ETUDESPourquoi la crise sanitaire incite à revoir les bourses étudiantes

Cour des comptes : Pourquoi la crise sanitaire incite à revoir le système de bourses étudiantes

ETUDESDans son rapport annuel publié ce mercredi, la Cour des comptes invite à refonder le système de bourses étudiantes, actuellement insuffisant pour remédier à la précarité étudiante
Des étudiants bénéficiant de l'aide alimentaire en mars 2021, lors de la crise sanitaire.
Des étudiants bénéficiant de l'aide alimentaire en mars 2021, lors de la crise sanitaire. - STEPHANE DE SAKUTIN / AFP / AFP
Jean-Loup Delmas

Jean-Loup Delmas

L'essentiel

  • Depuis des années, la réforme du système de bourses étudiantes revient régulièrement sur le tapis. Réclamée par les syndicats étudiants et promise par le gouvernement, elle n’a toujours pas vu le jour.
  • Dans son rapport annuel publié ce mercredi, la Cour des comptes appelle de ses vœux cette réforme, nécessaire face l’ampleur de la précarité chez les étudiants.
  • La crise sanitaire, qui a mis en lumière cette pauvreté, permettra peut-être d’avancer sur ce dossier à l’arrêt.

« L’Unef doit organiser des distributions de nourriture pour des étudiants qui n’ont les moyens de s’acheter à manger, preuve que les bourses actuelles sont à bout de souffle par rapport aux besoins des jeunes », enrage Mélanie Luce, présidente du syndicat. Les files alimentaires des étudiants lors de l’hiver 2020-2021 furent parmi les images les plus marquantes de la crise sanitaire en France et le symbole de la précarité de la jeunesse. Une pauvreté qui n’a pas échappé à l’Unef, mais qu’a également notée la Cour des comptes dans son rapport annuel, remis ce mercredi.

Assez dithyrambique sur les aides de l’Etat distribuées en 2021, l’institution étrille en revanche le soutien financier apporté aux étudiants, jugé « insuffisant » et « trop tardif ». Mais au-delà de cette critique, la Cour des comptes encourage aussi une réflexion plus structurelle sur le système d’aides aux étudiants, notamment la répartition des bourses sur critères sociaux, dont le format actuel aurait montré ses limites.

« La crise invite donc à repenser les modalités de prise en compte des revenus pour le calcul des bourses. L’enjeu est de mieux répondre, en temps réel, aux besoins des étudiants », note le rapport, qui souhaite « s’assurer que les critères d’attribution des bourses sont les plus adaptés par rapport à la précarité étudiante et que la temporalité sur laquelle cette précarité est évaluée est adéquate. »

Le serpent de mer de la Macronie

Le constat n’est pas nouveau – la Cour des comptes renvoie à un précédent rapport datant de 2015 –, pas plus que la volonté de réformer les bourses. Emmanuel Macron avait fait du « renforcement du système d’aides et bourses » étudiantes une des promesses de campagne en 2017. Mais elle est devenue un véritable serpent de mer. « Rien n’a été fait depuis cinq ans sur le sujet, alors que le gouvernement ne cesse d’en parler », peste Eléonore Schmitt, porte-parole du syndicat étudiant L’Alternative.

Dernier exemple en date : en octobre 2021, lorsque la ministre de l’Enseignement supérieur, Frédérique Vidal, avait indiqué que le gouvernement était « prêt conceptuellement » à revoir le système d’attribution des bourses, mais que « rien ne serait fait et prêt avant la fin du quinquennat ». Un souvenir qui blase Eléonore Schmitt plus qu’il ne la déçoit : « Cela fait longtemps qu’on n’attend plus rien de ce gouvernement. »

Des revenus insuffisants

Ce pessimisme de la militante n’efface en rien le sentiment d’urgence qu’elle ressent face à la situation : « Il faut changer le système de bourses, qui ne protège pas bien contre la précarité ». Les attaques des syndicats se concentrent sur deux thèmes principaux : premièrement, le montant versé. Le maximum est actuellement de 574 euros mensuel, pour un étudiant échelon 7 (le plus haut niveau de bourse possible). Soit plus de 500 euros en dessous du seuil de pauvreté en France, établi à 1.113 euros, pointe la porte-parole d’Alternative.

« Or, il s’agit de la seule source de finance de ces étudiants, qui vivent dans une extrême pauvreté », ajoute-t-elle. La durée des bourses pose aussi problème aux syndicats : à part pour les rares étudiants prolongeant leurs études durant l’été, les bourses ne sont attribuées que sur dix mois. De fait, réparti sur les 12 mois de l’année au lieu de 10, le montant mensuel d’un échelon 7 baisse à 478 euros. « Même l’été, on a faim, vous savez », rappelle en évidence Lucile, étudiante en licence de droit.

Des bourses oui, mais pour qui ?

« Le niveau des bourses est indécent par rapport aux besoins », déclare Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités. Outre le cas des plus précaires pointé ci-dessus, « la classe moyenne inférieure n’est souvent pas éligible aux bourses. Cela coupe une partie de la population des études les plus chères, ou même simplement des facultés parisiennes, dont le logement est parfois trop coûteux », déplore-t-il. Actuellement, seulement 27 % des étudiants sont boursiers, laissant de nombreux précaires non-éligibles comme le pointe le rapport de la Cour des comptes : « La pandémie a montré qu’une partie des étudiants non boursiers était nettement exposée au risque de précarité ».

Deuxième axe majeur visé par les syndicats : le système d’attribution, basé sur le revenu des parents. « C’est terriblement infantilisant », se désespère Mélanie Luce, qui regrette un système qui tombe souvent à côté de la plaque : « Ce n’est pas parce que les revenus des parents sont élevés, que l’étudiant aura beaucoup de moyens ». Constat confirmé par Lucile : « Non seulement mes parents ne me donnent quasiment rien, mais en plus, je n’ai leur aide financière que si je fais ce genre d’études "prestigieuses". Si j’avais voulu aller en arts, ils ne m’auraient rien filé. » Pour la présidente de l’Unef, « le système actuel met les étudiants dans un rapport de dépendance aux désirs de leurs parents. On est légalement majeur à 18 ans, on souhaiterait être socialement majeur également à cet âge et avoir nos propres aides, calculées sur nos propres revenus ».

La crise pour enfin débloquer la situation ?

L’Unef plaide pour « une allocation d’autonomie ou une aide universelle, dont le montant, varierait selon la situation de l’étudiant ». Même combat chez L’Alternative, qui désire « une allocation d’étude fixée sur le montant du seuil de pauvreté ». Mais les militants savent que le combat sera long. La crise sanitaire, qui a mis en lumière la précarité étudiante, pourra-t-elle permettre d’enfin bouger les choses ? Mélanie Luce se montre sceptique : « Que la crise ait augmenté la précarité étudiante et l’urgence, c’est une évidence. Mais est-ce que ce sera suffisant ? »

Des doutes partagés par Eléonore Schmitt : « La pauvreté, ça fait longtemps qu’elle est là, et que rien n’avance. J’aimerais que ce soit différent cette fois, mais je n’y crois pas vraiment ». Dernier clou par Louis Maurin : « Il y a toujours eu une hypocrisie considérable de tous les gouvernements sur la situation étudiante. C’est un scandale, mais un scandale sous silence. Ça montre la considération qu’on porte à notre jeunesse, mais aussi à notre éducation. »