ?

Les algorithmes savent tout de vous. A partir de vos traces numériques (likes, achats, recherches, mails…), l’intelligence artificielle apprend à vous cerner, à connaître vos goûts, vos habitudes sociales et même vos états d’âme… Les applis de rencontres ne dérogent pas à la règle. Elles savent percer à jour vos préférences en matière d’hommes ou de femmes pour vous présenter le candidat ou la candidate idéale. Elles plongent dans vos échanges, se jette sur le moindre indice pour réaliser votre portrait-robot. Imaginez que ces mêmes algorithmes soient capables de détecter vos émotions en temps réel. Un sourire en lisant un message, une grimace devant une photo d’un soupirant au physique ingrat, un rictus à peine perceptible devant un autre profil… Un monde des possibles s’offre au dating. Et surtout à la recommandation.

L’amour sous algorithme, réalisé par Jérôme Clément-Wilz et diffusé ce mercredi sur France 2, explore les technologies qui se cachent derrière nos « swipes » (le fait de balayer l’écran vers la gauche ou la droite pour valider un profil sur Tinder) et envisage déjà nos usages de demain. « L’enjeu futur de ces technologies, ce sera de cerner en direct nos émotions », anticipe le documentaire qui plonge dans l’intimité numérique de la journaliste Judith Duportail, autrice du livre éponyme. Quelle porte la reconnaissance des émotions ouvre-t-elle dans l’univers de la rencontre amoureuse ? Va-t-on enfin avoir tous le droit à l’amour ?

Trouver l’âme sœur n’est pas un enjeu

Avant de répondre à cette question brûlante, arrêtons-nous quelques instants sur la réalité de ces technologies. Techniquement, la reconnaissance des émotions marche déjà bien. « Il existe plusieurs technologies de détection d’émotions, celle qu’on voit dans L’amour sous algorithme basée sur le visage pourrait s’appliquer quand deux personnes interagissent via une appli de rencontre, explique Guillaume Chaslot, algorithmicien qui a travaillé sur l’algorithme de YouTube et Google. Il y en a d’autres qui se concentrent sur l’écrit et scannent les textes échangés ». Le monde des ressources humaines se sert déjà de la reconnaissance des émotions pour analyser les réponses d’un candidat pendant un entretien d’embauche. « L’IA essaye de voir si la réponse est congruante avec les émotions exprimées par le visage du candidat, confirme Isabelle Collet, informaticienne et professeure en Science de l’éducation à l’université de Genève. Ce n’est pas magique non plus. Si au moment où on pose la question, la personne ressent une douleur, ou entend un bruit, son expression ne sera pas concluante et cela n’aura rien à voir avec la question ».

Côté appli de rencontre, cette technologie pourrait améliorer l’expérience utilisateur. Mais si vous espérez que la reconnaissance des émotions vous aidera à trouver l’amour plus facilement, vous vous mettez le doigt dans l’œil. Car, spoiler alert, les applis de rencontres n’ont aucun intérêt (économique) à vous aider à vous caser. Si vous rencontrez l’âme sœur, vous n’avez plus besoin de l’appli. Logique. « Il y a une gamification extraordinaire [l’utilisation des mécanismes du jeu] de l’algorithme, note Isabelle Collet. Vous avez envie de feuilleter, de regarder ce qu’il y a de neuf en magasin, vous matchez de temps à autre, c’est ça qui rapporte ». L’appli doit vous frustrer assez pour que vous reveniez et vous amuser suffisamment pour que vous restiez dessus un long moment.

Pour un ingénieur, développer une telle technologie relève de la prouesse algorithmique. Mais en réalité, il s’agit plutôt de marketing. « Si ça coûte plus cher à Tinder que ça lui rapporte, il va s’en moquer de vos émotions, reprend Isabelle Collet. Par contre, si montrer qu’il est capable de reconnaître vos émotions lui donne un avantage concurrentiel sur les autres acteurs du secteur parce que les utilisateurs vont penser que Tinder est plus puissant, il va le faire ». Le cœur du sujet n’est pas l’amour mais la publicité. « Quand Tinder crée un lien avec Spotify et vous demande quelle musique vous aimez sous prétexte que la musique est un bon moyen de briser la glace, il vous fait croire qu’il optimise, mais en réalité il vous incite à donner le maximum d’informations sur vous », poursuit la spécialiste. Car la captation de données est le premier enjeu de la reconnaissance des émotions et de l’intelligence artificielle en général.

Une mine d’or pour les annonceurs

« Reconnaître les émotions des individus permet de voir quelle pub marche et quelle pub ne marche pas sur eux, abonde Guillaume Chaslot. Avec de simples photos, un algorithme peut déjà en savoir plus sur vous que vous-mêmes ». En 2017, une étude de l’université de Stanford, relayée par The Guardian, a montré qu’à partir de quelques photos, un algorithme pouvait distinguer correctement une personne se définissant comme homosexuelle d’une personne se définissant comme hétérosexuelle, avec un taux de réussite de 81 % pour les hommes et de 74 % pour les femmes. « Avec les émotions, vous pouvez aller encore plus loin : quels sont vos points faibles, vos vulnérabilités. Qu’est-ce qui vous met hors de vous… », poursuit-il. Et ça, c’est une mine d’or pour les annonceurs et, par ricochet, pour les applis.


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Et le candidat à l’amour dans tout ça ? Pas grand-chose. La reconnaissance des émotions permettra peut-être d’affiner la sélection des profils pour être au plus près des attentes des utilisateurs. Et encore. Il n’est même pas certain que cette technologie crée de meilleures rencontres qu’un algorithme de recommandation complètement aléatoire.

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