CLASHPourquoi Spotify a choisi la star des podcasts Joe Rogan face à Neil Young

Pourquoi Spotify a choisi le roi controversé des podcasts Joe Rogan face à Neil Young

CLASHLe chanteur légendaire, qui accuse Spotify de promouvoir la «désinformation» sur la vaccination, ne faisait pas le poids face à un titan médiatique
Le chanteur Neil Young et l'animateur de podcast Joe Rogan (photomontage)
Le chanteur Neil Young et l'animateur de podcast Joe Rogan (photomontage) - AFP / Pixpalace
Philippe Berry

Philippe Berry

De notre correspondant aux Etats-Unis,

« Ils peuvent avoir Rogan ou Young. Pas les deux. » Dans une lettre ouverte, Neil Young avait lancé, lundi, un ultimatum à Spotify, accusant la plateforme suédoise de promouvoir la « désinformation » sur le Covid, alors que le podcast The Joe Rogan Experience, numéro 1 aux Etats-Unis en 2021, flirte régulièrement avec le complotisme. Sans surprise, Spotify a choisi Joe Rogan, et Neil Young a commencé de retirer, avec le soutien de Warner, l’essentiel de son catalogue.

Qui est Joe Rogan ?

Peu connu en France, Joe Rogan a bâti un empire médiatique aux Etats-Unis et dans le monde anglo-saxon. Il a commencé par le stand-up à la fin des années 1980, puis a décroché quelques petits rôles à Hollywood. Mais c’est comme commentateur MMA (mixed martial arts) pour l’UFC que sa notoriété explose au début des années 2000, et il anime en parallèle le jeu à succès Fear Factor. Il lance son podcast The Joe Rogan Experience (JRE) en 2009. En 13 ans, il en est au 1770e épisode, soit un tous les deux jours et demi.

A quoi ressemble son podcast ?

A ses débuts, c’était surtout Rogan et ses potes, souvent des comiques, qui « bullshitaient » – c’est lui qui le dit – ensemble pendant des heures. Puis sont venus les athlètes et les acteurs. Petit à petit, Joe Rogan a réussi à attirer un panel impressionnant d’invités dans tous les domaines. Politiciens, scientifiques, magiciens, aventuriers, activistes, musiciens… Joe Rogan s’intéresse à tout, avec une fascination prononcée pour les drogues psychédéliques et les ovnis.

Et s’il n’est expert en rien, les longues conversations – en direct pendant longtemps et désormais enregistrées – qui durent parfois trois ou quatre heures permettent aux invités d’aller au fond des choses. Ses discussions avec Elon Musk – qui avait fumé un joint en direct – Bernie Sanders, Edward Snowden, l’astrophysicien Neil deGrasse Tyson ou Lance Armstrong sont passionnantes.

Pourquoi son podcast est-il controversé ?

Rogan, qui se revendique libertarien, s’autorise à débattre de tout, et avec tout le monde. Au fil des années, il a accueilli de nombreux invités controversés, comme Milo Yiannopoulos, troll de l’alt-right, le complotiste Alex Jones ou le fondateur des Proud Boys Gavin McInnes. Le Canadien Jordan Peterson, idole des masculinistes, est un régulier.

Au mieux, Joe Rogan est accusé de leur fournir une plateforme sans beaucoup de contradictions. Au pire, il s’aventure lui-même sur des terrains minés, comme lorsqu’il débat de la question des différences de QI entre différentes populations ou revendique son droit de répéter le mot tabou « nigger » («nègre ») au nom de sa lutte contre le politiquement correct. L’auteur afro-américain Michael Harriot y voit davantage de l’ignorance que du racisme : Rogan, selon lui, ne comprend pas le passif blessant d’un mot « qui ne lui évoque pas la mémoire de ses grands-parents avec une corde autour de leur cou ou la richesse volée à toute sa famille ».

Et le Covid dans tout ça ?

Joe Rogan est accusé d’avoir découragé la vaccination contre le Covid chez les jeunes et promu l’ivermectine, un traitement non autorisé. Au printemps 2021, il lançait notamment : « Si vous êtes une personne en bonne santé, que vous faites du sport, que vous êtes jeunes et que vous mangez bien, je ne pense pas que vous ayez besoin de vous inquiéter. Si vous avez 21 ans et que vous me demandez ''Est-ce que je devrais me faire vacciner'', je dirais ''non''. »

Lui-même positif au Covid-19 en septembre dernier, il avait vanté son cocktail de médicaments pour se soigner, notamment l’ivermectine. En octobre, il avait confirmé au docteur et consultant santé de CNN Sanjay Gupta qu’il n’était pas vacciné, assurant qu’il avait pris rendez-vous mais avait eu un empêchement et avait aujourd'hui une immunité naturelle après son infection. Mi-janvier, un groupe de 270 médecins et chercheurs ont écrit une lettre ouverte à Spotify pour dénoncer la « menace pour la santé publique » que représente Joe Rogan et demander à la plateforme d’établir « une politique de modération claire sur la désinformation ».

Pourquoi Neil Young ne faisait pas le poids ?

C’est à la suite de cette lettre que Neil Young a adressé son ultimatum à Spotify. Mais même s’il a sa place depuis 1995 au Rock And Roll Hall Of Fame, le chanteur américano-canadien ne faisait pas le poids. Avec un peu plus de 2 millions d’abonnés et 6 millions d’auditeurs mensuels, l’interprète de Old Man est une goutte d’eau pour le titan suédois. Qui a déboursé, selon les rumeurs, plus de 100 millions de dollars pour s’offrir l’exclusivité des épisodes de The Joe Rogan Experience fin 2020.

Spotify ne communique pas sur les audiences du podcast, mais selon le Wall Street Journal, elles tournent autour de 11 millions de personnes par épisode. En 2021, JRE était le podcast le plus écouté sur Spotify aux Etats-Unis, mais aussi en Australie et au Royaume-Uni. Et alors que la plateforme bataille avec Apple, les podcasts ont un avantage : ils contiennent des publicités, même pour les abonnés payants. Pour Joe Rogan, c’est souvent 75 secondes pour des suppléments alimentaires à l’efficacité douteuse.

Spotify, de son côté, se défend. « Nous avons supprimé plus de 20.000 épisodes de podcasts liés au Covid depuis le début de la pandémie », assure l’entreprise. Qui a également effacé plusieurs dizaines de vieux épisodes de JRE, notamment celui avec Alex Jones. En revanche, celui avec Robert Malone, pionnier des vaccins à ARN messager, qui est devenu une idole des conservateurs antivax aux Etats-Unis, est toujours disponible. Spotify va conserver ses bénéfices. Et Neil Young, sa dignité.

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